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Âyat al–kursî – Le verset du Trône doit-il descendre de son piédestal ?

Si l’on excepte la Fâtiha et quelques courtes sourates, âyat al–kursî/le verset du Trône est sans doute le plus fameux verset du Coran. Tout musulman le connaît généralement par cœur et, tout particulièrement, ledit âya al–kursî trône dans toutes les mosquées, demeures et boutiques du monde musulman. Accroché aux murs, constitué en amulettes, St Christophe de l’automobile islamisée, récité pour éloigner le Diable et ses démons, mantra au pouvoir de guérison, psalmodié pour bénir toutes les grandes occasions, le verset du Trône/âyat al–kursî doit sa célébrité aux vertus protectrices qui lui sont attribuées. En d’autres termes, sa signifiance l’emporte sur sa signification.

De notre point de vue textualiste, ce n’est point ce cortège de croyances magico-chamaniques qui confère à ce verset son intérêt, mais son intertextualité déconstructrice et la non moins activité contraire développée par l’Exégèse. Entre sacralisation religieuse et désacralisation rationnelle, quelle valeur sémantique réelle revêt ce verset ? Comment ce verset dont l’objectif est de célébrer la transcendance de Dieu pour mieux rejeter toutes formes de mythologisation et de superstition a-t-il été élevé tel un trône sur le piédestal de nos croyances ?

 

• Que dit l’Islam

Nous l’avons évoqué, pour l’Islam âyat al–kursî ou « Verset du Trône » est principalement caractérisé par son usage prophylactique et talismanique. Si cette croyance provient directement d’affirmations exégétiques, il convient de rappeler que l’Exégèse avait aussi souligné son importance en termes de théologie de l’Unicité divine et quant à la question de l’Intercession, nous reviendrons sur ces deux derniers points lors de notre analyse littérale.

Pour autant, d’évidence, le texte apparent de ce verset semble sans rapport avec la quelconque valeur magique de sa récitation. C’est donc bien le Hadîth seul qui a introduit cette part d’irrationnel dans l’exposé rationnel coranique.  Ainsi, lit-on d’après Abû Hurayra que le Prophète aurait dit : « Il y a dans “Sourate la Génisse” le seigneur des versets du Coran. Il n’est pas une maison en laquelle il est récité sans que le démon qui s’y trouve n’en sorte : il s’agit du Verset du Trône. »[1] Citons aussi d’après Abû Amâma que le Prophète aurait dit : « Celui qui récite après chaque prière obligatoire le Verset du Trône, rien ne l’empêchera d’entrer au Paradis ».[2] Si, comme ceux-ci, les hadîths vantant directement les vertus talismaniques du Verset du Trône/âyat al–kursî sont non authentifiés, notons qu’ils ont tous comme modèle de référence un long hadîth rapporté par al Bukhârî selon Abû Hurayra. En substance, après avoir laissé le Shaytân voler à deux reprises un peu de grain de la zakât de Ramadan dont Abû Hurayra avait la garde, sous prétexte que ce pauvre diable était dans le besoin [sic], il le prit une troisième fois la main dans le sac et celui-ci lui dit : « Laisse-moi, et je t’apprendrais une parole qui te sera utile auprès de Dieu. Lorsque tu te couches[3] récite :  Dieu, point d’autre dieu que Lui. Ni somnolence ni sommeil… [le verset] ” et Dieu ne cessera de te protéger, aucun démon ne t’atteindra jusqu’à ton réveil. » Alors, le Prophète fit ce commentaire : « Il t’a dit la vérité alors qu’il est le plus grand des menteurs ! » [4] Quand on lit la version complète de ce célèbre récit, la naïveté dont fait montre Abû Hurayra est désarmante et l’on se dit qu’il est la dernière personne en tant que transmetteur de hadîths que l’on pourrait croire sur parole ! Quant au Shaytân, il doit être en piètre forme pour craindre le candide Abû Hurayra alors que ce dernier lui laisse voler ce dont il a la garde, là encore comment faire confiance à un personnage aussi laxiste ! L’on est aussi en droit de se demander pourquoi le Shaytân livrerait pour quelques grains d’orge une arme fatale anti-démons ! Ce type de démarche est sans doute à relier à ce que l’Exégèse avait transmis des dires talmudiques quant à la magie babylonienne enseignée par des démons ou par des anges déchus.[5] La puissance talismanique du verset du Trône étant alors garantie en quelque sorte par l’origine démoniaque de l’information ! Paradoxe s’il en est, se protéger contre le Diable serait une pratique satanique !

