Le texte ci-dessous donné à lire est celui de l’introduction figurant dans notre traduction littérale du Coran :
Nous ne commencerons pas par les formules d’exorcisme d’usage par lesquelles le traducteur du Coran s’excuse d’avoir profané l’intraduisible. Or, le Coran est traduisible, et il l’est par essence puisqu’il se définit lui-même comme universel et intemporel. La trahison en la matière n’est donc pas la traduction, mais le fait d’avoir renoncé à l’ouvrage avant de l’avoir débuté, car il n’est plus question de traduction du texte coranique, mais de la « traduction approximative du sens qu’il convient de donner à ses versets ». Cette défection de principe trouve un prétexte dans un autre texte : ce qu’il est convenu d’appeler les “exégèses de référence”. De plus, le traducteur se doit d’avouer qu’il n’aura pas su respecter la beauté inégalable du texte arabe qu’il admet être inimitable et cette confession occulte tout autant qu’elle pardonne la qualité et la fiabilité très variables des versions proposées. Une traduction fidèle du Coran se doit au contraire d’en être l’imitation la plus parfaite qui soit. Une traduction serait-elle une imitation sans prétention ou une œuvre à part entière, en ce cas elle a pour mission de restituer et le fond et la forme. Nonobstant, en dehors des épitaphes introductives qui ornent le fronton des traductions du Coran, aucun traducteur n’oserait reconnaître qu’il n’a pu approcher ni le fond ni la forme du texte dont il avait la charge. Le sacrilège est là, si le Coran est déclaré intraduisible, alors c’est qu’il est incompréhensible…
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Pour autant, l’essentiel perdure, le texte coranique arabe a été transmis génération après génération ; le croyant, le lecteur, le traducteur, le chercheur, tous disposent du Texte, il n’y a donc pas de secret. Traduire le Coran est tout d’abord, et fondamentalement, examiner avec minutie son texte, son propos, le suivre, l’entendre, le reproduire avec le plus de fidélité et de rigueur possibles ; traduire ne serait plus trahir, mais respecter.
Pour autant, le Coran demeure, se pose alors pour tout traducteur la question du sens. Nous l’avons dit, concrètement toutes les traductions de l’époque moderne produites jusqu’à présent s’appuient sur ce que l’on peut qualifier d’exégèse standardisée. Une somme d’interprétations courantes répétées depuis plus de mille ans par les doctes et que le profane sacralise au nom de sa foi et du sacrifice de sa raison. Cette Exégèse commune et homogène n’est rien d’autre que le « sens qu’il faut donner aux versets du Coran » selon une compréhension nivelée par l’orthodoxie sous couvert d’exégèses dites de référence, significations qu’il convient d’admettre sous peine d’égarement. L’esprit critique n’est pas de mise, le Texte est vivant sur les langues, mais il est lettre morte, figé dans le temps d’une mémoire collective qui se doit de ne pas le penser, de ne plus penser. Le traducteur ne fait donc pas œuvre d’exégèse, c’est acquis, sa plume encagée a pour seule liberté la forme, gammes et trilles répétant la même mélopée avec plus ou moins d’art. Ainsi, les traductions existantes ne sont-elles différentes que par la forme, comme si elles égrenaient au fil du temps le chapelet de traductions de traductions.
Pour autant, le Texte persiste, il convenait donc que nous l’examinions attentivement et que nous réfléchissions de manière indépendante, critique et rationnelle sur sa signification. Or, il ne s’agissait pas pour nous de produire une nouvelle interprétation, une réinterprétation inspirée par l’air du temps, c’eût été penser le Coran. Bien au contraire, le Coran est un Message que nous devons laisser instruire notre pensée. Contre la théorie herméneutique qui à peu de frais soutient que toute lecture est une interprétation, nous avons montré qu’il existe un temps non-herméneutique, un en amont de l’interprétation où le texte s’exprime avant que nous parlions, pensions. Cette prime information de sens délivrée constitue ce que nous qualifions de Sens littéral et que le Coran nomme Sens premier : « ne connaissent son sens premier que Dieu et ceux qui s’enracinent en la connaissance ». Ce même verset – au grand dam des interprétateurs bien-pensants qui entendent ne pas entendre le texte coranique, mais leurs propres opinions – qualifie toute interprétation de déviation : « ceux qui ont à l’esprit quelque biais s’attacheront à ce qui pourrait en sembler équivoque, cela par désir séditieux et volonté de dépasser son sens premier ». Il n’y a donc pas de miracle, ce n’est pas le Coran qui recèle une possibilité infinie de significations, mais l’imagination des interprètes qui est potentiellement infinie. Cette opposition du Coran à l’interprétation de son propre texte est théologique : « interpréter le Texte, c’est faire de son ego sa propre révélation ».
