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Cet article est la version intégrale du chapitre I de notre thèse doctorale :  Analyse littérale des termes dîn & islâm. Dépassement spirituel du religieux et nouvelles perspectives exégétiques, voir :  https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01556492/document

En ce chapitre, nous envisageons la théorie herméneutique au travers de l’analyse de son évolution historique. Ce parcours est axé sur la notion centrale de vérité et, plus particulièrement, la vérité du texte, la question posée ayant toujours été : est-il possible de comprendre un texte avec certitude ? Autrement dit, lorsqu’un lecteur comprend un texte, sommes-nous sûrs que cette compréhension corresponde à ce que l’auteur avait voulu signifier, l’intention de l’auteur ? La compréhension de ce texte par le lecteur n’est-elle pas uniquement une interprétation : l’intention du lecteur ?  Néanmoins, la théorie herméneutique telle qu’elle est admise à l’heure actuelle est problématique puisqu’elle soutient que toute lecture n’est qu’une interprétation. Il ne serait donc pas réellement possible de comprendre un texte selon ce que l’auteur avait voulu signifier. Or, nous montrons que l’histoire de la pensée herméneutique et aussi intimement liée à celle de l’Exégèse, et cette intrication revêt une toute particulière importance dès lors qu’il s’agit de déterminer la signification du Coran. Les enjeux de ce chapitre sont donc notables et une approche critique de l’herméneutique s’avère être absolument nécessaire.

  Chapitre I – Herméneutique & Vérité

Bien que nous ayons montré qu’il existait des failles et des ouvertures, il ne s’agit donc pas pour nous de remettre globalement en cause la théorisation herméneutique du comprendre, mais d’établir des règles permettant de déterminer sens, interprétations et sens littéral, ceci afin de contrôler ou moduler l’incertitude herméneutique de la compréhension, en l’occurrence celle d’un texte. Non point diriger la vectorisation de sens, mais en mesurer la pertinence et, pragmatiquement, résoudre méthodologiquement l’équation textuelle polysémique par une mise en œuvre algorithmique. Appliqué à la détermination du sens d’un texte, nous entendons par algorithme une suite finie et univoque d’opérations permettant d’obtenir un résultat de sens dit alors littéral ou sémique. Les trois chapitres à suivre sont destinés à exposer et désambiguïser l’ensemble de ces étapes en partant du plan théorique vers le plan pratique, telle est le projet de notre Analyse Littérale du Coran.

Nous l’avions souligné en notre introduction, l’objet de cette recherche est en apparence simple, quoi de plus évident que le sens de deux mots aussi connus que dîn et islâm. Certes, et si nous devions nous cantonner aux lexiques, il en serait ainsi. Mais, titrant que leur étude aurait lieu « dans le Coran », se pose alors la signification de ces termes dans le texte qui les présente, leur contexte textuel au sens large. Et, pour paraphraser Friedrich Ast,[1] ce qui n’était qu’un fragment, un signe isolé, devient une partie d’un tout et ne serait dès lors compréhensible qu’en fonction de ce tout, le Coran, texte dont le sens est lui-même tributaire de la signification de ses parties. L’existence de cette circularité dite herméneutique justifie avec acuité toute la difficulté de la détermination du sens, de la compréhension, du possible et de l’improbable, du certain et du probable, de l’ontologie d’une vérité textuelle. C’est la conscience de ce phénomène herméneutique qui fonde la réflexion propédeutique introduisant notre recherche. Toutefois, admettre à priori la conclusion conventionnelle issue du discours herméneutique contemporain, à savoir : il n’y a pas de vérité du texte, mais seulement des interprétations, aurait été produire une énième suite d’interprétations, attitude sans valeur probante. L’étude de sens in texto de nos deux termes-clefs nécessitera donc de notre point de vue la détermination d’une entité rare et fort discutée : le sens littéral qui, une fois identifiée, imposera en retour l’élaboration d’une méthodologie adéquate à même de l’établir rationnellement, tel est l’objet de la présente Partie I.

  1. Pour quelle herméneutique ?

Bien que notre travail porte sur le Coran, ce n’est pas à l’herméneutique des textes sacrés, l’interpretatio des anciens, à laquelle nous faisons allusion. L’herméneutique ne serait là que l’ensemble des règles d’interprétation présidant à l’exégèse, exégèse destinée à éclaircir ce qui serait obscur,[2] l’ars interpretandi de la Thora, de la Bible et du Coran. De même, il ne s’agira pas de la méthodologie herméneutique structuraliste des sémiologues, des sciences humaines, de la philosophie ou de la psychanalyse que Michel Foucault définissait ainsi : « l’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leurs sens. »[3] Ce n’est pas tant l’aspect méthodologique qui présentement nous importe, aussi entendrons-nous par herméneutique une théorie de la sémiosis ou émergence du sens. Non pas tant sous l’angle fondamental de la sémiotique, elle s’applique à tous types de signes, mais selon une application particulière de l’herméneutique holistique : Quid du signe langagé et, plus particulièrement, de sa forme fixée, l’écrit ? Comment le sens naît-il de la rencontre entre un texte et un lecteur ? Quels sont les processus mis en œuvre lors de la lecture signifiante ? Qu’en est-il des conditions de réception du texte et de la construction du sens ? Quel rôle attribuer à l’auteur, au texte, au lecteur ? Quelles sont leurs fonctions respectives ? Quelles limites d’action, d’influence, d’inférence et d’interférence entre ces différents partenaires ?

En synthèse, ces interrogations renvoient quant à notre sujet à une phénoménologie de la lecture, c’est-à-dire les mécanismes à l’œuvre lors du surgissement du sens : « l’événement de la compréhension »,[4] une étude du rapport au texte : « l’expérience herméneutique » telle que l’entendait Gadamer.[5] L’herméneutique qui nous préoccupe n’est donc pas l’art d’interpréter, mais l’étude du processus d’interprétation et, plus exactement encore, l’analyse de sa fonction dans l’acte de lire. Cette investigation est le préalable requis à la conception théorique de notre hypothèse de sens littéral ainsi qu’à l’élaboration des outils méthodologiques rendant possible sa détermination. Comme le rappelle Jean Greisch, cette herméneutique peut être définie « comme la théorie des opérations de la compréhension dans l’interprétation des textes ».[6]  Il ne s’agit pas là des mécanismes cognitifs impliqués, mais de ce qui relève, lors du transfert de l’information textuelle vers le lecteur, des échanges interprétatifs dus à sa propre démarche d’acquisition : les processus infraliminaux qui déterminent la saisie de sens. Il en sera au demeurant de même lors de l’encodage du sens par l’auteur.

Plus largement, comme nous le verrons, ces intrications cognitives et leurs circularités ont imposé progressivement l’herméneutique en tant qu’épistémè universelle et, comme l’énonça Gadamer,[7] sa tâche sera alors « d’élucider ce miracle de la compréhension qui n’est pas communion mystique des âmes, mais participation à une signification commune. »[8] Comment lit-on le monde ? Ainsi contingenté, notre questionnement herméneutique sera plus précisément encore : comment définir ou appréhender les interactions permanentes et leur circularité, les rapports interactifs entre signes de l’auteur, signifiants du texte et signifiés générés par le lecteur ?[9]

  1. De la théorie herméneutique

Qu’est-ce que le sens ? Interrogation ontologiquement liée à la détermination du vrai : qu’est-ce que la vérité ? En l’occurrence et en application : la vérité d’un texte. Nous savons à l’heure actuelle que l’herméneutique en tant qu’entreprise du sens par excellence a, selon l’aboutissement de sa propre trajectoire, implosé de par la charge déconstructiviste qu’elle portait initialement en son sein. Le « sens de tout » et la vérité objective du positivisme deviennent le « tout se vaut »,[10] aphorisme dont l’accomplissement relativiste pourrait être un dogmatique : « rien n’a de sens ». Le radicalisme nietzschéen du « tout n’est qu’interprétation »,[11] qui n’était encore que perspectiviste, s’en trouve ici outrepassé, car même le non-sens suppose alors qu’il y ait un sens. Le bref survol de la nébuleuse herméneutique que nous allons opérer n’aura ainsi comme modeste ambition que de mettre en évidence les limites systémiques de la question et ses rapports principiels avec la notion de vérité. Interrogation fondamentale s’il en est, mais qui appliquée au sens textuel sera à même de nous permettre de proposer, pour le Coran s’entend, des règles méthodologiques d’établissement du sens littéral en tant que vérité textuelle. S’agissant d’un texte comme le Coran, l’on comprend aisément que la question de la vérité du texte soit capitale. Ceci précisé, ce n’est donc pas uniquement pour des raisons didactiques que notre approche épousera les traits d’une histoire téléologique de l’herméneutique, puisqu’il se pourrait que l’idée même d’une telle histoire ne soit qu’une interprétation reconstructive.[12] Notre approche analytique et critique sera organisée comme suit :

a. Herméneutique magique ; – b. Herméneutique dialectique ; – c. Herméneutique exégétique ; – d. Herméneutique musulmane ; e. Herméneutique réformée ; f. Herméneutiques spécialisées ; – g. Herméneutique générale ; – h. Herméneutique philosophique ; – i. Herméneutique universelle ; – j. Herméneutique structuraliste ; k. Herméneutique déconstructiviste ; – l. Herméneutique constructiviste. Comme l’indique le titre de chapitre, ce panorama de l’herméneutique n’a en réalité pour autre objectif que de clarifier la notion de vérité, en retracer l’évolution et montrer ainsi que vérité du monde et vérité du texte sont intimement liées par nos conceptions herméneutiques de la compréhension.

  1. 2. a – Herméneutique magique

« La lecture est plus vieille […] que l’écriture […] La lecture débute avec l’examen du monde qui nous entoure. Elle commence avec la reconnaissance d’évènements répétés comme le tonnerre, la foudre, la pluie. Elle commence avec les saisons et la croissance de choses. Elle commence avec cette douleur sourde qui disparaît avec de la nourriture et de l’eau. Elle survient quand le temps est enfin découvert. Lire commence avec la manipulation des signes. »[13] De cette sémiotique première, celle des signes[14] du monde et de soi au monde, l’on pourrait percevoir, non pas les prémices d’une herméneutique philosophique, mais sa figuration dès l’origine, celle du Dasein. Néanmoins, faudrait-il l’indiquer, il ne s’agit là que d’ethnographie spéculative, une mythologie d’homme moderne qui ne peut réellement tenir lieu de preuve. Cependant, si l’on admet que la fonction symbolique de l’animisme résiduel lu à la lumière de nos rétroprojections est un témoin même partiel de la “pensée sauvage”, alors la lecture du monde, l’herméneutique primitive, traduisait le cercle initial, un univers d’interprétation interprétant le monde et l’homme comme sujet interprétant.