 

• Que dit le Coran

Voici la traduction littérale du verset du Trône/âyat al–kursî : « Dieu, point d’autre dieu que Lui, l’Éternel, l’Immuable. Ne Le saisissent ni somnolence ni sommeil, Il détient ce qui est en les Cieux et sur Terre. Qui donc pourrait plaider auprès de Lui sans Sa permission ! Il sait parfaitement ce qui fut avant eux et après eux, alors qu’ils ne cernent de Sa Science que ce qu’Il en a voulu. Son Piédestal s’étend aux Cieux et à la Terre, ne L’accable point leur garde. Il est le Sublime, l’Incommensurable. », S2.V255.[6] Du fait de sa densité sémantique, ce verset peut être divisé en cinq énoncés tous liés par un même fil de sens : 1– De l’unicité divine ; 2– De l’ontologie divine ; 3–Du pacte prophétique ; 4– De la fonction prophétique ; 5– De la méta-théologie.

– 1 : De l’unicité divine 

– « Dieu, point d’autre dieu que Lui, l’Éternel, l’Immuable ». Structurellement, ce verset est l’axe d’un paragraphe, v253-257, traitant du rapport entre l’unicité de la Foi et de la Révélation et la multiplicité des prophètes et des religions. Il est donc cohérent que ce verset définisse en premier lieu l’unique objet de la foi : « Dieu ». Dieu unique, puisque « point d’autre dieu que Lui », c’est dire que le seul principe divin existant est « Lui », Dieu, et que tout « autre dieu » est sans réalité autre qu’une fiction imaginée par les hommes. De fait, Dieu existe quand bien même les hommes n’existeraient pas, Il est par Lui-même, d’où les deux qualificatifs donnés : « l’Éternel, l’Immuable ». Il est « l’Éternel/al–ḥayyu », litt. celui qui vit, le Vivant, ce qui s’agissant de Dieu ne qualifie pas l’aspect biologique, mais Son existence principielle : « al–ḥayyu, Celui qui ne meurt pas… », S25.V58. Or, Dieu est l’Alpha et l’Omega, S57.V3, antérieur à la Création et subsistant à sa disparition et, de manière plus adéquate, nous pouvons donc traduire al–ḥayyu par « l’Éternel ». Il est « l’Immuable/al–qayyûm », litt. Celui qui subsiste tel qu’en lui-même,[7] alors que tout ce qui est Sa création est fluctuant, instabilité qui induit sa transformation permanente, temps et entropie la caractérisent, l’inverse en est donc « l’Immuable » Créateur. Aussi, Dieu, « l’Éternel, l’Immuable »,[8] est-Il hors du temps, dimension où s’opère tout changement, immutabilité et pérennité nécessaires à l’exercice de Son magistère sur Sa création.

– 2 : De l’ontologie divine 

– « Ne Le saisissent ni somnolence ni sommeil, Il détient ce qui est en les Cieux et sur Terre ». Pour illustrer la caractéristique ontologique à l’essence divine de « l’Éternel, l’Immuable », il est établi une comparaison anthropologique : « ne Le saisissent ni somnolence ni sommeil ». C’est dire que la créature est faible et instable alors que le Créateur immuable est exempt de toute altération ou changement d’état. De plus, le premier terme de ce parallèle : « ni somnolence » est de toute évidence une critique du repos au septième jour que la Bible attribue à Dieu[9] puisque nous lisons par ailleurs : « Nous avons, certes, créé les Cieux et la Terre et ce qui est entre les deux en six jours,[10] sans que pour autant Nous atteignît la moindre lassitude. », S50.V38. Fatigue, lassitude, provoquent la « somnolence » et, par voie de conséquence, l’endormissement, d’où la précision : « ni sommeil », précision qui en dehors d’être destinée à couper court à toute spéculation est sans doute aussi une critique allusive à certaines maladresses des anciennes théologies[11] qui seront par la suite corrigées.[12]

– 3 : Du pacte prophétique

– « Qui donc pourrait plaider auprès de Lui sans Sa permission ». Notons d’emblée que nous n’avons pas traduit ici le verbe shafa’a par intercéder, mais par « plaider ». En effet, la justice divine est au cœur de ce paragraphe, tous les prophètes ayant eu comme unique et commune mission d’avertir les hommes qui, au-delà des divergences religieuses qu’ils auront générées eux-mêmes, v253, seront confrontés à leur Créateur au « Jour » où aucune « intercession » ne sera possible, v254. Il serait donc contraire à la notion de justice divine, à la logique et la cohérence du Coran[13] ainsi qu’à la raison humaine qu’il soit dit en notre v255 que Dieu donnerait la permission à certains d’intercéder et que, comme nous le propose l’Exégèse, l’on puisse lire ce segment de la sorte : « qui peut intercéder auprès de Lui sans Sa permission ? », traduction standard. Un verset éclaire la problématique : « Ce Jour, la plaidoirie/ash–shafâ‘a ne sera d’aucun avantage, sauf à ceux qu’a autorisé le Tout-Miséricordieux et dont Il a agréé la parole », S20.V109. Contrairement à l’usage, nous n’avons pas traduit ici le terme ash–shafâ‘a par intercession, car affirmer que l’intercession ne bénéficierait qu’à celui qui la prononcerait n’a pas de sens puisque, par définition, l’intercesseur intercède pour autrui et non pour lui-même. Il convient donc de retenir pour le verbe shafa‘a et son substantif ash–shafâ‘a une autre des ses significations, laquelle nous est contextuellement donnée au verset suivant : « Le Jour où l’Esprit et les Anges seront alignés, nul ne prendra la parole sauf celui que le Tout-Miséricordieux aura autorisé et il parlera en toute vérité », S78.V38. La comparaison indique que pour le Coran le verbe shafa‘a signifie prendre la parole au Jour du Jugement, sens que l’on peut rapprocher d’une des connotations de cette racine : adresser une requête.[14] En français, prendre la parole et adresser une requête sont deux actions exprimées par le verbe plaider et ses substantifs plaidoyer ou plaidoirie, d’où nôtre : « qui donc pourrait plaider auprès de Lui sans Sa permission ».