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Par conséquent, les diverses exégèses du Coran qui ont été produites ne sont que des interprétations du texte coranique. À vrai dire, c’est la même interprétation à peu de choses près qui fait encore force de loi, celle proposée puis imposée par nos anciens prédécesseurs qui ont œuvré à interpréter le Coran selon la ligne de compréhension voulue et défendue par l’Islam à partir du IVe siècle de l’Hégire. Néanmoins, malgré tout le respect que l’on doit à cet effort intellectuel, il convient rationnellement de reconnaître que leur herméneutique du Texte était logiquement conditionnée par la culture et le monde de l’an mil selon lesquels ils pensaient. Aussi, pour parvenir à mettre le sens littéral universel et intemporel du Coran aux normes d’un Islam forgé au coin de cette période impériale, ces exégètes ont-ils été dans l’obligation d’avoir recours à un corpus extra-coranique chargé de superposer au texte coranique les significations aptes à imposer un tel déplacement de sens. C’est selon cette perspective exégétique qu’ont été générées les interprétations retrouvées dans les Sîra, les hadîths, les propos de pieux personnages, les avis juridiques, les emprunts aux écrits bibliques, les spéculations talmudiques de nos doctes, etc. L’ensemble constitue un corpus extratextuel qui informe le sens au-dessus de la ligne du texte coranique, les propos des Hommes se substitueraient donc à la “Parole” de Dieu.
Par conséquent, ce constat objectif implique que notre approche ait pour principe premier de considérer le Coran en tant que corpus clos. Autrement dit, il s’agit d’un texte délivrant sémantiquement et herméneutiquement les informations nécessaires et suffisantes pour établir le sens littéral de ses propres énoncés, son Message. Concrètement, cela suppose que telle partie du texte coranique puisse être expliquée par elle-même ou complémentairement par une autre. Ceci ne retire en rien au fait que le Coran puisse régulièrement s’inscrire en un rapport d’intertextualité. Généralement, il s’agit de l’évocation d’assertions bibliques au sujet desquelles le Coran propose un contre-récit critique. Mais là encore, ce rectificatif ne fait sens qu’en fonction du réseau de liens intratextuels tissé par le Coran en tant que corpus clos.
Par conséquent, il convenait d’élaborer une méthodologie à même de court-circuiter nos herméneutiques, ce que préalablement nous savons et pensons du Texte. Autrement dit, les phénomènes d’interprétation à l’œuvre plus ou moins inconsciemment lors de l’acte de lecture et de compréhension des versets coraniques. La méthodologie que nous avons conçue et appliquée repose sur un postulat indiqué par le Coran lui-même, lequel s’autodéfinit en tant que texte selon cinq axiomes : 1– son texte est explicite ; 2 – il est univoque ; 3 – il est cohérent ; 4 – il est intemporel ; 5 – il est universel. En fonction de ces prérequis, il existe bel et bien un sens littéral du Coran qui ne serait pas une interprétation, mais ce que le texte dit en première intention. Pour parvenir à identifier ledit sens littéral de manière rigoureuse et afin que lors du processus cognitif de compréhension du texte ne s’immisce une interprétation, nous avons donc mis au point et codifié l’Analyse Littérale du Coran. Cette méthodologie de décryptage du texte suit un processus algorithmique en cinq étapes : 1 – Analyse lexicale ; 2 – Analyse sémantique ; 3 – Analyse structurelle et contextuelle ; 4 – Analyse de la convergence coranique ; 5 – Résolution du sens littéral. Cette démarche strictement intratextuelle est rigoureuse et critique, d’ordre scientifique elle apporte à chaque étape la preuve de ce qu’elle avance.