  1. 2. b – Herméneutique dialectique

 Selon une autre origine choisie fort conventionnellement, nous pourrions constater que la célèbre maxime tronquée du sophiste Protagoras : « L’homme est la mesure de toute chose »[15] ouvre à nouveau le débat tout comme elle en formule le terme actuel. La vérité ne serait ainsi que relative et, comme Platon le fit dire à Socrate : « La vérité de Protagoras ne serait vraie pour personne, ni pour un autre que lui, ni pour lui. »[16] De fait, pour Platon [428-347 av. J.-C.], si la vérité n’est effectivement pour ce monde sensible qu’illusions, au rang desquelles il classe l’hermènia,[17] c’est qu’il existe une Vérité au monde intelligible, celui des Idées pures, immuables et éternelles, dont notre réalité ne serait qu’apparence. La Vérité absolue serait donc accessible par ce qu’il nomme la noèsis : l’intellect immédiat. “L’idéalisme” de Platon semble alors répondre au relativisme de Protagoras que l’Idée est la mesure vraie de toute chose. Aussi, Aristote sera-t-il plus “sensibiliste”[18] que son maître et admettra que la vérité est une adéquation entre notre jugement et une réalité. Cette position, ayant connu un contemporain regain d’intérêt,[19] passera à la postérité sous la forme latine suivante : « véritas est adaequatio rei et intellectus »,[20] ce qui suppose de principe une congruence entre la ratio cognoscendi et la ratio essendi, une coïncidence entre la connaissance et l’Être. Ainsi, le rationalisme grec pose-t-il que connaître est connaître par la cause,[21] principe de causalité qui exclut toute circularité herméneutique, la vérité du texte sera la recherche d’une adéquation à l’origine. En conséquence, Aristote élaborera des règles logiques relatives aux divers modes de raisonnement et en particulier au langage,[22] lesquelles constitueront durablement le socle de l’herméneutique exégétique. Il faudra attendre la révolution herméneutique heideggérienne pour, à la suite de Kant, renverser la conception aristotélicienne, la vérité devenant en quelque sorte la connaissance des conséquences de l’être.

  1. 2. c – Herméneutique exégétique

Sans doute est-ce trois siècles plus tard que les besoins de la traduction vers l’araméen de la Thora hébraïque, les targumim, nécessitèrent d’inscrire la « vérité du texte » dans l’exégèse, l’art de comprendre et d’interpréter le texte sacré. La Thora en tant que Parole de Dieu en revêtait de facto les attributs : le Texte est alors Vérité absolue, immuable et éternelle, les trois critères ontologiques de l’Idéal-Un platonicien.[23] Puis, Augustin d’Hippone [354-430] reformulera clairement ce modèle en sa transposition patristique et ses conséquences : les vérités essentielles sont en Dieu, elles en constituent le Verbe.[24] L’accès au sens de la Parole divine révélée n’en devint que plus impérieux, d’autant que la longue pratique exégétique judaïque avait précisément montré qu’un texte pouvait présenter plusieurs niveaux d’interprétation.[25] Il était donc attendu que l’exégèse biblique dut à sa suite développer une théorie du sens graduant notre perception de la Vérité du Texte, Parole de Dieu, de l’apparent au secret, du profane au sacré. Ce sont là les quatre sens de l’Écriture du Moyen-âge scolastique : littera, allegoria, tropologia, anagogia.[26] Mais, paradoxalement, la polysémie ainsi générée n’exprimerait-elle pas que des vérités relatives au sens où l’entendait Platon ? Thomas d’Aquin [1224-1274] entre autre lecteur critique d’Aristote, notamment par l’intermédiaire d’Ibn Rushd [1126-1198],[27] semble en avoir pris conscience et remania en conséquence le concept des quatre lectures selon un tour que l’on peut qualifier d’aristotélicien. À cette fin, il reprend vis-à-vis de l’Écriture la division binaire d’Augustin : sens littéral et sens spirituel, soit la lettre et l’esprit du texte.[28]  Mais, si le sens spirituel demeure classiquement triparti,[29] d’Aquin distingue de plus trois aspects du sens littéral qui de la sorte peut être déterminé en fonction des cas par l’étiologie historique,[30] l’analogie intertextuelle[31] ou la portée parabolique.[32] Le littéral se distingue ainsi pour la première fois du littéralisme/ad litteram, point capital sur lequel nous reviendrons.[33] Pour Thomas d’Aquin, le sens littéral, s’il peut être multiple, n’en est pas moins autre que : « celui que l’auteur entend signifier ».[34] Il ajoute par ailleurs que « la signification par laquelle les choses signifiées par les mots signifient encore d’autres choses, c’est ce qu’on appelle le sens spirituel lequel est fondé sur le sens littéral et le suppose »,[35] ce qui selon la logique thomiste revient à dire que de la sorte Dieu garde la maîtrise de la polysémie des lectures. Pour D’Aquin et l’Église, ces vérités multiples émanaient de l’Église elle-même et constituaient la Vérité définie par cette communauté interprétante pure et parfaite représentante de la Vérité divine, aporie de la circularité herméneutique parfaitement assumée.

  1. 2. d – Herméneutique musulmane

Il pourrait sembler artificiel d’individualiser le sujet de l’herméneutique musulmane classique car, historiquement, l’exégèse coranique s’est construite sur des principes aussi bien judaïques que chrétiens,[36] notamment par le biais des sources syriaques ainsi que du contact permanent interreligieux. Bagdad, Bassora et Damas en furent les foyers les plus renommés. Parallèlement, les œuvres d’Aristote et des néo-platoniciens ont été traduites vers l’arabe dès le VIIIe siècle, mouvement qui connut son apogée sous le règne du sixième calife abbasside Al Ma’mûn [début IXe siècle] au sein de la célèbre bayt al–ḥikma fondée par son père Hârûn ar–Rachîd. L’ensemble de ce corpus fournit la majeure part des outils théoriques et pratiques de l’exégèse musulmane, ce qui explique la grande parenté entre la démarche herméneutique de l’Islam et celle de l’exégèse médiévale biblique. De la sorte, et pour schématiser à l’extrême, lorsque Tabari [fin IXe siècle] assied les bases de son ta’wîl[37] sur l’herméneutique du bayân[38] et le rapport de données transmises, il est en cela proche de l’exégèse juive. Quand Ar–Râzî [XIIe siècle] cherche à établir plus ou moins systématiquement les quatre sens de l’écriture en sa monumentale exégèse du Coran,[39] il est par contre conforme à l’exégèse biblique chrétienne d’alors. Si le premier réalisa la somme exégétique de l’orthodoxie, le second en fut en quelque sorte la clôture. Les autres commentaires de l’âge classique se situent entre ces deux pôles, y compris le tafsîr bi-l–ishâra ou explication de l’alludé, fréquent en exégèse mystique. L’exégèse musulmane étant fondamentalement aristotélicienne, connaître le sens estpour elle connaître les causes, et Dieu étant la cause première de la Révélation, cause unique incommensurable et infinie, l’herméneutique musulmane suppose donc une Vérité divine demeurant par essence inatteignable, inconnaissable. Le Coran en tant que bayân, exposé de faits linguistiques, n’est ainsi pas à même de révéler la totalité du sens, voire le sens réel comme l’atteste la référence appuyée et récurrente au verset suivant : « …ne connaît [du Coran] son sens premier/ta’wîl[40] que Dieu. Et ceux qui sont enracinés dans la connaissance disent [seulement] nous portons foi en lui [le Coran], tout provient de notre Seigneur… »,[41] ce qui exclurait de facto que les hommes puissent accéder pleinement au sens coranique. Corollairement, cette herméneutique se donne pour infinie : « Les secrets [c’est-à-dire les sens subtilement inclus] de la Parole de Dieu sont infinis, et si la mer était encre et les arbres calames, elle s’assécherait et ils disparaîtraient bien avant que ces secrets ne soient épuisés. »[42]

Cette herméneutique de l’infini fit et fait encore consensus. Nous noterons que cette infinité de sens n’est pas superposable à celle qui résulte de l’herméneutique déconstructiviste contemporaine. En effet, si la première renvoie à la cause, c’est-à-dire à l’amont du texte : l’Auteur, et procède ainsi d’une opération reconstructrice, la seconde pose que l’infinité de l’interprétation repose sur la capacité interprétative du lecteur et relève donc d’une activité déconstructrice. Il est curieux de constater que la pensée réformatrice moderne en Islam se revendique de l’infinité de la Parole divine comme champ d’autres possibles alors qu’elle s’inspire en réalité des influences nihilistes du déconstructivisme. Nous voyons là une des raisons fondamentales justifiant de l’inadéquation de l’étiquette néo-mutazilite accolée à la catégorie dite des « nouveaux penseurs ».[43]

  1. 2. e – Herméneutique réformée 

Or, lorsqu’une vérité de sens est dogmatiquement établie, les points d’entrée du cercle herméneutique sont suturés, aucun accès direct au sens du texte n’est possible, le texte n’exprime que le paradigme exégétique qui préside à sa lecture. Le phénomène herméneutique fonctionne alors comme un verrou exégétique. Conséquemment, face à l’autorité de l’Église dont la Pierre angulaire était le Texte, mais dont la lecture n’était plus qu’une vaste allégorèse, l’avant-garde de la Réforme, hors sa contestation de la primauté papale,[44] aura été fondamentalement l’exigence d’une révolution textuelle et, de ce fait, elle généra une réforme herméneutique majeure. Des précurseurs[45] à Martin Luther et Jean Calvin, la priorité textuelle de la Bible, l’exigence de la Sola Scriptura, aboutit à un principe exégétique précis : Sacra Scriptura sui ipsius interpres : la Sainte Écriture est son propre interprète. Ce recours à la préséance du Texte par le retour à la littéralité et par refus des interprétations doxiques avait sans nul doute comme projet une unité de sens, primitive et supposée primordiale, l’existence évidente d’un sens littéral initial. Mais, et ce n’est point un paradoxe herméneutique, ce mouvement généra au contraire une multiplicité d’interprétations de la Bible. De plus, la traduction étant au cœur de la réforme protestante, il s’avéra que l’individu lecteur pouvait alors jalonner son propre parcours de sens vers une signification potentielle, la sola scriptura dévoila l’existence d’un « solus lector » et, conséquemment, d’une riche efflorescence d’interprétations. Ce constat amena les premiers théologiens réformés comme Matthias Flach[46] à s’interroger non plus sur le sens à donner, l’exégèse biblique, mais sur la régulation du sens et donc sur les mécanismes donneurs de sens, réflexions préfigurant l’herméneutique en ses acceptions contemporaines. John Locke [1632-1704], lui aussi protestant, abordera les confusions entre l’intention de l’auteur et celles du lecteur.[47]  C’est ainsi que reviendra au luthérien strasbourgeois Johann Conrad Dannhauer [1603-1666] le premier emploi du semi-néologisme hermeneutica[48] et, tout spécialement, d’avoir posé les bases d’une herméneutique que l’on pourrait qualifier de générale.[49] Pour autant, conformément à la direction exégétique de la Réforme, il défend contre l’interprétation allégorique la détermination du sensus litteralis, sens littéral reposant sur l’établissement d’une vérité herméneutique, c’est-à-dire ce que l’on comprend comme étant signifié, et d’une vérité logique cherchant à vérifier si cela est vrai ou non.[50] Cette notion de logique probante centrale à la vérité herméneutique ouvrira la voie à la constitution d’une herméneutique générale par l’intermédiaire du développement des herméneutiques dites spécialisées.