Une première question se pose alors : qui donc sont ces personnes autorisées ? Un autre passage y répond : « Nous n’avons pas dépêché avant toi [Muhammad] de messagers sans leur avoir inspiré qu’il n’y d’autre dieu que Moi. Adorez-Moi donc […] Ils [les messagers] ne prendront pas la parole avant Lui et agiront selon Son ordre, Il sait parfaitement ce qui fut avant eux et après eux, et ils [les messagers] ne plaideront/yashfa‘ûna qu’en faveur de ceux qu’Il aura agréés. » S21.V25-28. Ce sont donc les « messagers », les prophètes, qui plaideront « auprès de Lui » et en « Il sait parfaitement ce qui fut avant eux et après eux », termes que nous trouvons à la lettre en notre v255, le pronom « hum/eux » représente pareillement les « messagers/ar–rusul » expressément mentionnés au v253, eux aussi au cœur du sujet et pareillement chargés de transmettre le message monothéiste : « Dieu, point d’autre dieu que Lui ». De même, et à contexte équivalent à la suite de S20.V109 ci-devant cité, nous lisons : « Il sait parfaitement ce qui fut avant eux et après eux et ils ne Le cernent point de science, et les « êtres » s’abaisseront devant l’Éternel, l’Immuable… », S20.V110-111. L’on remarque la cohérence intratextuelle avec un segment commun supplémentaire : « l’Éternel, l’Immuable ». De la même manière, l’on pourrait aussi mentionner S10.V3 en lequel l’on retrouve nombre des items précédents. Ainsi, de manière cohérente, le Coran ayant indiqué au v254 qu’au Jour du Jugement « il n’y aura ni marchandage, ni amitié, ni intercession », la justice divine repose donc sur la stricte responsabilité individuelle. Il est alors précisé en notre v255 que la situation générale : « ce Jour nul ne prendra la parole » connaît une exception, non point pour transgresser l’impossibilité de toute intercession, mais pour permettre selon « Sa permission » aux « messagers » de « plaider auprès de Lui ».