Par conséquent, une fois méthodologiquement ôtées les couches exégétiques surchargeant notre perception du texte, l’on parvient à la ligne textuelle en sa manifestation initiale : le Message à l’origine. La lettre dépouillée de toute interprétation délivre alors sa signification première, son sens littéral. Nous le définirons comme suit :la signification première non-interprétative qui ne peut être infirmée par la lettre. Autrement formulé, « le sens littéral est la signification au-delà de laquelle commence l’interprétation ». Le sens littéral n’est donc de principe que le reflet de l’intemporalité et de l’universalité du Message délivré par le Coran. Toutefois, nous tenons à le préciser, le sens littéral ne représente pas une Vérité du texte, absolue, mais seulement une vérité textuelle dont la limite tangentielle est tributaire de nos propres capacités d’analyse et de l’ascèse de nos intentions.
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Par suite, la mise au jour du sens littéral par Analyse Littérale de l’ensemble des versets coraniques nous a permis de réaliser la présente traduction littérale du Coran. Le fruit supposant avant tout l’arbre, ceci explique que cette traduction soit le résultat de vingt années de recherches exégétiques. Non pas qu’il ait fallu autant d’années pour rédiger cette traduction, mais parce que l’analyse littérale de l’ensemble des versets qui composent le Coran est un processus lent et minutieux qui ne pouvait de plus être amorcé sans les préalables méthodologiques que nous venons de brièvement exposer. Notre traduction littérale du Coran n’est donc pas un début, l’œuvre d’un traducteur, mais en quelque sorte une conclusion, tout du moins l’expression d’un long mouvement de réflexion et d’exploration de la rigoureuse signifiance du texte coranique. Ce rapport obligatoire entre le tout et ses parties explique aussi que notre traduction littérale du Coran soit numérotée Vol. X puisqu’elle fait suite aux tomes à venir présentant les prolégomènes théoriques et méthodologiques qui constituent l’ensemble de notre œuvre. Par ailleurs, notre concept de traduction littérale doit être distingué de la notion de traduction littéraliste. En effet, le littéralisme n’est qu’une illusion de littéralité puisque la démarche suivie revient concrètement à surimposer au texte coranique l’ensemble des significations voulues par l’Exégèse et l’Islam à partir des nombreuses sources extratextuelles que nous avons mentionnées et dont il fait peu de doute qu’elles aient été forgées pour remplir cette fonction. À l’opposé, notre traduction littérale du Coran n’est autre que le résultat de l’analyse littérale des versets coraniques, laquelle, adogmatique et contre-intuitive, concrétise ce qui est classiquement qualifié de tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān ou compréhension du Coran par lui-même et en lui-même.
Par suite, la traduction littérale n’est autre que la formulation de la compréhension du Coran par lui-même. Ne lisant plus le Coran avec les yeux de l’Exégèse classique et ne l’entendant plus selon la voix redondante du discours de l’Islam, mais en fonction des propositions de sens du Texte lui-même, notre recherche exégétique a révélé de nombreuses différences d’avec ce à quoi le lecteur du Coran est habitué. À dire vrai, lorsque nous avons initié cette recherche exégétique nous ne soupçonnions pas l’étendue de ces désaccords qui selon les cas peuvent être qualifiés de nuances, d’écarts, de distances, de hiatus, de discordances, de divergences, d’oppositions. Le domaine de cet inexploré s’est avéré vaste, complexe, parfois radical, remettant en cause bien de nos certitudes quant au dogme, à la théologie, au sociétal, au rituel, au juridique. Il a fallu penser l’impensable, dire l’inaudible, écrire le non dit, en somme assumer ce qui s’apparente bel et bien à un divorce herméneutique entre le Coran et l’Islam. De fait, la zone de confort du lecteur pourra parfois s’apparenter à une zone de turbulence, nous en sommes conscient. Or, et il convient de le préciser avec acuité, mieux comprendre le Coran c’est mieux comprendre l’Islam et non pas opposer l’un à l’autre. Notre analyse critique si elle est déconstructive n’est pas pour autant destructrice, mais reconstructrice de sens. S’agissant des musulmans, elle aboutit à des propositions qui permettent à qui veut d’harmoniser à la lumière du Coran son rapport individuel à la foi, à la raison et à la religion, en un mot : son islamité.