  1. 2. f – Herméneutiques spécialisées

 Les XVIIe et XVIIIe siècles verront dès lors fleurir une riche réflexion herméneutique dont la reconnaissance historique a été récemment remise à l’honneur. L’importance de cette filiation herméneutique avait été occultée, notamment suite à la thèse historique de Dilthey[51] et au rôle clef que les développements postérieurs de l’herméneutique philosophique lui conférèrent.[52] Toutefois, il n’y a rien d’étonnant à ce que ce « cogito herméneutique »[53] puisse avoir été corollairement suscité par l’émergence paradigmatique du distinguo descartien entre connaissance et science. Aussi, ses acteurs furent-ils souvent théologiens et rationalistes, citons Descartes, Hobbes, Spinoza, Newton, Wolff, Leibniz, Kant, l’on pourrait alors parler « d’herméneutique rationnelle ».[54] Mais, là encore en lien avec le milieu protestant, il y eut tout autant une approche théologique et philologique, mentionnons Bayle, Meier, Chladenius, Clauberg, Thomasius, Crusius, Lambert, Reimarus. L’on doit à Christian Wolff [1679-1754] d’avoir pointé avec modernité la relativité de la vérité de l’interprétation en tant que mécanismes donneurs de sens.[55] Par ailleurs, sous l’influence déterminante de la philologie critique, la vérité d’un texte n’est plus conditionnée par son statut externe : révélé, sacré ou légal, mais par sa nature propre, son ontologie textuelle,[56] rapport au texte dont nous assumerons le principe s’agissant de notre approche littérale du Coran. Si ce nouveau positionnement s’exprima principalement en cette période sous la forme d’herméneutiques spécialisées : philologie, droit, technique, science, théologie, les fondements préscientifiques de ces approches ouvrirent la voie à une recherche de la vérité à la lumière de la raison et non plus de la croyance. Cette réflexion, tout en le fragmentant, étendra considérablement le champ de la vérité et supposera progressivement à la vérité une courbe asymptomatique. L’ère de l’Encyclopédie, en œuvrant à « l’enchaînement des connaissances »[57] et à leurs rapports analogiques « en allant du connu à l’inconnu »[58] participe de la question du sens et préfigure par elle-même une herméneutique générale[59] que l’on pourrait peut-être inférer de cette formule due à Diderot : « Toute science, tout art, a sa métaphysique. »[60]

  1. 2. g – Herméneutique générale

À l’aube du XIXe, Friedrich Von Schlegel, héritier des Lumières et de l’Aufklärung et acteur aux origines du romantisme allemand, se plaît à rêver au-delà de la philologie[61] à un « philosopher infini »,[62] mais sans pour autant le théoriser. Il en sera de même de son proche ami Friedrich Schleiermacher [1768-1834] qui saura cependant élargir le cadre “exégétique” et préparer au paradigme d’une herméneutique générale. Son intérêt premier fut de « fonder une exégèse adéquate du Nouveau Testament »,[63] ce qui confirme que l’histoire de l’herméneutique est loin d’être aussi linéaire et idéalisée que son hagiographie veut bien le présenter. Toutefois, il est admis que Schleiermacher postula la nécessité d’une théorie de la compréhension : « L’herméneutique en tant qu’art de comprendre »,[64] c’est « envers de la grammaire »[65] dont il jugeait qu’elle n’existait pas encore sous forme générale : « seules existent plusieurs herméneutiques spéciales ».[66] Pour autant, un F.-A. Wolf énonçait déjà : « L’herméneutique enseigne à comprendre et à expliquer les pensées des autres d’après leurs signes. La compréhension a lieu quand dans l’âme du lecteur les représentations et les sentiments s’éveillent selon l’ordre et la liaison présents dans l’âme de l’auteur. »[67] La valeur normative des « signes » est ici dépassée, mais la vérité du texte reste encore toute aristotélicienne puisque la compréhension y est définie comme la concordance entre le lecteur et l’auteur.

Cette relation est toujours à l’œuvre dans la définition de l’herméneutique que donne Schleiermacher : « elle est une méthode dont les règles, partant du simple fait que constitue l’acte de comprendre, sont développées dans une structure cohérente à partir de la nature du langage et des conditions fondamentales de la relation entre celui qui discourt et celui qui perçoit. »[68] Néanmoins, ce n’est que de manière éparse en son œuvre que Schleiermacher exprimera l’intuition d’une méthode générale que l’on pourrait globalement qualifier d’interprétation et dont la finalité serait de « chercher à comprendre aussi bien que l’auteur »[69]  et, pour ce faire, «  se rendre capable de se libérer de son état d’esprit propre pour adopter celui de l’auteur… ».[70] En outre, cette formulation précise qu’il s’agit par cette démarche de comprendre « mieux que l’auteur »[71] et Schleiermacher l’explicite ainsi :  « nous pouvons et devons amener à la conscience claire ce qui pour l’auteur lui-même demeurait inconscient à ses yeux ».[72] Alors qu’il ne s’agit objectivement là que de prémices, sans doute est-ce en ce dépassement de l’auteur que la reconstruction historique de l’herméneutique verra en Schleiermacher un des fondateurs de l’herméneutique philosophique.[73] Un texte n’aurait donc plus comme seule finalité d’apporter la vérité de l’auteur, son intention, mais de délivrer la vérité du lecteur. Ce processus d’ampliation du sens est nécessairement interprétatif et pourra s’avérer infini.

  1. 2. h – Herméneutique philosophique

À l’horizon du XXe siècle, Dilthey écrit : « nous appelons herméneutique l’art de comprendre les expressions de la vie fixée par l’écriture. »[74] Tout comme pour Schleiermacher, le lien avec l’herméneutique exégétique protestante est encore présent, mais la notion « d’expérience de la vie » traduit l’intérêt de Dilthey [1833-1911] pour les sciences humaines naissantes. C’est en les dégageant du positivisme qu’il parviendra à un véritable élargissement de la pensée herméneutique et en fixera l’objet essentiel : la compréhension, qu’il définira comme suit : « Nous appelons compréhension le processus par lequel nous connaissons un “intérieur” à l’aide de signes perçus de l’extérieur par nos sens ».[75] Or, celle-ci n’est possible que de par l’interaction entre l’observé et le sujet, échanges qui ne sont pas linéaires puisque « la compréhension résulte donc du tout, qui résulte pourtant lui-même du détail »,[76] phénomène qu’il qualifiera de « cercle herméneutique ».[77] Si donc la compréhension de tout texte passe par une série interactive d’interprétations de signes, il en sera de même de toute œuvre et, par extension, de la compréhension du fait sociétal et humain, de la réalité. L’herméneutique est encore générale, mais en tant qu’interprétation du monde elle est en voie de devenir philosophique ; il ne s’agira plus de comprendre, mais de « comprendre la compréhension ».[78] La vérité devient un système d’explication et non une chose en soi. Par suite, Heidegger [1917-1976], qui fut d’abord un commentateur d’Aristote, réinterpréta la problématique de l’ontologie de l’être aux lumières de la théologie catholique et de la révolution kantienne. Pour Kant, le sens n’était plus en la cause, mais « était à priori immanent à la pensée du soi fini »[79] et, par voie de conséquence, la vérité « n’a pas son lieu originaire dans la proposition ».[80]  Heidegger fait toutefois observer que le sens est ainsi l’acte d’une transcendance métaphysique immanente au sujet.[81] Ce faisant, il dépasse définitivement l’horizon technique des herméneutiques spécialisées et de l’herméneutique générale pour axer la réflexion sur l’existentialisme ontologique, le Dasein, ou l’étant de l’être.[82] Ce n’est plus l’objet qui est sujet de l’herméneutique, mais le sujet qui est lui-même objet d’une herméneutique, toute compréhension est compréhension de soi. Heidegger traitera donc plus précisément du « cercle de compréhension/Zerkel des verstehens »[83] qu’il définira ainsi : « il est l’expression de la pré-structure de l’existence même ».[84] Le projet heideggérien n’est rien moins qu’une métaphysique de l’être, le cercle herméneutique se réfère alors à l’interaction entre compréhension de soi et compréhension du monde, là se situe la vérité. L’herméneutique devient ontologico-phénoménologique,[85] acquérant de facto le statut de sa nouvelle ambition : une herméneutique philosophique. Elle visera à fournir une théorie générale des conditions ontologiques de la compréhension, ce qui aura pour effet progressif de l’éloigner de la validation d’une vérité de l’interprétation et, concernant notre sujet, de la recherche d’une vérité textuelle.

  1. i – Herméneutique universelle

La pensée philosophique et herméneutique de Hans-Georg Gadamer [1900-2002] a profondément marqué l’époque contemporaine et demeure toujours d’actualité en cette période poststructuraliste. Disciple de Heidegger, il sera le principal théoricien de l’herméneutique de son maître. Suivant une démarche moins essentialiste, il pragmatisera l’herméneutique philosophique en développant en termes kantiens une « doctrine universelle de la compréhension et de l’explication »,[86] lui fournissant ainsi une dimension universelle. Il conceptualisera l’acte de comprendre en le généralisant à toute forme d’interaction entre l’homme et le monde. Contre le cartésianisme, il soutint que toute connaissance de la vérité est impossible et que la compréhension ne peut se limiter à des processus de cognition, comprendre est « le mode d’être de l’Être »,[87] modalité qui réalise ce que Gadamer nomme « l’expérience herméneutique ».[88]  Pour lui, « le langage est le médium universel dans lequel s’opère la compréhension », le langage s’entendant ici au sens gadamérien du terme : « le rapport de l’homme au monde est tout simplement et fondamentalement langage et donc compréhension ». Il postule ainsi du cercle herméneutique le plus universel qui soit. Conséquemment, « le phénomène herméneutique n’est absolument pas un problème de méthode »[89] et l’herméneutique de Gadamer « se veut une phénoménologie et non une méthodologie de l’interprétation ».[90] Sans prétendre résumer la théorisation gadamérienne, l’herméneutique universelle appliquée à la compréhension textuelle repose sur deux process essentiels : la marche des préjugés et l’interprétation, notions nouvellement définies qui marqueront radicalement l’herméneutique moderne. Nous indiquerons que par préjugé[91] l’on doive entendre la précompréhension ou présupposition[92] par laquelle nous entrons dans le cercle des compréhensions.[93] Le lecteur n’est plus un récepteur neutre d’un sens que le texte véhiculerait, mais il est un interprétant à qui revient l’initiative à partir d’une pré-position relevant d’une pré-connaissance ou pré-supposé. Par suite, il découvre par étape ce que le texte aurait à lui dire, approche inchoative dont la motion est questionnement, questions que pose le texte au lecteur et questions qu’il lui pose. En cet échange permanent entre le texte et son lecteur se réalise le processus d’interprétation, une dialogique alors synonyme de compréhension. Gadamer dénomma cette construction participative interprétation ou auslegung. L’interprétation en tant que mécanismes donneurs de sens est de la sorte la compréhension elle-même, ce qu’il exprima en ces termes : « comprendre, c’est toujours interpréter ; en conséquence, l’interprétation est la forme explicite de la compréhension. » Subséquemment, il n’y aurait pas de texte sans interprétation, autrement dit « sans déploiement de son sens par un interprète ».[94] Gadamer postule ainsi que la vérité ne serait qu’interprétations. Est alors consommée une double rupture épistémologique ; rupture d’avec la vérité scientifique : il n’y a pas de vérité cognitive qui serait distincte de la vérité de l’Être et donc de la subjectivité ; rupture d’avec la tradition herméneutique exégétique : du sens il n’y a ni science ni méthode, seulement une expérience.[95] Par suite, l’on aurait pu s’attendre à une désacralisation de la vérité herméneutique, mais l’universalisation de l’herméneutique renvoie à une vérité toujours asymptomatique, une quête de sens qui n’a plus alors pour objet l’infini divin au travers du texte sacré, mais celui de l’esprit humain. Une Vérité inconnaissable qui pourrait de ce fait accueillir l’ensemble de nos vérités ce qui permettrait un éternel renouvellement de sens. Ceci éclaire l’herméneutique philosophique heideggérienne : nous nous interprétons en interprétant les textes, c’est en cela que l’herméneutique gadamérienne est profondément universelle. Sous certains aspects, l’on peut ici oser un parallèle avec la conception herméneutique exégétique musulmane, tant classique que moderne, postulant de deux infinis : ceux de l’émetteur divin et du récepteur humain, nous l’avions partiellement évoquée au paragraphe consacré à l’herméneutique musulmane. Concernant notre méthodologie d’analyse littérale du Coran, nous montrerons qu’il existe une autre voie d’abord du texte que la marche en avant interprétative théorisée par Gadamer. Nous retiendrons cependant l’importance du préjugé gadamérien dont la réalité impose méthodologiquement une stratégie de court-circuitage.