4 : De la fonction prophétique

– « Il sait parfaitement ce qui fut avant eux et après eux, alors qu’ils ne cernent de Sa Science que ce qu’Il en a voulu ». La conclusion précédente amène une deuxième question : en quoi consiste le plaidoyer que Dieu accordera aux prophètes ? Visiblement, ce droit de parole appartient à tous les prophètes, ce que nous trouvons confirmé comme suit : « Qu’en sera-t-il donc lorsque Nous ferons venir pour chaque communauté un témoin et que Nous te ferons venir [Muhammad] à l’encontre de ceux-là [les musulmans] en tant que témoin ? »[15] Fonction et contenu de ce témoignage sont mentionnés dans le verset relatif à l’Alliance prophétique : « car Dieu a conclu le Pacte des prophètes[16] : En raison de ce que Je vous ai donné du Livre et de la Sagesse et qu’ensuite vienne à vous un messager confirmant ce que vous détenez, vous devrez croire en lui et l’assister. » Il dit : « Acceptez et prenez acte quant à cela de Mon Alliance. » Ils répondirent : Nous acceptons. Il dit alors : Soyez-en donc témoins, Je suis avec vous témoin. », S3.V81. Ce verset fondamental énonce le principe de l’Alliance que Dieu a fait contracter aux prophètes, tous reconnaissent que, quelle que soit la part de Révélation qu’ils ont reçue, elle véhicule un message commun, ils forment ainsi une chaîne prophétique aux maillons solidaires. Le but est ailleurs clairement indiqué : « Nous prîmes l’engagement des prophètes… afin que soient interrogés les véridiques quant à leur sincérité et que soit préparé pour les dénégateurs un châtiment terrible ».[17] Chaque prophète sera donc autorisé au Jour du Jugement à plaider devant Dieu en tant que témoin à charge contre la communauté à laquelle il aura été envoyé, le Coran rapporte à cet égard le plaidoyer de Jésus.[18] Au final, ils témoigneront tous du fait qu’ils ont bien transmis le message nécessairement unique de Dieu aux hommes et « parmi eux, celui qui croit et celui qui dénie », v253. Ce plaidoyer des prophètes exprime la problématique clef de ce paragraphe : Dieu unique, message unique, chaîne prophétique équivalente, imposent qu’il ne puisse y avoir ni élection divine ni exclusive du Salut[19] et il a été précisé auparavant au v253 que seuls les hommes sont responsables des divergences en la matière, elles ne sont que le fruit de leurs spéculations d’opposition et d’exclusion. De par l’Alliance prophétique, les prophètes auront donc « Sa permission » et seront autorisés à « plaider auprès de Lui » afin que soit rappelé en ce « Jour » à toutes les communautés religieuses et à tous les dénégateurs issus de la confrontation des hommes à ce que fut la mission des prophètes ainsi que le fait que tous auront été clairement avertis. Il a été dit que Dieu « sait parfaitement ce qui fut avant eux [les prophètes] et après eux », c’est-à-dire dans le contexte et en fonction du principe de l’Alliance prophétique avant et après l’intervention de chaque prophète auprès de sa communauté. Leur compétence est donc limitée : « ils ne cernent de Sa Science que ce qu’Il en a voulu » c’est-à-dire qu’ils ne détiennent que la « part du Livre et de Sagesse »[20] que Dieu leur aura révélée. Cela ne leur confère donc aucune autorité particulière « auprès de Lui », ce qui en soi est une négation absolue, logique et attendue, de leur possibilité à intercéder ou, plus justement, à servir d’intermédiaires conformément au sens du verbe shafa‘a.[21] Par ailleurs, dans le contexte, ceci  indique préférentiellement qu’ils n’ont à charge que d’alerter les hommes : « Nous ne dépêchons les envoyés qu’en tant qu’annonciateurs et avertisseurs »[22] et  de transmettre le message qui leur aura été donné : « il n’incombe au prophète que de transmettre »,[23] de même : « à chaque communauté un messager, et quand leur messager se présentera il sera jugé entre eux avec équité… ».[24] Ils témoigneront donc sans être responsables de ce que les réceptionnaires de leur message en auront fait après eux, car « si Dieu l’avait voulu, ne se seraient pas combattus ceux qui vinrent à leur suite après que leur fussent parvenues les preuves, mais ils divergèrent », v253.

– 5 : De la méta-théologie

« Son Piédestal s’étend aux Cieux et à la Terre, ne L’accable point leur garde. Il est le Sublime, l’Incommensurable ». Ce dernier volet du v255 comprend trois affirmations d’ordre méta-théologique.[25]

– La première affirmation est ainsi formulée : « Son Piédestal s’étend aux Cieux et à la Terre ». Ce propos se comprend en lien avec la critique déconstructive de « l’Arche » qui a été opérée par le Coran au v248. Nous avions alors indiqué que la mention des anges portant le Coffre/Arche était en lien avec les kerubim/Chérubins formant souvent l’accoudoir des trônes royaux de la haute-Antiquité mésopotamienne. Si pour les Fils d’Israël l’Arche était le lieu physique de la puissance divine, la shekîna, le Coran a déconstruit cette anthropomorphisation, car la Toute-puissance de Dieu n’est ni localisée ni asservie à un peuple, une volonté. Reprenant l’image des trônes des grands dieux-rois du Moyen-Orient, il est à présent indiqué que le « Piédestal/al–kursî »,[26] nécessairement sous-entendu comme étant le piédestal du Trône de Dieu, « s’étend aux Cieux et à la Terre », autrement dit que l’Autorité de Dieu est au-dessus du plan des humains, sans égal, holistique, sans partage, et sans appropriation possible. Le sens figuré du mot « Piédestal/Autorité », qui du reste en français signifie aussi autorité, est donné par l’origine de l’image coranique elle-même. En effet, nombre de bas-reliefs nous montrent des souverains se prétendant de droit et de pouvoir divins assis sur leur trône les pieds posés sur un piédestal-marchepied, lequel représentait les peuples dominés placés sous l’autorité de leur vainqueur et maître.[27] De même, il advenait sous une forme plus concrète que des marchepieds placés au pied des dieux fussent des coffres où l’on remisait les traités d’alliance. De plus, selon le judaïsme, l’Arche était elle-même le Piédestal de Dieu devant laquelle on se prosternait pour L’implorer de secourir Israël contre ses ennemis.[28] Placé par le Coran au-dessus des « Cieux et de la Terre », le « Piédestal » de Dieu n’est ainsi la possession et l’instrument de quiconque, l’Autorité et la Toute-puissance de Dieu ne sont asservies à aucun peuple, aucun pacte, aucune créature. La seule vraie Arche est donc, au figuré, le Piédestal de Dieu. C’est toujours selon cette ligne déconstructive que résonne la parabole du Trône : « Votre Seigneur a créé les Cieux et la Terre en six jours, puis s’est installé sur le Trône… N’est-ce point à Lui qu’appartiennent la Création et le Pouvoir, que soit exalté le Seigneur des mondes », S7.V54.[29] Ce verset explicite de même qu’il soit indiqué que Son « Piédestal », c’est-à-dire son Autorité ou « Pouvoir »,[30] « s’étend aux Cieux et à la Terre » c’est-à-dire à sa « Création ».