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Ceci étant, s’agissant toujours du fond, nous avons pris comme référence le texte coranique arabe de la recension Ḥafṣ établie selon l’édition égyptienne du roi Fouâd Ier élaborée en 1923 selon un décompte de 6236 versets. Celle-ci est la plus diffusée à l’heure actuelle et tend à s’imposer plus largement encore. La traduction littérale du Coran que nous proposons suit donc comme ligne de base ladite recension commune. Cependant, toute recherche exégétique doit prendre en compte les variantes de récitation ou qira’āt qui constituent en quelque sorte l’appareil historico-critique du texte coranique. Parmi ces milliers de variations textuelles qui ont été conservées, la très grande majorité ne modifie en rien le sens des versets qu’elles concernent, mais certaines ne sont pas neutres du point de vue exégétique. Ainsi, et nous l’indiquons systématiquement en note de bas de page, notre analyse littérale a retenu de manière argumentée à 76 reprises une variante textuelle portant sur un mot ou un verbe autre que celle figurant dans la recension Ḥafṣ, variantes connues et reconnues. Précisons que ces variantes validées n’affectent pas le ductus, le corps consonantique du texte coranique, mais uniquement la voyellisation et le jeu des points diacritiques.
Ceci étant, s’agissant plus encore du fond, notre analyse littérale a exhumé une notion fondamentale : chaque sourate traite d’un thème unique. Ce thème est présenté par les premiers versets formant alors l’introduction de la sourate et repris dans les versets constituant de même sa conclusion. En suivant les indications textuelles, les nombreux marqueurs sémantiques jalonnant le texte de la sourate et la logique du sens guidée alors thématiquement, il apparaît qu’en fonction de la longueur du texte des sourates celles-ci dévoilent une structure parfaitement élaborée en fonction du thème. Nous avons donc identifié de deux à quatre Parties par sourate, chacune de ces parties étant composée d’un à cinq Chapitres, eux-mêmes comportant d’un à six Paragraphes au sein desquels l’on peut noter des alinéas. Seules les plus courtes sourates compilées en fin du Recueil coranique peuvent être composées d’une seule unité textuelle exposant directement le thème. De manière remarquable, ces unités et sous-unités thématiques sont le plus souvent équilibrées en quantité de texte. Cette organisation insoupçonnée jusqu’alors a pour fonction de décliner didactiquement à la manière d’une symphonie le thème propre à chaque sourate, une diffraction rigoureuse toute en nuances et mises en perspectives qui sous-tend et soutient ainsi la ligne de sens développée par la sourate.
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Ce faisant, s’agissant à présent de la forme, sous le titre donné traditionnellement à chaque sourate nous faisons figurer le thème de ladite sourate. Cette première information est importante puisqu’elle indique au lecteur le vecteur de compréhension de ladite sourate. L’on pourra consulter en fin d’ouvrage la table des matières où en regard de chaque sourate nous avons fait figurer le thème qui lui est propre. Ce tableau synoptique permet de prendre la mesure de la diversité et de l’étendue des thèmes abordés par le Coran, mais aussi leur unité et cohérence théologiques.
Ce faisant, s’agissant de la forme et en fonction de la constante structurelle que nous avons explicitée, il apparaît que la présentation de la traduction littérale du texte coranique que nous proposons diffère de manière novatrice de ce à quoi nous avons dû nous accoutumer depuis le XIXe siècle. En effet, de manière systématique toutes les traductions du Coran placent à chaque page les versets les uns au-dessous des autres en les faisant précéder de leur numéro d’ordre de sorte que quasiment chaque verset semble constituer une unité de sens indépendante, une péricope. Ce n’est plus alors un texte, mais une suite ininterrompue et désarticulée d’informations verset par verset. Tout lecteur honnête reconnaît qu’en raison de l’absence de cohérence textuelle ainsi provoquée il perd très rapidement le fil de sens. Par contre, à l’opposé de cette situation fort dommageable, notre composition du texte et sa mise en page respectueuse de l’organisation structurelle de la sourate font ressortir la cohésion thématique du Texte. À cette fin, nous avons figuré les parties, chapitres et paragraphes composant chaque sourate et leur avons donné un titre, des sous-titres donc. Leur formulation relève de notre initiative en sa forme, mais non quant au fond, et elle est destinée à guider le lecteur au fur et à mesure de sa progression. Il peut ainsi suivre la subtilité de l’évolution thématique et comprendre de lui-même le propos coranique en toute cohérence. De la sorte, le Coran n’est plus ce catalogue de versets, disparate et décousu, mais bien un texte, et un grand texte. On ne lira donc jamais un verset isolément, mais au minimum dans le paragraphe où il s’insère thématiquement.