  1. 2. j Herméneutique structuraliste

L’origine de ce mouvement est linguistique, la théorie des systèmes de De Saussure[96] ou de Edward Sapir et Troubestkoy entre autres. Mais c’est sans doute de la tentative de réintégration des sciences sociales au sein du concert des sciences « pures », après sa disqualification impulsée par l’herméneutique universelle,[97] que naîtra l’herméneutique structuraliste. En témoigne l’impact du paradigme structural anthropologique développé par Lévi-Strauss.[98] Par suite, la pensée structuraliste appliquée à divers modèles[99] domina le monde intellectuel des années soixante pour achopper définitivement au coin de ses propres apories une décennie plus tard. Fondamentalement, deux évènements vinrent après coup endeuiller puis enterrer cette herméneutique, la mort de l’auteur et la mort du texte. Au premier, Foucault et Barthes réservèrent un sort funeste : « la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’auteur ».[100] Formulé autrement : « Écrire, c’est ébranler le sens du monde…».[101] Renversant renversement de perspective, l’auteur serait construit à partir de ses écrits et non l’inverse. Du second, l’approche structuraliste par un processus d’encodage analytique systémique[102] le réduit au silence et, en ce cas, « le texte n’a plus pour office que de communiquer un message sur la communication ».[103]

  1. k – Herméneutique déconstructiviste 

C’est aux limbes de l’herméneutique structuraliste que nous situerons l’herméneutique déconstructiviste, voire postmoderniste, qu’il ne serait donc pas précisément juste de qualifier de poststructuraliste,[104] autant d’étiquettes flottant au gré des spéculations intellectuelles. Ce phénomène de dérive a été amplifié par le fait que cette approche toucha divers domaines tels que l’architecture, l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, les arts, la politique, etc. Après la disparition de l’auteur et de son texte, seul le lecteur demeure, il sera l’unique protagoniste et, en posture œdipienne, il devra, plus qu’il ne le pourra, interpréter librement le texte, au sens commun du verbe, selon ses intentions propres et sa capacité imaginative.[105] Derrida[106] est sans doute le chantre et l’icône emblématique de cette pensée déconstructiviste.[107] Il aura enfoncé la porte déjà ouverte d’une lecture interprétative libérée de toute contrainte textuelle puisque, conformément à la sémantique saussurienne, c’est de la différence que naîtra le sens,[108] voire par le jeu infini de la “differance”.[109] Une lecture en creux qui ne s’intéressa qu’aux non-dits du texte, l’impensé entre les mots, comme  « mesurant le silence »,[110] de grands espaces s’offrant alors au “lecteur”. L’on ne notera plus la polysémie du signe, mais celle de l’interprétant interprétant. Porté à son paroxysme épistémologique, le déconstructivisme nia ainsi au signe toute vérité et tout « signifié transcendantal »,[111] en d’autres termes : la mort textuelle ; le néant ? En ces conditions, le texte n’est que prétexte : « … c’est dans le texte de Proust lui-même que Miller [Hillis] trouve ce qu’il invente, à savoir un nom et un concept qu’il va ensuite faire travailler […] bien au-delà de cette œuvre. »[112] La radicalité de ces positions, une fois menées à leur acmé logique suscitera de nombreuses critiques,[113] citons : « le déconstructivisme est essentiellement une entreprise individualiste et destructive. Les efforts compulsifs du déconstructivisme pour démolir les fondements de l’Autre et du Soi tout à la fois vont trop loin sans remettre quoi que ce soit à la place ; implicitement, ils donnent lieu au nihilisme. »[114] Après la mort de l’auteur et celle du texte, l’échec du dialogue avec Gadamer[115] laissait craindre qu’il ne s’agisse là des funérailles du lecteur, l’impasse du sens par le non-sens de l’excès de sens.

  1. 2. l – Herméneutique constructiviste

Nous étions là au bord d’un gouffre nihiliste où l’on put écrire que « les interprètes ne décodent pas les poèmes, ils les font ».[116] Face à une pensée sans sujet, une ontologie du néant textuel et à la vocation à « l’impérialisme scientiste »[117] du structuralisme ainsi qu’à sa propension à développer « un genre d’intellectualisme foncièrement antiréflexif, anti-idéaliste, anti-phénoménologique »,[118] une réaction herméneutique fut amorcée. Le cantonnant à l’herméneutique textuelle, ce mouvement a pour nous double sens : d’après l’acception large du constructivisme,[119] auquel cas il est aussi qualifié de poststructuraliste, et selon une posture plus nuancée cherchant à reconstruire le sens après le désenchantement déconstructiviste postmoderne. L’on admit donc que le lecteur soit l’interprète, celui qui effectivement réalise « l’exécution active de la partition que représente le texte »,[120] mais ceci afin de réhabiliter le texte, le signe. Nous faisons nôtre cette approche et, en cette perspective, nous évoquerons deux figures importantes de l’herméneutique que nous dénommons constructiviste :

– Paul Ricœur, lui aussi inscrit dans la longue lignée des philosophes protestants, fut un acteur majeur de la scène herméneutique contemporaine. Nous ne nous hasarderons pas à résumer son complexe univers, mais observerons qu’il se dégagea progressivement du déconstructivisme[121] et développa une théorie herméneutique constructiviste réintégrant sous certains aspects « l’intelligence du texte au sein d’un parcours de sens ».[122] Il s’oppose ainsi au structuralisme et avance la question en ces termes : « Comment l’intelligence de la structure instruit-elle l’intelligence de l’herméneutique tournée vers une reprise des intentions signifiantes ? » Pour Ricœur, « l’herméneutique est une lecture du sens caché dans le texte du sens apparent ».[123] Rejoignant l’essentialisme heideggérien, il postule que « comprendre, c’est se comprendre devant le texte », mais à la manière de Gadamer il précise que cela n’est « point imposer au texte sa propre capacité finie de comprendre, mais s’exposer au texte et recevoir de lui un soi plus vaste ».[124] Il s’agit donc de « comprendre le texte à partir de son intention, sur le fondement de ce qu’il veut dire » et non pas de « ce en vue de quoi il a été écrit ». [125]

– Umberto Eco est sans doute un des plus inclassables penseurs de la fin du XXe siècle, aussi habile que labile. Son herméneutique d’essence peircienne est constructiviste, elle vise la production de sens, et elle est sémiotique : « le Message équivaut au Signe »,[126] autrement dit, le signe médiatise les interprétations.[127] Ce positionnement s’exprime pleinement en sa théorie sémio-herméneutique des trois intentions : intentio auctoris ; intentio operis ; intentio lectoris.[128] Du fait que nous exploiterons ces trois notions lors de notre modélisation générale de la compréhension lors de la lecture,[129] nous nous attarderons présentement sur cette représentation. L’intentio auctoris est, à la lettre, l’intentionnalité de l’acteur rédactionnel en son texte et sa volonté de conduire le lecteur vers son point de vue. Ici, lire est l’opération visant à « rechercher l’intentio auctoris »,[130] chercher dans le texte ce que l’auteur voulait dire en fonction des instructions qu’il y a en quelque sorte “engrammées”. L’intentio operis évoque le texte en sa fonction d’opérateur. Le texte est sous cet aspect un objet non fini en soi et restant à mettre en œuvre. Lire en ce deuxième volet est « chercher dans le texte ce qu’il dit », c’est-à-dire par le repérage de structures qui lui sont immanentes. C’est en cela que le texte est dit opératif, mais que pour autant il ne peut ontologiquement s’opposer à la subjectivité. L’intentio lectoris représenterait ce par quoi le lecteur recherche dans le texte « ce que le destinataire y trouve en référence à ses propres systèmes de signification et/ou en référence à ses propres désirs, pulsions et volontés passions. » Cependant, Eco note qu’il s’agit aussi de « chercher dans le texte ce qu’il dit en référence à sa propre cohérence contextuelle et à la situation des systèmes de signification auxquels il se réfère. » Cette attitude a pour fonction de limiter la « dérive infinie du sens » et il s’attachera à le démontrer partant de l’observation suivante : « on peut lire comme indéfiniment interprétable un texte que son auteur a conçu comme absolument univoque ».[131]

En résumé, quant au sens d’un texte, l’auteur introduit, le texte induit et le lecteur déduit, et entre émission supposée objective et réception conjecturée subjective, une activité régulatrice s’exerce. Les champs à l’œuvre sont distincts : les trois intentiones, et lors de la lecture ils ne sont pas mis en relation linéairement, mais conjointement, circulairement, en interaction, en synergie et en rétrocontrôle, sans que l’on puisse nécessairement parler de “conflit des interprétations”. Du degré de coordination de l’opération globale dépendent la catégorisation et le niveau de certitude des significations établies. Nous reverrons donc ce point essentiel de notre recherche personnelle au cours des trois chapitres à suivre.

  1. Herméneutique de l’herméneutique

Comme nous l’avions annoncé, la riche histoire de l’herméneutique n’est en rien un parcours univoque et téléologique, au contraire elle s’avère elle aussi instruite de circularités complexes. Son fondement comme sa forme actuelle renvoient à l’origine de l’Homme au monde et à la notion de vérité comme corollaire de l’être à la/sa réalité. Cela suppose une théorie de l’interprétation comme propre de l’homme, universelle et infinie, théorie que l’on peut sans difficulté dénommer herméneutique contemporaine tant sa prégnance actuelle est grande en sémantique, mais aussi en sociologie, anthropologie, psychanalyse, critique littéraire, esthétique, etc., une pan-herméneutique. Cette herméneutique dominante, semble se réduire elle-même à son infrangible dogme : tout ne serait qu’interprétation et, plus, l’interprétation serait infinie. L’interprétant serait l’acteur dominant, si ce n’est l’unique, de la dialogique entre l’objet et son lecteur. L’auteur, lui, ne serait au mieux qu’un géniteur sans aucun droit de paternité. La circularité est l’âme de la roue, ce par quoi elle progresse et, concernant le rapport au textuel, ce mouvement donne à théoriser que le lecteur n’est point le découvreur par la raison d’infinies facettes supposées au texte, mais bien qu’il est le pouvoir existentiateur par lequel le texte est, non plus en tant qu’entité déterminée, mais en tant que création infiniment renouvelée de l’être interprétant à lui-même. Le texte ne serait ainsi qu’une virtualité et le sens qu’une éventualité. Si les limites de « l’herméneutique illimitée » sont celles de l’interprétation et si l’interprétation est infinie, comment le démontrer puisque toute démonstration suppose des bornes de définition ? Corollairement à cette situation antinomique, il demeure impossible de déterminer la pertinence des préjugés, au sens gadamérien, quant à la détermination de la compréhension juste ou fausse.[132] Cercle du cercle, le préjugé d’une interprétation infinie alimente l’antique auberge andalouse : chacun trouve ce qu’il apporte. Gîte qui, bien que confortable, doit être déconstruit. De même, l’infini de l’interprétation, corrélat de circularité pris pour postulat, suppose la non résolution de l’équation de sens et, si l’on peut discuter de la faiblesse épistémologique d’une telle affirmation, en quoi pourrait-elle disqualifier la notion de compréhension ? L’infinité de l’interprétation ne signifie-t-elle pas l’infinité du sens et l’infinité du sens ne signifie-t-elle pas la fin du sens ? Serait-il indécent de comprendre un signifié ? Le sens d’un texte n’est infini que si l’interprétation est un phénomène infini, mais en quoi un concept aussi indéfini que l’infini interdirait-il l’existence de limites, en l’occurrence textuelles, et la possibilité d’une finitude, une signification ? Une lecture ne peut-elle être limitée, définie, un texte est-il indéfiniment un renvoi de sens ? Est-il raisonnable d’admettre que le tout interprétation infini soit paradoxalement la clôture finie de la question du sens ? Comment établir la limite entre l’empire des sens et l’emprise du sens ? Autant de questionnements suscités par l’herméneutique qui nous permettent de cerner quels champs pragmatiques sont à explorer.