– La deuxième affirmation postule que la « garde » des cieux et de la terre « ne L’accable point ». L’emploi du mot garde/hifz[31] maintient la parabole royale, mais déconstruit toute imagerie anthropomorphique, car si le royaume des Cieux et de la Terre Lui appartient,[32] à la différence des souverains d’ici-bas Dieu n’éprouve aucune difficulté à protéger et à maintenir son domaine puisqu’Il en est l’Unique Créateur et que nul ne peut le Lui disputer. Son empire étant sous son « Piédestal », c’est-à-dire soumis à son Autorité,[33] Dieu en est l’exclusif Dominateur et Possesseur[34] et tout pouvoir ici-bas n’est qu’éphémère illusion.

– La troisième affirmation méta-théologique rappelle qu’en fonction de la posture impériale de Dieu vis-à-vis de Sa création « Il est le Sublime, l’Incommensurable ». Bien des monarques s’étaient attribué ces deux noms, mais ils ne sont les attributs que de Dieu seul. Il est le « Sublime/al–‘alyyu », étymologiquement celui qui est très haut, soit dans le contexte au-dessus de Sa propre création, ce qui ontologiquement se comprend comme signifiant que Dieu est d’une essence supérieure, sans comparaison possible avec ce qu’Il a créé. Il est « l’Incommensurable/al–‘aẓîm » placé au-dessus de l’espace et du temps Dieu est donc, non pas le plus grand, échelle de mesure située dans le quantifiable, mais Il est ontologiquement Celui qui ne peut être mesuré ou qui est sans commune mesure d’avec Sa création selon les deux lignes de sens de l’adjectif Incommensurable. Selon la thématique de ce paragraphe, le v255 en son entièreté oppose l’Unicité divine au très relatif pouvoir de l’Homme : « Dieu, point d’autre dieu que Lui, l’Éternel, l’Immuable » ainsi que Sa Toute-puissance : « Son Piédestal s’étend aux Cieux et à la Terre, ne L’accable point leur garde. Il est le Sublime, l’Incommensurable ». Toutefois, ce n’est point l’aspect politique ou mondain qui est ici principalement visé, mais la dimension religieuse, car si les hommes ne peuvent prétendre à aucune réelle autorité sur la Création de Dieu, il leur est encore moins légitimement possible de revendiquer au nom de Dieu à une quelconque autorité religieuse. Nous l’avons vu, l’Unicité de Dieu, celle de Son Message, de la Révélation, du Pacte et de la Mission prophétique génère dans le temps de nombreuses religions du fait même de la prise en charge de cette Communication divine par les hommes. Il n’y a donc pas de religion vraie ou supérieure,[35] pas d’élection, pas de peuple ou de communauté élus[36] et, comme le stipulait le v254, les hommes ne relèvent que de deux catégories : « celui qui croit » et « celui qui dénie ». Au final, chacun sera jugé en fonction de ses actes sans qu’il puisse bénéficier ce « Jour » de « marchandage, ni amitié, ni intercession ».

 

• Que dit l’Exégèse

Il est rare que nous ayons à consacrer un paragraphe individualisé aux interprétations mises en place par l’Exégèse. Néanmoins, nous illustrerons de la sorte les raisons nous ayant amené en introduction à la question suivante : « le Verset du Trône doit-il descendre de son piédestal ? » Nous pourrons ainsi constater que ledit v255 tenait un propos en parfaite conformité avec le message coranique et qu’il n’y avait là de principe aucune raison de lui conférer une valeur supérieure aux autres versets du Coran.