Ce faisant, s’agissant toujours de la forme, contrairement à l’usage des traductions françaises indiqué ci-dessus nous avons placé le numéro des versets à la fin de ceux-ci, ce qui du reste est le cas pour le texte arabe. Nous avons aussi réduit la taille de police de cette numérotation afin que lors de la lecture le propos en cours ne soit pas manifestement interrompu par ces marqueurs numériques. Bien des phrases du Coran courent sur plusieurs versets et la segmentation due à cette numérotation est grandement préjudiciable à la fluidité du texte et donc à sa compréhension précise. De plus, nous avons mis en avant la réalité physique des paragraphes dont l’unité textuelle est alors parfaitement visible et donc lisible, intelligible. Selon la même préoccupation, nous n’avons pas eu recours à des chiffres pour signaler les appels de note, mais à un astérisque (*). Ce procédé, pensons-nous, à la différence d’une valeur chiffrée a l’avantage de ne pas avoir une signification qui inconsciemment pourrait détourner l’attention du lecteur. À ce propos, nous avons accompagné notre traduction littérale du Coran de près de neuf cents notes de bas de page plus ou moins brèves, et ce, en fonction de plusieurs objectifs : 1 – expliquer les difficultés que comportent certains versets ; 2 – justifier étymologiquement nos différences terminologiques ; 3 – expliciter notre traduction chaque fois que résultant de l’analyse littérale elle présente une différence de sens notable d’avec celui que suivent ordinairement les traductions toutes assujetties à la doxa exégétique classique ; 4 – signaler les principales surinterprétations classiques ; 5 – mettre en exergue certains concepts-clefs coraniques qui ont été ignorés ou contredits par le corpus de l’Exégèse traditionnelle et l’Islam ; 6 – pointer les incohérences et les non-sens liés à des mécompréhensions et mésinterprétations devenues communes ; 7 – jalonner des repères de sens littéralement assurés permettant au lecteur de nourrir sa compréhension et mûrir son jugement. Nous préciserons que ces notes ne sont pas destinées à tout élucider quant aux innombrables questions que le Coran suscite chez le lecteur. Le Coran est un texte qui interpelle, interroge, appelle à la réflexion personnelle de celui qui le pratique. Aussi, ces annotations renvoient-elles à notre Exégèse Littérale du Coran en cinq volumes, corpus exégétique où nous analysons l’ensemble des versets coraniques et qui conséquemment explique jusqu’au moindre détail de la présente traduction littérale du Coran laquelle, redisons-le, en est directement issue. Accessoirement, du rôle premier et central de notre exégèse littérale découle le fait qu’en fin d’ouvrage nous n’ayons pas livré d’index, celui-ci appartenant à ladite exégèse.
Ce faisant, s’agissant encore de la forme, la notion de traduction littérale du Coran implique une grande fidélité au texte coranique, ce qui n’est pas sans entraîner de nombreuses contraintes. Ainsi, nous sommes-nous attaché à suivre l’ordre syntaxique des versets en arabe et à les traduire terme à terme. Il y a toutefois à cet exercice une limite : le croisement de significations propres aux développements de chaque racine arabe. Nous n’avons donc pas usé d’ajout textuel mis entre parenthèses ou entre crochets contrairement à une pratique fréquente. En revanche, nous avons eu fréquemment recours aux points de suspension pour respecter le halètement de ce texte oral peu soucieux d’articuler son propos selon les règles d’un exposé écrit. Pareillement, le respect de cet art oratoire nous a amené à faire fréquemment appel au point d’exclamation. Ce calque syntaxique offre comme avantage de donner au lecteur non arabisant la garantie qu’il ne lit pas un texte différent de l’original, ce qui n’est pas le cas pour bien des traductions dont l’écriture est de facto plus ou moins libre. Quant à l’arabisant, quel que soit son niveau, cette superposition entre le texte arabe et français lui fournira une aide traductionnelle. Dans la mesure du possible, nous n’avons pas traduit les locutions arabes en ayant recours à des locutions françaises qui s’en éloigneraient trop, exception faite de quelques arabismes que nous signalons en note. Nous avons aussi veillé à ce que cette transposition littérale ne crée pas d’ambiguïtés textuelles et que l’énoncé soit le plus clair possible en première lecture. Par ailleurs, nous avons apporté une grande attention à la rigueur et à la richesse lexicale du texte coranique arabe. Rigueur qui impose de toujours traduire un même terme de la même manière et, à l’inverse, de ne pas niveler cette précision lexicale en employant le même mot français pour différents termes arabes. Richesse de vocabulaire incontestable des 5000 termes environ mobilisés par