  1. Critique de l’herméneutique ontologique

L’herméneutique en tant que théorie de l’Être, herméneutique ontologique, ne souffre pas que de diachronisme sous-diagnostiqué, mais aussi de synchronie. À l’instant, la circularité herméneutique n’indique-t-elle pas que la perte de sens de la société postmoderne a généré la théorie herméneutique contemporaine, postmoderne et post-déconstructiviste. La circularité a pour inconvénient majeur de con-fondre, les causes et les conséquences, la perte de sens n’est-elle pas devenue la perte du sens ? Si l’interprétation est postulée comme infinie, cela n’implique pas nécessairement que le sens le soit. Par ailleurs, le problème de la compréhension est devenu, sans preuve tangible, celui de l’être : interpréter est le mode de l’être, l’expression kaléidoscopique de son ipséité. Bien que cette caractérisation de l’être soit par sa propre définition indémontrable, nous ne la contesterons pas, cela ne serait en soi guère productif, nous nous bornons seulement à constater que l’herméneutique ontologique oblitère la question du sens au profit de l’extension signifiante de l’interprétation. La perte du sens ne mènerait-elle donc pas au non-sens ? Sans limites et sans critique, l’acte interprétatif fonctionne intrinsèquement comme un éternel repoussoir du sens, mais infinité et éternité ne sont-ils pas les attributs du divin, de l’inconnaissable, du Mystère ? Ne sommes-nous pas là face à une nouvelle croyance, une conviction au credo sophistique, puisqu’échappant de principio à toute démonstration, et apophatique puisqu’inaccessible à l’expérience, car si tout est interprétation, cette herméneutique n’est alors elle-même qu’une interprétation d’un objet devenu non identifiable et non vérifiable. De cette antilogie découle que l’herméneutique ontologico-phénoménologique contemporaine ne garantit pas, par essence, les critères d’éligibilité scientifique, et le postulat du Dasein de Heidegger le confirme plus encore que l’épistémologie poppérienne. De fait, ne serait-il pas plus juste de qualifier cette herméneutique « d’herméneutisme »,[133] le changement de suffixe indiquant à minima l’aspect radical et construit de son domaine. Il justifie de même que toute critique de l’herméneutisme soit interprétée comme relevant par lui d’une interprétation délirante, un crime de lèse-majesté de nature pathologique. Situation oxymore que l’herméneutique se réclamant de l’infini de l’interprétation se veuille non sujette à la critique de l’interprétation !

  1. Pour une critique de la raison herméneutique

Sommes-nous condamnés à tourner en rond, ou ne faudrait-il pas remettre le sens à plat, le vectoriser ? À cette fin, nous pourrions définir la raison en fonction de trois types de relation au monde : la connaissance, la science, l’herméneutique. L’antique modalité de la connaissance–sapience relevait d’une linéarité rétroactive, la vérité du sens ne pouvait apparaître à de nouveaux horizons que par l’antécédent ; argumentum ad auctoritas, les doctes étaient « des nains juchés sur des épaules de géants ».[134] Mais, ce saint chapelet du savoir n’enchaînait-il pas aussi la raison raisonnante ? Ainsi, Descartes fit-il acte d’hérésie rationnelle et, inversant la polarité, la science antidoxa surgissait alors à la ligne d’un avant toujours incertain pour ceux qui allaient désormais être des géants sur des épaules de nains, situation sacrilège s’il en est. En synthèse, le duel oppose deux acteurs : la raison raisonnante contre la raison herméneutique. Qu’est-ce que la raison herméneutique ? Nous entendons cette question selon la perspective herméneutique : si raisonner est comprendre, comprendre est interpréter. L’interprétation, résultant d’une opération cognitive circulaire puisque « comprendre le tout ne se peut qu’à partir de la compréhension des parties et inversement », serait donc infinie. Conséquemment, la raison serait ontologiquement enfermée en son propre cercle herméneutique et, subséquemment, l’infini interprétatif ainsi généré ne lui permettrait plus de prétendre ni à la science ni à la vérité. L’on sait depuis le projet de Dilthey le contentieux entre l’herméneutique et le paradigme scientifique, sauf qu’opposer la raison immanente cartésienne à la transcendance de la raison herméneutique serait vouloir opposer la science à la compréhension. Afin d’éviter cette aporie improductive, il faut et il suffit de démythifier l’icône du cercle. En effet, l’on figure comme un cercle ce qui pourrait n’être qu’un processus algorithmique. Qu’il s’agisse d’approche herméneutique ou cartésienne, il semble acquis que rien n’existe indépendamment d’un précédent et qu’un objet nouveau ne sera reconnu qu’à partir du croisement de données antérieures et de celles d’objets plus ou moins similaires, ce que le concept de cercle herméneutique traduit bien. Mais, en quoi la résolution du problème posé à la raison par cet objet est-elle circulaire ? Au contraire, le phénomène d’analyse est algorithmique car, partant du connu vers l’inconnu, s’opère une sélection d’hypothèses de sens testées séquentiellement vers la réduction algébrique des possibles jusqu’à la résolution de l’équation à une ou plusieurs solutions.[135] En d’autres termes, s’il y a bien une relation circulaire à l’ensemble du donné du monde, rien ne prouve que la raison en tant que moteur de compréhension et production de sens procède circulairement. La raison est un phénomène cognitif et la raison herméneutique n’est qu’un phénomène herméneutique et non une explication phénoménologique de ce processus.

Quelle certitude rendrait incompatible l’idée d’une vérité inatteignable en absolu, la circularité de la construction de l’être et la linéarité du process de cognition ? Rien, si ce n’est des développements historiques à régimes différents et l’impossibilité faite aux Écoles de se concilier. Formulé autrement, la raison herméneutique postule que la cognition procède du connu à l’inconnu et de l’inconnu au connu et, si l’on qualifie ce processus de renvoi d’interprétation d’une chose par une autre, alors cet avancement ne peut être que circulaire et infini, le cercle herméneutique ne serait que le renvoi indéfini de la signification. Mais, la méthode analytique de saisie du sens suppose aussi que l’on se réfère au connu pour connaître le non-connu, phénomène d’induction-déduction qui progresse linéairement. Ce qui a été compris devient à son tour une partie pour l’acquisition d’un autre objet composé plus complexe, le cercle herméneutique est en ce cas un renvoi défini de significations. La raison critique n’est alors pas circulaire quant bien même progresse-t-elle par circularité vers un infini de sens. La vérité scientifique n’est jamais que tangentielle à la vérité et la raison herméneutique n’est autre qu’une vérité tangentielle.

  1. Perspectives postcritiques

Nous aurons pu délimiter une heuristique critique de l’herméneutique contemporaine, mais cette démarche ne relève en rien d’un intérêt philosophico-logique. Pragmatiquement, nous retiendrons que la question herméneutique n’est plus : « comment faire pour comprendre, mais ce qui se passe lorsque nous comprenons ? »[136] Mais, plus avant, nous aurons souligné le glissement de sens majeur auquel procède l’herméneutique ontologique : la compréhension n’est plus un but, une finalité, et le problème devient celui de l’être. Cependant, en quoi cette herméneutique serait-elle un levier ou un obstacle à la recherche du sens d’un texte ? À l’évidence, l’herméneutique a le très grand mérite de mettre en évidence le rôle de l’interprétation dans les mécanismes de compréhension, et cela que l’on essentialise ce processus ou non. Par suite, les développements ontologiques, philosophiques, structuralistes, poststructuralistes et les tabous intellectuels qui les sacralisent ne sont nullement un empêchement ou une objection à la recherche d’une vérité. Non point une vérité absolue, que l’on sait maintenant inatteignable, si ce n’est inexistante, ni une vérité du texte qui ne serait que virtuelle, mais une vérité textuelle, le sens littéral, que nous défendrons et qui n’aurait rien de relatif parce que méthodologiquement déterminée et objectivée. Aux cours des deux chapitres à venir, nous verrons que notre démarche ne bénéficie pas moins des apports conceptuels de l’herméneutique contemporaine et de leur critique. Pareillement, de la notion de cercle herméneutique en tant que moteur et mode de fonctionnement de l’activité interprétative nous retiendrons en pratique la nécessité d’établir quelles circularités concernent spécifiquement notre approche. En effet, repérer ces interférences interprétatives, établir comment les réguler, les valider ou les infirmer est l’enjeu méthodologique de notre recherche. Aussi, quant à la “lecture” du Coran, c’est-à-dire la détermination de son sens littéral, identifierons-nous trois boucles herméneutiques majeures : exégétique, sémantique, conceptuelle. Ces points seront abordés par le détail lors du Chapitre IV consacré à notre méthodologie d’Analyse Littérale du Coran.

Conclusion

Au final, l’herméneutique expose toute la subtile multiplicité de notre être-au-monde et invite à une grande vigilance intellectuelle. L’ensemble de ces circularités cognitives fonctionne en synergie selon des modalités interférentielles, des boucles d’induction et de rétrocontrôle. L’herméneutique nous révèle que ces mécanismes ne dirigent pas notre pensée, mais la constituent. Nous pouvons y repérer sans hiérarchisation les jalons suivants : nos temps et lieux, nos certitudes et doutes, nos positions partisanes et nos apologétiques, nos croyances, nos mythologies et nos rêves, nos dogmes, notre formation et nos Écoles, notre parcours intellectuel et notre parcours de vie, nos forces et nos blessures, nos intérêts et motivations… C’est l’âme dense de notre être, non pas au sens essentialiste de l’herméneutique ontologique heideggérienne, mais la complexité de nos complexions, un isthme incertain à la limite limbique de notre conscient et de notre inconscient, comme une antériorité à nous-mêmes, l’heuristique de l’énergie qui meut notre questionnement. C’est bien cette herméneutique personnelle qui est l’alambic de toutes les herméneutiques. Rien de linéaire en cette alchimie invisible, mais une synthèse à tout moment labile. Nous sommes à notre grand œuvre l’athanor de nos transmutations, rien en l’espèce ne se crée, tout se transforme. Mais, l’être ne serait-il donc que le jouet de l’aléa, une possibilité parmi l’infini de ses conséquences ? Or, le philosophe nous enseigne que l’Homme est le fils du temps et du sens et, si l’herméneutique est sans aucun doute une théorie visant à expliciter le phénomène de la compréhension, en quoi nous condamnerait-elle à errer à la recherche du sens perdu ? Les hommes interagissent et se comprennent, non pas de manière aléatoire, mais dirigée et, dans l’échange, interviennent des facteurs de régulation rendant la communication plus ou moins performante, sans quoi le présent écrit ne serait que soliloque. Bien que nous ayons montré qu’il existait des failles et des ouvertures, il ne s’agit donc pas pour nous de remettre globalement en cause la théorisation herméneutique du comprendre, mais d’établir des règles permettant de déterminer sens, interprétations et sens littéral, ceci afin de contrôler ou moduler l’incertitude herméneutique de la compréhension, en l’occurrence celle d’un texte. Non point diriger la vectorisation de sens, mais en mesurer la pertinence et, pragmatiquement, résoudre méthodologiquement l’équation textuelle polysémique par une mise en œuvre algorithmique. Appliqué à la détermination du sens d’un texte, nous entendons par algorithme une suite finie et univoque d’opérations permettant d’obtenir un résultat de sens dit alors littéral ou sémique. Les trois chapitres à suivre sont destinés à exposer et désambiguïser l’ensemble de ces étapes en partant du plan théorique vers le plan pratique, telle est le projet de notre Analyse Littérale du Coran.