– En dehors des commentaires très développés des noms-attributs de ce verset, l’Exégèse s’est particulièrement intéressée à la question de l’intercession puisqu’elle interpréta le segment-clef « qui peut intercéder auprès de Lui sans Sa permission ? » comme signifiant que Dieu accordait à qui Il voulait un droit d’intercession, ce en opposition à la prétention des polythéistes qui concevaient leurs divinités connexes comme des intercesseurs en leur faveur auprès de Dieu. Ce à quoi l’Exégèse répond que le sens de ce segment-clef est que de par la permission de Dieu les seuls intercesseurs seront au Jour du Jugement les prophètes, les saints et ceux qui auront le plus obéi à Dieu. La théologie musulmane a vu là l’occasion de contourner la négation posée au v254 : « Jour où il n’y aura ni marchandage, ni amitié, ni intercession ». Il nous faudrait donc comprendre selon l’Exégèse que cette impossibilité maintes fois répétée dans le Coran avec une grande cohérence signifierait que l’intercession est interdite sauf dans le cas où Dieu donnerait Sa « permission ». Imaginer un tel passe-droit théologique n’est pas sans intention et, alors même que le Coran atteste constamment que le Prophète Muhammad est un prophète comme les autres[37] et, plus encore, qu’il n’aura aucune possibilité de sauver ceux qui auront été condamnés.[38] De manière restrictive, l’Exégèse, à grand renfort de hadîths, fera du Prophète l’unique bénéficiaire de cette entorse à la règle et soutiendra qu’il sera, et lui seul,[39] autorisé par Dieu à intercéder au Jour du Jugement, et ce, uniquement en faveur de sa communauté. Ainsi lit-on par exemple que d’après Abû Hurayra le messager de Dieu a déclaré : « Chaque prophète a une invocation exaucée, et tous les prophètes ont déjà anticipé la leur. Moi, j’ai réservé la mienne jusqu’au Jour de la Résurrection : l’intercession en faveur de ma communauté. Et, s’il plaît à Dieu, elle sera acceptée pour quiconque de ma communauté meurt sans avoir associé quoi que ce soit à Dieu. »[40] Or, nous l’avons largement démontré,[41] l’idée d’une élection exclusive de la Oumma est totalement en opposition avec les principes énoncés par le Coran. Il n’est donc pas concevable que le Prophète ait pu déroger à l’enseignement divin, nous le dédouanerons donc sans peine de cette anthropolâtrie à peine déguisée. Plus qu’une infiltration du paganisme arabe et de ses croyances en divers intermédiaires auprès de Dieu, il s’agit de la part des théologiens de l’Islam d’une récupération et d’une réintroduction forcée de l’intercession en tant qu’élément clef de l’élection divine d’une communauté au détriment des autres. Puisque Moïse était l’intercesseur du peuple juif, le christianisme fit de Jésus le seul vrai intercesseur et, à son tour, l’Islam s’accapara l’intercession uniquement à son bénéfice, mettant ainsi en quelque sorte ses prédécesseurs d’accord ! Nous l’avons souligné au v254, le principe d’intercession s’oppose à l’essence même du Jugement Dernier : responsabilité individuelle et stricte équité divine. La Miséricorde absolue de Dieu est la seule transgression possible à la Justice absolue de Dieu.

– Par ailleurs, l’Exégèse a beaucoup spéculé sur le Trône/kursî de Dieu. D’une part, nous avons justifié que le mot kursî ne pouvait que signifier « Piédestal » alors que notre verset a été canonisé sous le titre « Verset du Trône ».[42] D’autre part, ce glissement de sens n’est pas involontaire, mais traduit une série de rapprochements que les exégètes du Coran ont opérés à partir de leurs sources talmudiques, mais aussi chrétiennes. En effet, il semble qu’aient été amalgamés divers éléments afin d’interpréter très cabalistiquement ce verset, notamment : – La mention du Vivant/al–ḥayy mise en lien avec les hayyot/les Vivants de la vision d’Ezéchiel,[43]  eux-mêmes assimilés aux Chérubins portant le Trône de Dieu.[44] ; – les quatre attributs de Dieu cités en ce verset donnés pour l’évocation des quatre Chérubins ou Vivants[45] et leurs quatre faces ; – la mythologie propre à Énoch, le préposé au « trône de Dieu »,[46] censé alors préfigurer la position de Muhammad en tant qu’unique possesseur de l’intercession ; – le Char-trône ou merkaba[47] associé au Piédestal/kursî et la mission d’Ézéchiel[48] alors aisément assimilée à celle de Muhammad. Cette conjonction de symboles cosmiques et mystiques engendrée par la culture et l’imagination de nos premiers commentateurs a conféré à ce verset une très grande importance, dimension qu’en réalité, nous l’avons vu, il est textuellement difficile de justifier. Ceci explique le surgissement de nombreux hadîths visant à donner concrètement une supériorité sans égale à ce verset, ex. : « Le Prophète interrogea Ubayy ibn Ka‘ab : Quel est le plus excellent verset du Coran ? [et devant son ignorance] lui dit : âyat al–kursî/le verset du Trône. »[49]

 

Conclusion

L’analyse littérale du v255 aura mis en évidence cinq thèmes essentiels : 1– l’unicité divine ; 2– l’ontologie divine ; 3– le pacte prophétique ; 4– la fonction prophétique ; 5– la méta-théologie. Ces sujets sont par ailleurs traités en divers versets coraniques et le fait qu’ils soient ici regroupés en une seule et même entité textuelle est en rapport avec la position centrale de notre verset au sein d’un paragraphe consacré au différentiel entre la fonction prophétique, transmettre la Révélation, et la prise en charge par les hommes du Message ainsi révélé, phénomène de dérive étant à l’origine de la multiplicité des religions.[50] Le contexte d’insertion de notre v255 explique donc la ligne de sens unissant les cinq thèmes traités, à savoir : un rappel adressé à l’Homme lui spécifiant que le Pouvoir de Dieu ne saurait être partagé, nul ne peut se l’attribuer et prétendre ainsi à une élection divine, a la supériorité de sa religion, au bénéfice électif d’une intercession et nul ne peut ambitionner du point de vue politique être le dépositaire ou le représentant du pouvoir divin.