le Coran, vaste champ littéraire fleuri de centaines d’hapax et de mots rares que nous avons reproduits avec l’exigence que réclame leur saveur particulière. Plus, et non sans avoir recours à l’exploitation néologique à partir des racines arabes, le Coran joue aussi avec subtilité et justesse de la polysémie propre à l’arabe amplifiant ainsi en densité et diversité sa luxuriance lexicale. Subséquemment, et à une exception près, nous n’avons employé en notre traduction aucun néologisme. Citons le cas des fameux associateurs et autres associants, préférant à ces barbarismes pour le verbe ashraka la périphrase « ceux qui associent à Dieu des divinités » puisque telle est sa signification contextuelle. Le nom dérivé de ce verbe-clef est mushrik que nous rendons par idolâtres du fait que le Coran confère à ce terme-concept une dimension théologique arcboutée sur le plus strict monothéisme. Il s’agit donc d’idolâtrie/shirk en tant que manifestation de l’egolâtrie. Dans le même esprit, le lecteur portera une attention toute particulière à notre usage des majuscules et aux guillemets signalant le concept au-delà du mot ou sa compréhension au sens figuré ou symbolique. De même, l’on sera attentif à la mise en relief typographique des différents niveaux de dialogue : directs, indirects, rapportés, rhétoriques, théoriques. Au vu de l’objectif traductionnel fixé, nous reconnaissons humblement n’avoir pu que nous en rapprocher… toute approximation, toute erreur, toute coquille et faute ne peuvent que nous être imputées.
Ce faisant, s’expliquent ainsi les particularités linguistiques de notre Traduction littérale. Bien que lors de la traduction du texte arabe nous n’ayons réécrit ni sur-écrit pour la rendre plus conforme à la norme actuelle de la langue française, il s’avère que du point de vue stylistique notre traduction revêt régulièrement un aspect quelque peu suranné, tout au moins classique. Or, en cela nous restons fidèle à la langue coranique qui présente effectivement des caractéristiques équivalentes, une esthétique archaïsante préclassique. Nous avons conservé ses particularités, son style extrêmement concis, parfois abrupt, son expression hautement oratoire, ses ellipses, ses incises, sa densité de propos, sa vitesse d’enchaînement, ses variations pronominales impromptues, ses formulations particulières, parfois désuètes. Par ailleurs, le style coranique est varié, non pas en fonction d’une évolution entre les sourates dites mecquoises et celles qualifiées de médinoises, mais en raison de la nature des sujets traités et des objectifs visés. Ainsi, faut-il parvenir à rendre la rigueur d’énonciation et la compacité des textes traitant des réformes sociétales, la tension narrative des récits prophétiques désespérants de dépouillement et de vivacité, le lyrisme naturaliste de ces grandes odes appelant tant à la foi qu’à la raison, le chatoiement des allégories paradisiaques, le cru flamboiement des allégories infernales, le ton impérieux des énoncés théologiques, la subtilité à double sens des allusions mystiques, les gammes infinies des variations d’un même thème, etc. À part encore, la poésie profuse et éclatante des brèves sourates à fort potentiel évocateur dont l’embrasement exalté revêt une étonnante modernité de forme toute affranchie de ce que l’Arabe poète considérait comme une norme quasi sacrée. Par conséquent, et sans comparaison possible, nous avons eu pour parti-pris de tenter de rimer, assonancer et rythmer la quarantaine de sourates portées par ce souffle poétique. Autre souffle inspiré que celui qui parcourt l’entièreté d’un texte en lequel la forme et le fond sont toujours en parfaite adéquation. On le constatera, le Coran est in fine un Texte substantiel dont la relative brièveté et la variété d’expression sont pourtant au service d’une grande amplitude programmatique. Un texte à la trame serrée et complexe dont il convenait de maintenir la complexité, car dès lors que la traduction ne s’en départit pas, cette difficulté intrinsèque ne nuit pas à une compréhension nécessitant de principe une lecture attentive ; simplifier aurait été ici à nouveau trahir le Coran. Nous ne pouvions que tendre vers ces exigences et nous avons veillé autant que faire se peut à ce que ce cahier des charges n’aboutisse pas à une traduction inesthétique ou inaccessible, notre priorité ayant été évidemment que le Sens littéral des versets soit directement perceptible. Enfin, il convient de rendre hommage à nos prédécesseurs qui à leur manière ont tous su tendre des ponts au-dessus du gouffre sémantique qui sépare la langue arabe coranique du français académique et ainsi multiplier les voies d’accès traductionnelles. Il convient de même de rappeler que « si l’art est difficile, la critique est aisée ».