[1] Le locus classicus en est : « Le détail doit être compris à partir du tout et le tout à partir du détail », Friedrich Ast, Grundlinien der Grammatik, Hermeneutik und Kritik, Landshut, 1808, p. 119.

[2] Selon la formule du R.P. Augustin Calmet : « Interpréter les Saintes Écritures c’est éclaircir ce qui est obscur », Commentaire littéral sur tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, Paris, 1715, p.147.

 [3] Michel Foucault, Les Mots et les choses, Gallimard, Paris,1966, p. 44.

 [4] Selon l’expression de Jean Grondin, L’herméneutique, Puf, 2011, p. 48-60.

 [5] Titre de la deuxième section de son ouvrage phare : Vérité et méthode, Seuil, Paris, 1996.

 [6] Herméneutique, Encyclopédie Universalis, version numérique, 2013.

 [7] Cf. Paragraphe 4, 4. f.

 [8] Hans-Georg Gadamer, ibid., p. 313.

 [9] La sémiologie saussurienne envisage le signe comme la forme signifiante résultant de l’association d’un signifiant et d’un signifié, cf. Grammaire méthodique du français, Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat, René Rioul, Puf, 2011, p. 919.

 [10] Selon l’expression de Pierre Lévy, La sphère sémantique 1. Computation, cognition, économie de l’information, Hermès-Lavoisier, Paris, p. 339.

 [11] La formulation exacte est la suivante : « il n’y a pas de faits, seulement des interprétations ».  Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, 1885–87, trad. J. Hervier, Gallimard, Paris, T. XII, p. 304.

 [12] Cf. Jean Grondin, L’universalité de l’herméneutique, Introduction, Puf, Paris, 1993.

 [13] Franck P. Jennings, This is reading, épigraphe de Théories et pratiques de la lecture littéraire, dir. Bertrand Gervais et Rachel Bouvet, Presses de l’université du Québec, 2007.

 [14] Nous entendons là signe, non pas au sens saussurien du terme, mais de celui du representamen peircien : « quelque chose tenant lieu de quelque autre chose pour quelqu’un sous quelque rapport ou à quelque titre », Charles S. Peirce, Écrits sur le signe, Gérard Deledalle, Seuil, Paris, 1978, p. 215. Il ne serait guère difficile d’identifier cette définition dans le corpus coranique pour une partie des sens du mot-clef âya.

 [15] In extenso : « L’homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas. » Protagoras, Jean Voilquin, Fragment I, Penseurs grecs avant Socrate, Garnier-Flammarion, Paris, 1964, p. 204.

 [16] Platon : Théétète, traduction Émile Chambry, Garnier-Flammarion, Paris, 1967, p. 106.

 [17] Ce terme apparaît dans l’Ion de Platon pour qui il ne s’agit que d’un art subalterne de la déclamation et du commentaire. Les poètes étant au mieux considérés comme inspirés par les divinités, leurs rhapsodes en étaient les interprètes, au sens double que ce mot revêt encore de nos jours. Ce lien au divin explique que le grec ε ̔ ρ μ ε ν ε υ ́ ε ι ν herméneuein : interpréter, expliquer, traduire, puisse renvoyer à Hermès le messager interprète des dieux, mais aussi par conséquent au père de l’herméneutique.

 [18] C’est-à-dire “matérialiste”. Les spécialistes nous disent qu’il s’agit plutôt d’un hylémorphisme.

 [19] L’on ne peut en effet exclure que des théoriciens comme Alfred Tarski, Bertrand Russel ou Karl Popper n’aient pas fondé leurs travaux novateurs à partir de cette base aristotélicienne.

 [20] Il ne s’agit là que de la traduction latine popularisée par l’œuvre de Thomas d’Aquin au XIIIe siècle d’une formulation antérieure synthétisant les réflexions du Stagirite sur la vérité [cf. Livre XIII du traité dit Métaphysique, cité en Le Concept de désir dans l’œuvre de Thomas d’Aquin, Gianmarco Stancato, Vrin, Paris, 2011, p. 158]. En réalité, nous la devons au médecin et philosophe Abû Ya’qûb Isḥâq ibn Sulayman al–Isrâ’îlî connu en Occident sous le nom de Israeli Isaac ben Salomon [env. 850-950]. Ce premier néo-platonicien juif fut grand connaisseur d’Aristote de par les traductions qu’en firent les Arabes. Cet adage figure par une formule équivalente en son Kitâb al–ḥudûd wa–r–rusûm qui fut traduit en latin dès le XIe siècle sous le titre Liber de definitionibus par le moine Constantin l’Africain [cf. André Neher, Dictionnaire du Moyen Âge, littérature et philosophie – Israeli Isaac ben Salomon – édition numérique Universalis, 2014].

 [21] Le syllogisme grec postule qu’il « est nécessaire que la science démonstrative parte de prémisses qui soient vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures à elle, et dont elles sont les causes. », Aristote, Seconds Analytiques, I, 2, 71 b, 21. Cité par Yves Charles Zarka, La décision métaphysique de Hobbes, Vrin, Paris, 1987, p. 17.

 [22] Ceci est l’objet des quatre premiers traités de l’Organon.

 [23] L’on peut citer ici Philon d’Alexandrie [début du premier siècle ar. J.-C.], juif hellénisé, qui fut sans doute le maillon commun, le passeur entre l’approche philosophique grecque, l’étude textuelle judaïque et l’exégèse chrétienne naissante qui plus tard s’en inspirera.

 [24] Dans Philosophie, Partie II, Chap.2-5, Augustin précise que ces vérités sont immuables, éternelles, incréées ; ce Verbe selon le christianisme sera alors incarné en Jésus. Ce credo théologique n’est pas sans rapport avec la longue controverse qui animera la scolastique du kalâm quant au statut du Coran en tant que Parole de Dieu.

 [25] Globalement, nous pensons à la tradition talmudique plutôt qu’au Pardès, acronyme bien connu désignant un système quadriparti considéré comme précurseur des quatre sens de l’Écriture, à savoir : Peshat, sens littéral ; Remez, sens allégorique ; Drash, sens interprétatif ; Sod, sens ésotérique. Historiquement, si l’on constate la codification des « quatre niveaux de sens des Écritures » dès le Ve siècle sous la plume de Jean Cassien [Dictionnaire des philosophes médiévaux, Benoît Patar, Fides, 2006, p. 817-818] ce n’est que vers le XIIIe siècle que le Pardès apparaît tel quel dans le monde judaïque [Gershon Sholem, Le Nom et les symboles de Dieu dans la mystique juive, Cerf, Paris, 1983] et la question de son antériorité est fort discutée [ex. : Moshe Idel, Absorbing Perfection : kabbalah and Interpretation, Yale University Press, 2002, p. 429-437]. Pour notre part, nous noterons que les fondateurs de l’exégèse biblique comme Origène ou Augustin utilisaient une division du sens double ou triple et rarement quadruple, ce qui indiquerait l’idée d’une évolution de la pensée exégétique endogène à la pensée chrétienne. De même, Origène proposait sur le modèle triparti corps–âme–esprit  trois sens de l’Écriture : littéral, moral, mystique, [Cf. Traité des principes, IV, 11, Traduction Henri Crouzel et Manlio Simonetti, Cerf, Paris, 1978]. Il n’y a pas de filiation établie avec Augustin d’Hippone qui fut au Monde occidental latin ce que fut Origène au Monde oriental de langue grecque.

 [26] Selon cette classification, le premier sens est plus justement dit historique/historia que littéral, il délivre des faits. Le second est allégorique, figuratif, métaphorique. Le troisième se comprend au sens grec de tropos : manière, voie, orientation, d’où sens moral. Le quatrième est plus mystique qu’eschatologique.

 [27] Cf. le célèbre « Contre Averroès » adressé aux averroïstes de l’université parisienne par Thomas d’Aquin : Alain De Libera, De unitate intellectus contra Averroistas, Garnier-Flammarion, Paris, 2e éd., 1997.

 [28] Augustin d’Hippone se fonda là sur une des interprétations de la parole attribuée à Paul de Tarse : « La lettre tue, l’esprit vivifie » : Deuxième épître aux Corinthiens, Chap. III, v6, La sainte Bible, Trad. Abbé A. Crampon, Desclée et Cie, Paris, N. T., 1928, p. 210. Pour l’exégèse d’Augustin, Cf. Josef Zycka, De utilate credendi, Verlag der österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2013.

 [29] À savoir : allégorique, tropologique, anagogique.

 [30] Elle n’est pas à confondre avec une approche historico-critique, mais représente la prise en compte du contexte d’énonciation.

 [31] C’est-à-dire expliquer un passage par un autre, sous-entendu appartenant au même corpus, ici la Bible comprise comme une somme de livres.

 [32] Thomas D’Aquin, Somme théologique, I Pars, Question I, Article 10 : La lettre de l’Écriture sainte peut-elle revêtir plusieurs sens ? Cerf, Paris, 1984. Pour une analyse de la question, cf. Michel Corbin, Le chemin de la théologie chez Thomas d’Aquin, Beauchesne, 1974, Paris, p. 279.

 [33] Cf. Chapitre III, Sens littéral & Vérité du texte, § 1. Définitions du littéral.

 [34] « quia vero sensus litteralis est quem auctor intendit » : Somme théologique, ibid.

 [35] Cité par Pierre-Yves Maillard, La Vision de Dieu chez Thomas d’Aquin, Quodlibetales : VII, Question VI, Art. XIV, Vrin, Paris, 2001, p. 51.

 [36] Cf. Claude Gilliot, Exégèse, langue et théologie en islam ; l’exégèse coranique de Tabari, Vrin, Paris, 1990, p. 132-133.

 [37] Muḥammad Ibn Jarîr aṭ–Ṭabarî. Le titre de son vaste commentaire du Coran est Jâmi‘u al–bayân fî ta’wîl al–qur’ân ou Somme des exposés sur l’interprétation/ta’wîl du Coran. L’emploi du terme ta’wîl indique à lui seul l’axe de la pensée herméneutique de Tabari. En effet, ce terme est le nom d’action de la forme II awwala, retourner à, et selon les perspectives aristotéliciennes de l’époque il se comprenait comme signifiant le retour à la cause d’où interprétation, en ce sens que l’interprétation est la recherche de sens à l’origine de l’énonciation/bayân conçue comme la seule possibilité de retour au sens, ce qui en soi résume un des postulats majeurs de l’herméneutique musulmane. Par ailleurs, l’autre partie du titre de cet ouvrage [somme des exposés] inclut aussi en cette herméneutique les sens supposément conférés au Coran par les premières générations de musulmans interprétateurs, le Prophète en premier lieu. Ce n’est que plus tard que le ta’wîl viendra à désigner l’exégèse anagogique ou allégorique et que tafsîr sera réservé à l’explication littéraliste du sens.

 [38] Par bayân, Tabari explique en la longue introduction de son œuvre maîtresse qu’il entend par là la langue arabe, l’éloquence, la rhétorique, l’exposé d’une sagesse divine et les moyens textuels de les discerner. In Tabarî, Jâmi‘u al–bayân fî ta’wîl al–qur’an, Dâr al–kutub al–‘ilmiyya, Beyrouth, 3e Édition, 1999, Vol I/XIII, p. 56-57.

 [39] Michel Lagarde, en l’organisation synthétique de sa lecture du tafsîr de Ar–Râzî, met clairement en évidence l’ensemble des règles herméneutiques mises en œuvre. Michel Lagarde, Les secrets de l’Invisible. Essai sur le grand commentaire de Fakh al-Dîn al-Râzî, Dar Albouraq, Beyrouth, 2008.

 [40] En fonction de la note 5 précédente, nous aurions pu traduire ta’wîl par interprétation, mais c’eût été ne pas mettre en valeur le contexte particulier de ce verset.