Nous aurons montré que l’Islam a exercé une très forte pression exégétique sur ce verset l’ayant alors désaxé de son sens littéral initial. Ainsi, ce n’est point la signification dudit verset du Trône/âyat al–kursî qui a été mise en avant, mais l’ensemble des croyances magiques antiques qui lui ont été conférées. Ce spectre confusionnel s’étend de la recherche du pouvoir lié au Nom suprême de Dieu à l’usage prophylactique du verset du Trône et divers autres charismes. Si l’Autorité et la Toute-puissance de Dieu sont représentées par « Son Piédestal » qui « s’étend aux Cieux et à la Terre », l’Homme a lui aussi marqué son autorité et sa puissance sur le verset du Trône/âyat al–kursî. Ce faisant, ce verset a été élevé tel un Trône sur le piédestal des peurs et des superstitions de l’Homme qui, en réalité, s’est installé sur son propre trône. La sacralisation irrationnelle du verset dit improprement du Trône de Dieu s’oppose ainsi à la démarche désacralisante rationnelle du Coran. Ce n’est donc pas le verset du Trône qui devrait être descendu de son piédestal, mais l’Homme. Face à la Révélation, en toute modestie et raison, il nous faut savoir abandonner nos certitudes et le confort de nos mythologies afin que nous puissions progresser sur la difficile voie de l’abandon de soi à Dieu/al–islâm,[51] la Voie de la relation à Dieu telle que le Coran l’enseigne.

Dr al Ajamî 

[1] Hadîth rapporté par Al Hakîm et Al Hamîdî, non authentifié.

[2] Hadîth rapporté par An-Nasâ’î, non authentifié.

[3] Entre autres détails très critiquables en ce hadîth, signalons que la récitation prophylactique du verset au moment du coucher est visiblement inspirée par le fait qu’il y est dit que Dieu ne connaît ni sommeil ni somnolence, théorie des contraires fréquemment appliquée en diverses formes de magie.

[4] Hadîth rapporté par al Bukhârî, mais aussi avec des variantes par an-Nasâ’î, Ibn Khuzayma et al Bayhaqî.

[5] Cf. Sorcellerie et Magie selon le Coran et en Islam ; S2.V102. Nous y avons montré le déni coranique de l’existence réelle de toute magie.

[6] S2.V255 :

اللَّهُ لَا إِلَهَ إِلَّا هُوَ الْحَيُّ الْقَيُّومُ لَا تَأْخُذُهُ سِنَةٌ وَلَا نَوْمٌ لَهُ مَا فِي السَّمَاوَاتِ وَمَا فِي الْأَرْضِ مَنْ ذَا الَّذِي يَشْفَعُ عِنْدَهُ إِلَّا بِإِذْنِهِ يَعْلَمُ مَا بَيْنَ أَيْدِيهِمْ وَمَا خَلْفَهُمْ وَلَا يُحِيطُونَ بِشَيْءٍ مِنْ عِلْمِهِ إِلَّا بِمَا شَاءَ وَسِعَ كُرْسِيُّهُ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضَ وَلَا يَئُودُهُ حِفْظُهُمَا وَهُوَ الْعَلِيُّ الْعَظِيمُ

[7] Les grammairiens donnent qayyûm comme une forme intensive de qâ’im qui, dérivant de la racine qâma : se lever, se tenir droit, signifie être constant, ferme, immobile, d’où le sens de immuable. Contrairement à la position d’une bonne part de l’Exégèse, l’on ne peut présentement pas dire que al–qayyûm connoterait aussi les notions de maintenance, d’exécution des ordres, d’action permanente, Dieu serait alors Celui qui maintient en permanence Sa création, car ce sens ne vaut que lorsqu’on utilise la préposition « bi ». Il convient donc de ne retenir que le sens direct : Dieu est l’Immuable, c’est-à-dire Celui dont l’essence est immuable.

[8] L’islamologie signale un lien avec le Livre de Daniel, VI -27, mais le rapport est théologiquement inexact, car si en ce passage le roi Darius qualifie effectivement Dieu de vivant/hay c’est parce qu’Il a permis à Daniel de survivre dans la fosse aux lions, et s’il ajoute qu’Il subsiste éternellement/qayyum c’est pour signifier que son royaume à lui, Darius, dominera sans fin.