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Au terme de cette présentation résumée de notre démarche exégétique et de traduction, nous rappellerons que nul ne peut ignorer les enjeux présents de la traduction du Coran, plus de 80% des musulmans ne sont pas arabophones et pour le dire sans ambages, peu d’arabophones maîtrisent l’arabe coranique. Le groupe doctrinaire dominant s’est donc saisi du dossier depuis une trentaine d’années et diffuse à grande échelle des « traductions du “sens” des versets du Coran » totalement asservies à la signification qu’il entend leur donner. La centralité du Coran est telle pour les musulmans, et elle le sera plus encore à l’avenir, que la compréhension littérale du message coranique à l’origine est essentielle. En effet, résoudre les problématiques islamiques engendrées par cette mainmise intentionnée sur le Texte nous semble devoir passer par l’établissement de la signification première du Coran, le sens littéral, un en amont des strates exégétiques classiques, le sens antérieur à l’emprise exégétique de l’Islam sur le Texte. C’est à ces difficultés réelles que l’ensemble de notre recherche exégétique est sous cet aspect en mesure de répondre en proposant une approche non-interprétative du texte coranique. La présente Traduction littéraleest l’expression directe présentée à tout lecteur désireux par lui-même de comprendre le Coran tel qu’en lui-même ; une nouvelle expérience de lecture.
Le regard que nous avons porté sur le Coran est objectif et rationnel et cette approche critique au sens positif du terme n’aboutit ni aux conclusions traditionnelles ni à celles de l’islamologie. En Islam, un novateur est un innovateur, nous comprenons donc qu’un musulman puisse s’inquiéter à la simple idée d’innovation, fût-elle seulement formelle. Il juge communément ce texte si sacré qu’il s’interdit de le penser et valide les yeux fermés le mythe d’un Coran inaccessible à la raison, car d’une grandeur inégalable, indépassable. Il n’a donc pour autre horizon que la limitation de sa propre vue. L’urgence est à la réhabilitation raisonnée du Coran qui est en somme victime des incompréhensions de la part de ceux qui le vénèrent aveuglément tout autant que de ceux qui le vilipendent aveuglément. Tout au long de ce parcours nouveau, il faut s’armer de patience, de courage même, tremper sa plume dans la solitude de l’indépendance d’esprit et accomplir le très long chemin remontant à la source du Message coranique. Message que les musulmans considèrent à juste titre adressé à l’Humanité et dont la vitalité continuelle ne dépend en réalité que du dynamisme de nos cœurs et de nos esprits.
Toujours est-il que notre traduction littérale du Coran présente un texte n’ayant pas emboîté les pas du sentier largement battu depuis un siècle et demi. Chemin qui, nous l’avons souligné, a été tracé par une exégèse dont l’effort princeps est resté figé depuis mille ans. Bien qu’elle renvoie au sens initial, cette traduction littérale du texte coranique méthodologiquement étayée n’est pas pour autant un retour en arrière à l’instar de la vague littéraliste. Au contraire, cette approche radicale, ce qui va à la racine, a mis en lumière une contemporanéité non attendue et non entendue du propos coranique. Il n’était donc pas nécessaire de moderniser l’interprétation du Coran, ce sont les interprétations proposées de longue date qui sont obsolètes. Quoi qu’il en soit, notre travail de compréhension et de traduction souligne par la force des choses de nombreuses divergences d’avec les interprétations classiquement admises. Rien en cela ne relève d’un quelconque penchant pour la modernité et encore moins d’une volonté réformiste puisque nous apportons la preuve que ces significations semblant nouvelles sont littéralement présentes dans le texte coranique dès l’origine. Ce qui est actuel est de pouvoir les entendre et les comprendre.