 [41] S3.V7. Pour les mutazilites, le discours divin coranique était adressé à la raison humaine, il devait donc être par elle intelligible. Aussi, est-il attendu qu’ils aient lu ce verset autrement. Pour ce faire, le texte arabe coranique n’ayant aucune ponctuation, ils ne marquèrent pas d’arrêt après le mot « Dieu » : « ne connaît son sens premier que Dieu. Et ceux qui sont enracinés dans la connaissance disent…», mais un segment plus loin : « ne connaît son sens premier que Dieu et ceux qui sont enracinés dans la connaissance. Ils disent… » Ce fait grammaticalement et syntaxiquement correct est largement commenté dans les exégèses de Tabari et Ar–Râzî ci-devant mentionnées. Signalons que l’orthodoxie a matérialisé sa position en introduisant dans le texte coranique un signe suscrit indiquant un arrêt de lecture au mot « Dieu ».

 [42] Citation du célèbre théologien et mystique Al–Ghazali Abû Ḥâmid [1058-1111] qui reformule ainsi S18.V109 et S31.V27, cf. Iḥyâ’ ‘ulûm ad–dîn, Dâr al–kutub al–‘ilmiyya, Beyrouth, 1986, T. I, p. 341. Signalons, que pour autant, il s’agit d’une surinterprétation desdits versets qui littéralement traitent au pluriel des paroles de Dieu/kalimât, lesquelles contextuellement s’établissent comme étant les paroles existenciatrices de Dieu. Il y a donc assimilation forcée à Parole/kalâm de Dieu au singulier en tant que désignant le Coran.

 [43] Par exemple : Rachid Benzine, Les nouveaux penseurs de l’islam, Albin Michel, Paris, 2004, p. 45. De même, il est tout aussi erroné de requalifier les mutazilites de « libres penseurs de l’islam », car leur attachement à la lettre du Coran est incompatible avec la signification actuelle de cette locution. Les dire « théologiens de la liberté » serait bien plus juste et représentatif de cette prime École de pensée.

 [44] Il n’est pas anodin que la naissance de l’exégèse historico-critique soit aussi son triomphe lorsqu’en 1506 Lorenzo Valla démontra que la Donation de Constantin, fondement scripturaire de l’autorité terrestre papale, était un faux, cf. De falso credita et ementita Constantini donatione libri duo, Lorenzo Valla, trad. Jean-Baptiste Giard, Belles lettres, Paris, 1993.

 [45] De Pierre Valdo [1140–1206 ?] à Lefèvre d’Étaples [1450–1537] : Historical dictionary of France, Gino Raymond, Scarecrown Press, 2008, p. 295.

 [46] Matthias Flach dit Flacius Illyricus [1520–1575]. Les conflits inter et intra-religieux autour de la Bible soulevés par la Réforme furent l’enjeu d’une détermination des règles de la juste interprétation du texte, puis des textes. C’est dans ce contexte que se comprend la Clavis scripturæ sacræ de Flach et, s’il ne s’agit encore que d’une méthode d’interprétation, elle s’appuie sur des présupposés ouvrant à une herméneutique générale. Sur ce point, voir : Denis Thouard, Modi interpretandi. Clés et méthodes dans l’herméneutique de la première modernité : Mathias Flacius Illyricus, Joseph Mede et Isaac Newton, Mitteilungen des SFB 573 Pluralisierung und Autorität in der Frühen Neuzeit, Munich, 2006, p. 15-23.

 [47] Écrit posthume publié en 1705 : Locke’s Essay for the Understanding of St. Paul’s Epistles, fac-similé édition 1820, Andrew Norton, 2009.

 [48] Du grec έ ρ μ ε ν ε υ τ ι κ ο ́ς, erméneutikos : qui relève de l’interprétation, qui fait comprendre. Johann-Conrad Dannhauer : Hermeneutica sacra sive methodus exporendarum sacrarum litterarum, Staedelius, Strasbourg, 1654.

 [49] « Tout ce qui est objet de savoir a une science philosophique correspondante. Tout mode d’interprétation est un objet de savoir. Donc le mode d’interprétation a une science philosophique qui lui correspond. » Ce syllogisme est extrait de l’ouvrage Idea boni interpretis et laitiosi calumniatoris : Johann-Conrad Dannhauer, Strasbourg, 1630, traduit et présenté par Jean Greisch, Le cogito herméneutique : l’herméneutique philosophique et l’héritage cartésien, Vrin, Paris, 2000, p. 72.

 [50] Michael Marra, Essays on Japan : Between Aesthetic and Literature, Brill, Leiden, 2010, p. 229. En cela Dannhauer s’appuie sur Bacon et son Novum organum [1620] et Descartes en son Discours sur la méthode [1637].

 [51] Wilhem Dilthey [1833–1911]. Il fut le premier à rédiger une histoire de l’herméneutique : Origines et Développement de l’herméneutique texte publié en 1900 dans Le monde de l’esprit, trad. Maurice Rémy, Wilhem Dilthey, Aubier, Paris, T. I, 1947, p. 319-340

 [52] Voir, André Laks et Ada Babette, La naissance du paradigme herméneutique : de Kant et Schleiermacher à Dilthey, Presses Universitaires du Septentrion, Lille, 2008.

 [53] Titre de l’ouvrage dont nous tirons une partie des acteurs ci-après référés, Jean Greish, Le cogito herméneutique : l’herméneutique philosophique et l’héritage cartésien, Vrin, Paris, 2000, p. 158-160.

 [54] Selon l’expression de Daniel Dumouchel, Années 1781-1801 : Kant, critique de la raison pure, vingt ans de réception, Actes du 5e congrès international de la Société d’études kantiennes de langue française, Montréal, 2001, p. 128.

 [55] « D’après Christian Wolff, la vérité herméneutique relève du vraisemblable et non de la certitude apodictique. Il n’existe pas d’interprétation absolument vraie d’un texte ; il n’y a que des interprétations plus ou moins vraisemblables, ce qui revient à dire qu’il y en a plusieurs. » : Dictionnaire de la Philosophie, Encyclopædia Universalis, Albin Michel, Paris, 2014. Toutefois, nous ajouterons que Wolff accorde la prépondérance du sens à l’auteur de telle sorte qu’il n’y a pas de meilleure interprétation que celle que l’auteur donnerait à son œuvre. Nous reviendrons sur ce point au chapitre consacré à l’interprétation.

 [56] Denis Thouard, Herméneutique critique : Bollack, Szondi, Celan, P. U. du Septentrion, Lille, 2012.

 [57] Diderot, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des métiers, Œuvres complètes, H. Dieckmann, J. Proust, J. Varloot, Hermann, Paris, p. 85.

 [58] Dumarsais, Encyclopédie, article construction – Grammaire – vol. IV, p. 76.

 [59] Cf. Claire Fauvergue, Y a-t-il une herméneutique dans l’Encyclopédie ? Revue Hermeneutic Study and Education of Textual Configuration, Université de Nagoya, vol. IV, 1, 2010, p. 51-59.

 [60] Diderot, Encyclopédie, article encyclopédie – Philosophie – vol. VII, p. 220.

 [61] Ce qu’il nomme une Symphilosophie. Cf. Denis Thouard, Friedrich Schlegel : de la philologie à la philosophie (1795–1800), Vrin, Paris, 2002, p. 42.

 [62] André Stanguennec, La philosophie romantique allemande : un philosopher infini, Vrin, Paris, 2011.

 [63] A. Laks et A. Babette, opus cité, p. 13.

 [64] Friedrich Schleiermacher, Herméneutique, trad. Mariana Simon, Labor & Fides, Genève, 1987, p. 100.

 [65] Ibid., p. 57. C’est-à-dire accomplir le parcours de l’expression vers la pensée de l’auteur.

 [66] Christian Berner, La philosophie de Schleiermacher (1838), Cerf, Paris, 1995, p. 112.

 [67] Friedrich-August Wolf [1759–1824], Enzyclopädie der Philologie, S. M. Stockmann, Leipzig, 1831, p. 164. Cf. Avant-propos de Jean Starobinski, Herméneutique de F. Schleiermacher, Mariana Simon, Labor & Fides, Genève, 1987.

 [68] Friedrich Schleiermacher, Herméneutique, trad. Christian Berner, Cerf/Presses Universitaires de Lille, Paris-Lille, 1987.

 [69] Ce célèbre adage de l’herméneutique : « la tâche de l’herméneute consiste à chercher à comprendre aussi bien et même mieux que l’auteur » n’a pas en réalité d’auteur clairement identifié. Schleiermacher l’emploie à plusieurs reprises en ses écrits, mais cette formule est retrouvée chez bien des précurseurs comme Chladenius ou Wolff cités précédemment comme le rappelle J. Greisch, Herméneutique, Encyclopédie Universalis, version numérique 2013.

 [70] Ibid., note 60, p. 114.

 [71] Ibid., p. 21.

 [72] Ibid.

 [73] C’est en ces termes que P. Ricœur le conçoit : « Schleiermacher aura étendu au monde de l’homme la révolution copernicienne de Kant. » Paul Ricœur, Du texte à l’action, Essais d’herméneutique II, Seuil, Paris, 1986, p. 78.

 [74] Wilhelm Dilthey, opus cité, p. 321.

 [75] Ibid. p. 320.

 [76] Ibid. p. 332.

 [77] Il est classique d’attribuer cette célébrissime locution à Dilthey, mais nous n’avons pas pu en trouver référence directe. Il semble plutôt que nous la devions à Schleiermacher, et ce, de l’avis même de Dilthey si l’on en croit Ilse Nina Bulhof, Wilhelm Dilthey : A Hermeneutic Approach to the Study of History and Culture, Martinus Nijhoff Publishers, La Hague/Boston/Londres, 1980, p. 69.

 [78] Denis Thouard, Qu’est-ce qu’une herméneutique critique ?, L’esprit Mind/Geist, Methodos n° 2, Collectif, Presses Universitaires du Septentrion, Lille, 2002.

 [79] Comme l’exprime André Stanguennec, Être, soi, sens : Les antécédences herméneutiques de la dialectique réflexive, Presses Universitaires du Septentrion, Lille, 2008, p. 69.

 [80] Citation de Heidegger donnée par Jean Greisch, Questions I, Gallimard, Paris, 1968, p. 172.

 [81] Martin Heidegger, Kant et le problème de la métaphysique, 1928, trad. A. de Waelhens et W. Biemel, Gallimard, Paris, 1953.

 [82] Martin Heidegger : « le Dasein est de telle manière qu’étant, il entend quelque chose de tel que l’être », Être et temps, Gallimard, 1986, Paris, p. 43.

 [83] Martin Heidegger, Être et temps, Gallimard, Paris, 1986, p. 152-153.

 [84] Martin Heidegger, Sein und Zeit, 1927, Auflage, Tübingen, Niemeyer, 1993, p. 153. La traduction de ce passage est de C. Mantzavinos, Le cercle herméneutique : de quel type de problème s’agit-il ?, rev. L’Année sociologique, vol. 63/2013, n° 2 – Collectif, p. 511.

 [85] Selon la formulation de Luc Langlois, L’universalité du verbum interius, rev. Philosophiques, vol.

22, n°1, 1995, p. 140.

 [86] In avant-propos de Jean Starobinski : Herméneutique de F. Schleiermacher, Labor & Fides, 1987, p. 9.

 [87] Hans-Georg Gadamer, Vérité et méthode, traduction Étienne Sacre, Seuil, Paris, 1976, p. 7.

 [88] Titre de la deuxième section de son ouvrage phare : Vérité et méthode, Seuil, Paris, 1996.