Parmi les différences ainsi mises en évidence, nous citerons quelques faits significatifs. Sur le plan théologique, entre autres : la critique rationnelle du mythe biblique d’Adam et Ève ; le paradigme coranique du Libre arbitre versus le paradigme islamique de la Prédestination ; la non-possibilité de l’Intercession versus l’Intercession voulue par nos exégètes ; l’absence de Purgatoire contrairement à ce que l’Exégèse soutient ; la reconnaissance de la crucifixion de Jésus, mais la non-validation de son retour aux temps eschatologiques, et ce, contre l’adoption par l’Islam de ce concept emprunté au christianisme ; le Salut universel pour tous les croyants monothéistes quelle que soit leur religion versus l’exclusivisme de l’Islam et en la matière des autres religions. Citons encore : l’inexistence textuelle de la supériorité de l’Islam sur les autres religions ; l’affirmation de l’absence de miracles concernant le prophète Muhammad ; la dénonciation des croyances traditionnelles au magique et au surnaturel ; le rejet de la croyance au Diable en tant qu’entité du mal tout en soulignant que le mal ne provient pas de Dieu, mais des Hommes, le Diable/ash–Shaytân n’étant donc autre que notre “Démon intérieur”. Sur le plan intertextuel, mentionnons que le Coran rectifie selon une logique strictement monothéiste les histoires prophétiques de l’Ancien Testament : il invalide par exemple le Déluge universel et en propose une version pleinement rationnelle. Sur le plan humain, le Coran défend par exemple l’égalité hommes femmes dans tous les domaines : mariage, divorce, héritage, témoignage, etc., ce que l’Islam n’admet pas. Sur le plan rituel, nous signalerons seulement l’existence de nombreuses différences quant à la prière, le jeûne, l’aumône et le pèlerinage que le Coran aborde en leur dimension spirituelle plus que ritualiste. Le lecteur sera donc en droit de se questionner sur ces différences, mais il sera tout autant en devoir de s’interroger sur les raisons qui ont conduit nos doctes de la période classique à dévier le sens de certains termes, versets et concepts du Coran.
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Au final, la présente traduction littérale du Coran est issue directement d’une patiente et rigoureuse exploration exégétique du Texte dont l’objectif méthodologique a été de parvenir à un temps antérieur à l’interprétation : le Message à l’origine. La somme des différences qui ont ainsi surgi réalise le Paradigme coranique, lequel n’est pas exactement superposable à l’interprétation du Coran par l’Islam. À tout lecteur désireux de comprendre le Coran, nous espérons avoir ainsi rendu possible l’accès au texte premier, à la signification initiale de son propos. Son parcours, à l’image du nôtre, nécessitera sans doute une remise en question de ses certitudes, la raison est à ce prix-là. La foi aussi aspire à retrouver l’écho de ce qu’elle sait être en son âme et conscience du Texte, le Recueil/al–qur‘ān ou Coran. Quant au lecteur qui voudrait seulement découvrir ce qu’est le Livre des musulmans, il est connu qu’il est le plus souvent repoussé par l’aspect chaotique et sans ordre d’un texte en cela victime de la non-conception thématique et de la présentation traditionnellement retenues. Or, l’analyse littérale et l’analyse structurelle ont permis de redonner au texte coranique un aspect cohérent, en présentation et en contenu. Ce qui se voit, ce qui se lit, ce qui s’entend, ce qui se ressent, ce qui se comprend, le message d’un Texte désentravé des carcans qui le mettaient en souffrance doit pouvoir retrouver son intention d’origine : hors des préjugés qui habitent les uns et les autres, permettre le rapprochement des uns et des autres.
Nous sommes honorés de pouvoir présenter à toute âme de bonne volonté ce texte accessible rendant hommage à l’esthétique de la claire langue arabe coranique support d’un texte fort aux multiples résonnances, un Livre à méditer en tant que tel.
Nous sommes heureux du long temps béni passé auprès du Coran, de cette lente étude où plus nous approchions de sa compréhension, plus naissait en nous le besoin de nous effacer devant le Texte.
Dr al Ajamî
Cordoa, novembre 2023