 [89] Hans-Georg Gadamer, Wahrheit und Methode, sous le titre Vérité et méthode : les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, trad. Pierre Fruchon, Jean Grondin, Gilbert Merlio, Seuil, Paris, 1996, dans l’ordre des citations : p. 410 ; p. 11 ; p. 501.

 [90] Selon Jean Grondin, Gadamer et l’expérience herméneutique du texte, Université de Montréal, http://www.gcoe.lit.nagoya-u.ac.jp/eng/result/pdf/09_GRONDIN.pdf, p. 55, et ce, contrairement à ce que le titre de son opus magnum « Vérité et méthode » laisserait entendre. Il s’agit là en réalité d’un sous-titre de paragraphe qui, pour des raisons éditoriales a été imposé comme titre. Le titre original proposé par Gadamer était : « Les grandes lignes d’une théorie de l’expérience herméneutique ». Cf. à ce sujet Hans-Georg Gadamer. Une biographie, Jean Grondin, Grasset, Paris, 2011, p. 375.

 91] Traduction de l’allemand vorurteil. Tel que l’entend Gadamer, ce terme clef est à comprendre étymologiquement et plus, justement, sous la forme pré-jugé selon le sens latin de praejudicium : jugement antérieur. Gadamer s’en explique lui-même : « Il n’est pas nécessaire que “préjugé” veuille dire erreur de jugement ; au contraire, le concept implique qu’il puisse recevoir une appréciation positive ou négative. Ici est manifeste la persévérance active du latin præjudicium qui fait que le mot peut avoir une signification non seulement négative mais également positive. » Ibid. note 83, p. 291.

 [92] Ce faisant, Gadamer reprend un élément essentiel de l’analyse exégétique de Rudolf Bultmann [1884-1976], autre théologien allemand, pour qui la précompréhension [Vorverständnis] fonde les présupposés dans l’interprétation des textes. Cf. Rudolf Bultmann, Foi et Compréhension, Tome II, Une exégèse sans présupposition est-elle possible ?, Seuil, Paris, 1969, p. 167-75.

 [93] Heidegger disait à ce sujet que le problème n’était pas de sortir du cercle herméneutique, mais de s’y engager convenablement, F. Heidegger, Sein und Zeit, Être et temps, trad. E. Martineau sur la 10e édition allemande, Authentica, Paris, 1985, p. 124.

 [94] Dans l’ordre des citations : Ibid., p. 329 ; note 87, p. 57.

 [95] Nous rappellerons que Heidegger, et surtout Gadamer, s’opposent au positivisme, celui de l’homme découvrant la puissance de l’herméneutique et désirant donner un nouveau sens au monde qui ne dépendrait que de lui, de ses facultés d’observation, et non plus d’un ordre édicté antérieurement, d’une connaissance.

 [96] Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, 1916, Éditions Payot, Lausanne, 1995. Il a été signalé que « De Saussure n’emploie que le terme système », le mot structure est seulement apparu en 1928 au Premier congrès international de linguistes à La Haye, sous la forme « structure d’un système », in Paul Ricœur, Le Conflit des interprétations. Essais d’herméneutique, Seuil, Paris, 1969, p. 83-84.

 [97] Les thèses de Gadamer suscitèrent en effet de nombreux débats critiques dont certains alimentèrent pour partie le structuralisme et ses suites. Citons pour les défenseurs du rationalisme critique, H. Albert ; ceux de la raison dialectique, D. Henrich ; de la critique des idéologies, J. Habermas ; du déconstructionisme, J. Derrida ; de la raison communicationnelle, K. O. Appel ; de l’interprétationisme néo-nietzschéen, G. Abel, H. Lenk, de l’hermétisme philosophique, H. Rombach ; cité de Jean Greisch, « Gadamer Hans-Georg – 1900-2002, » Encyclopædia Universalis en ligne, http:/www.universalis.fr/encyclopedie/hans-georg-gadamer.

 [98] Cf. Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Plon, Paris, 1962. L’on trouve clairement formulé le postulat structuraliste en sa visée herméneutique dans le passage suivant : « Si l’activité inconsciente de l’esprit consiste à imposer des formes à un contenu, et si ces formes sont fondamentalement les mêmes pour tous les esprits […] il faut et il suffit d’atteindre la structure inconsciente, sous-jacente à chaque institution et à chaque coutume, pour obtenir un principe d’interprétation valide pour d’autres institutions et d’autres coutumes. », Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon, Paris, 1958, p. 28.

[99] Notamment, le structuralisme ethnographique, sociologique, psychanalytique.

[100] Roland Barthes, Le bruissement de la langue. Essais critiques IV, Seuil, Paris, 1984, p. 69. À l’origine, il s’agit d’un article de Barthes : La mort de l’auteur, 1968, publié en la somme posthume ci-avant citée.

[101] Roland Barthes, Sollers écrivain, Seuil, Paris, 1979, p. 8. La citation complète est la suivante : « Écrire c’est ébranler le monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l’écrivain, par un dernier suspens, s’abstient de répondre. La réponse, c’est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté. »

[102] Cf. l’essai sur Sarrasine, une nouvelle de Balzac, en lequel Barthes exprime parfaitement cette approche, Roland Barthes, S/Z, Seuil, Paris, 1970. Les cinq codes qu’il y met en œuvre sont : code herméneutique, prairétique, sémique, symbolique, culturel.

[103] François-Xavier Amherdt et Philibert Secrétan, L’herméneutique philosophique de Paul Ricœur et son importance pour l’exégèse biblique, en débat avec la New Yale Theology School, 2004, p. 257. 

[104] Selon le terme de Mario J. Valdes, Ricoeur Reader. Reflection and Imagination, Buffalo, Toronto, 1999, p. 3-40.

[105] Un demi-siècle auparavant, mais sans doute avec moins d’intention déconstructiviste, Paul Valéry déclarait : « Lorsque l’ouvrage est paru, son interprétation par son auteur n’a pas plus d’autorité que toute interprétation de qui que ce soit. […] Mon intention n’est que mon intention, et l’œuvre est l’œuvre ». Cahiers, Collectif, Tome II, Gallimard, Paris, p. 1191.

[106] Cf., notamment, Jacques Derrida, De la grammatologie, Les Éditions de Minuit, Paris, 1969.

[107] Citons aussi Gilles Deleuze, Félix Guattari, Paul De man, Jacques Lacan, Richard Rorty.

[108] Jacques Derrida, L’écriture et la différence, Seuil, Paris, 1967. 

[109] Jacques Derrida, La voix et le phénomène. Introduction au problème du signe dans la phénoménologie de Husserl, Puf, Paris, 1967, p. 92. La différance est un célèbre jeu de mots derridien, plutôt abscons à vrai dire, qu’il se refusera in fine à définir comme le rappelle Roose Marie-Clotilde dans son compte rendu de Jacques Derrida et la loi du possible par Silvano Petrosino, préfacé et traduit de l’italien par Jacques Rolland, Revue Philosophique de Louvain, 1995, vol. 93, n° 4, p. 670.

[110] G. C. Spivak, Can the Subaltern Speak ?, in Marxism and the Interpretation of Culture, C. Nelson et L. Grossberg, University of Illinois Press, Urbana-Champaign, 1988, p. 284-286.

[111] Jacques Derrida, Positions, Entretiens, Les Éditions de Minuit, Paris, 1972, p. 31.

[112] J. Derrida, Le parjure, peut-être, Derrida lecteur, Études françaises, vol. 38, P.U.M., Montréal, 2002, p. 21.

[113] Notamment aux États-Unis, voir John Searle et Barry Smith.

[114] Susan J.Hekman, Hermeneutics and the Sociology of Knowledge, University of Notre Dame Press, 1986, p.195.

[115] Une rencontre fort attendue fut organisée entre Gadamer et Derrida à l’Institut Goethe de Paris en avril 1981, elle se solda par l’impossibilité du dialogue et la fuite en avant de Derrida.

[116] Stanley Fish, Is There a Text in this Class, Harvard University Press, Cambridge, 1980, p. 326-327. La citation intégrale est la suivante : « Interpretation is not the art of construing but the art of constructing. Interpreters do not decode poems; they make them. »

[117] François Dosse, Histoire du Structuralisme, Tome 1, Le chant du signe, 1945-1966, Les Éditions La Découverte, Paris, 2012, p. 255.

[118] Paul Ricœur, Lectures : la contrée des philosophes, Seuil, Paris, 1999, p. 355.

[119] C’est-à-dire : « la théorie issue de Kant selon laquelle la connaissance des phénomènes résulte d’une construction effectuée par le sujet », définition donnée par Jean-Michel Besnier, Les théories de la connaissance, coll. Que sais-je ?, Puf, Paris, 2005.

[120] Michel Riffaterre, La production du texte, Seuil, Paris, 1979, p. 10. Cette approche situe M. Rifaterre plus près du constructivisme tel que nous l’entendons que du déconstructivisme où il est d’ordinaire rangé.

[121] C’est en ce sens qu’il fut classé par certains ricœuriens parmi les poststructuralistes, in Michel J., Ricœur et ses contemporains, Puf, Paris, 2013, p. 163-164.

[122] Paul Ricœur, Lectures, Tome 2, La contrée des philosophes, Seuil, Paris, 1999, p. 362.

[123] Paul Ricœur, Le conflit des interprétations, Seuil, Paris, 1969, p. 26.

[124] Paul Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Seuil, Paris, 1986, p. 130.

[125] Opus cité, Le conflit des interprétations, p. 7.

[126] Umberto Eco, Le signe. Histoire et analyse d’un concept, Labor, Bruxelles, 1988, p. 32.

[127] À l’heure où nous relisons ces lignes Umberto Eco est malheureusement décédé.

[128] Umberto Eco, Les limites de l’interprétation, 1990, Grasset, Paris, 1992, p. 29-32.

[129] Cf. Partie I, Chapitre III, § 4. Délimitation du sens littéral.

[130] Umberto Eco, ibid., p. 29.

[131] Ibid., dans l’ordre des citations : p. 29 ; 29-30 ; p. 29 ; p. 8 ; p. 31. Eco souligne aussi que l’inverse est en ce cas envisageable : « Par ailleurs, on peut lire comme univoque un texte que son auteur a voulu infiniment interprétable (ce serait le cas du fondamentalisme si le Dieu d’Israël était tel que le pensaient les kabbalistes) », ibid. p. 32.

[132] « On l’a souvent remarqué: dans l’herméneutique de Gadamer, il n’y a aucune place pour la question “critique” de la distinction des “bons” et des “mauvais” préjugés, ceux qui rendent possible la compréhension et ceux qui l’empêchent d’avoir lieu […] L’herméneutique de Gadamer conquiert sa dimension universelle au prix du renoncement à l’exigence normative, de sorte que les questions “critiques”, familières au praticien de l’interprétation, ne relèvent pas de la compétence de l’herméneutique philosophique », in Jean Greisch, L’âge herméneutique de la raison, Cerf, Paris,1985, p. 112-113.

[133] Terme employé par Jean Grondin, L’horizon herméneutique de la pensée contemporaine, Vrin, Paris, 1993, p. 197. De même, mais de manière plus critique, Yvan Élissalde : Critique de l’interprétation, Vrin, Paris, 2000, p. 12-13.

[134] « quasi nanos gigantium humeris insidentes », citation aristotélicienne attribuée au platonicien Bernard de Chartres par Jean de Salisbury, Livre II, Metalogicon, XIIe siècle.

[135] Les sciences cognitives confirment le processus. Cf. John Robert Anderson, Cognitive Psychology and Its Implications, 6e éd., W. H. Freeman & Company, New York, 2005. Gerd Gigerenzer, Gut Feelings. The Intelligence of the Unconscious, Penguin Books, London, 2007.

[136] D’après Jean Greisch, La raison herméneutique, in Recherche de sciences religieuses, 1976, 2, p. 20.