[9] Genèse II, 1-2 : « Ainsi furent achevés les cieux et la terre et toute leur armée et Dieu ayant achevé son œuvre au septième jour se reposa de toute son œuvre qu’il avait faite. »

[10] L’affirmation d’une création en six jours ne se comprend dans le Coran que comme une citation destinée à justifier une approche critique des positions désuètes et archaïques de la Bible. La précision « sans que pour autant Nous atteignît la moindre lassitude » indique clairement la référence intertextuelle.

[11] Psaumes XLIV, 24 : « Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu, Seigneur ? ». Voir aussi Psaumes XXX, 23. Hormis sa formulation sans doute équivoque ou malheureuse, l’on peut tout de même supposer que cet énoncé pouvait s’entendre au sens figuré.

[12] Nous lisons en effet : « Non, il ne sommeille ni ne dort, Celui qui garde Israël », Psaumes CXXI, 4. Encore que cette formulation soit elle aussi sujette à caution puisque littéralement elle n’exclut pas que Dieu puisse dormir ou sommeiller en dehors de son service pour Israël.

[13] Par cohérence, il s’agit ici en premier lieu de la négation de toute intercession au Jour du Jugement énoncée au v254, puis les nombreux autres versets allant exactement dans le même sens : S2.V48 ; S2.V123 ; S6.V51 ; S6.V70 ; S7.V53 ; S26.V100 ; S32.V4 ; S99.V44. Par ailleurs, certains versets pourraient sembler être en faveur d’une intercession en fonction de la permission de Dieu, à l’image de notre v255, mais l’on ne peut d’une part nier le principe de l’intercession et, d’autre part, soutenir que Dieu permettrait que quelques êtres de son choix puissent intercéder. Ces versets sont donc nécessairement compris incorrectement : S10.V3 ; S19.V87 ; S20.V109 ; S21.V28 ; S34.V23 ; S53.V26 ; S74.V48.

[14] La racine shafa‘a présente trois lignes de sens : rendre pair, doubler, de là s’agrandir, assortir, puis aider, assister et, par suite : adresser une requête, plaider une cause, intercéder. Intercéder dans ce contexte lexical signifiait pour les Arabes servir d’intermédiaire dans une négociation et telle était bien leur conception religieuse, ils adoraient certaines divinités connexes afin qu’elles leur servent d’intermédiaires/shâfi‘în pour faire aboutir leurs vœux et requêtes. Le Coran cible à de nombreuses reprises cette croyance et sa critique de “l’intercession” s’inscrit dans ce cadre, ex. :   « L’on exposera la Fournaise aux égarés et il leur sera demandé : Où sont ceux que vous adoriez en plus de Dieu ?   Vous secourent-ils à présent ? […] Ils répondirent : Nous étions en un grand égarement […] et nous n’avons plus d’intercesseurs [shâfi‘în/intermédiaires] ni d’ami intime. », S26.V91-101. Voir aussi S39.V3.

[15] S4.V41. En « te ferons venir » il s’agit de Muhammad. Dans le contexte, par « ceux-là » l’on entend pronominalement ceux qui sont désignés aux vs37-38, mais aussi ceux dont il va être question ensuite : les musulmans dans la désobéissance. Il s’agit donc d’un témoignage à charge et non d’une intercession en faveur des musulmans. Voir aussi S16.V89. Ce verset confirme que tous les prophètes seront convoqués pour plaider leur cause au nom de l’Alliance prophétique et qu’il en sera de même pour le Prophète Muhammad. Il n’aura donc aucune prérogative particulière en faveur de sa communauté. Est-il nécessaire de rappeler que pour le judaïsme c’est Moïse qui serait l’intercesseur des juifs alors que pour les chrétiens il s’agirait de Jésus. En leur lutte pour le leadership, les théologiens empruntent les mêmes chemins et usent des mêmes armes.

[16] « le pacte des prophètes/mithâq an–nabiyyîn ». Ce concept coranique est essentiel, il fonde ontologiquement la continuité des notions de foi et de voie monothéistes.  Le Pacte des prophètes est le complément appliqué du Pacte primordial, lequel justifie la Foi ontologique à l’Homme, cf. Foi et non-foi, îmân et kufr selon le Coran et en Islam ; S7.V172. En substance, le Pacte des prophètes postule de ce que la succession des messagers de Dieu réalise une chaîne dont chaque maillon rappelle le message délivré par ses prédécesseurs : l’unicité de Dieu, la nécessité de croire en Lui et d’agir en bien, l’inéluctabilité du Jour du Jugement. Selon le Coran, Muhammad est le dernier prophète du cycle, cf. Muhammad Sceau des prophètes. L’Exégèse égare le sens en affirmant que le segment « et qu’ensuite vienne à vous un messager confirmant ce que vous détenez » indique que la mission de tous les prophètes était d’annoncer la venue de Muhammad ! En réalité, la lecture croisée avec S33.V7 où il est explicitement mentionné que Muhammad a lui aussi contracté ce Pacte et par exemple celle de S7.V157 où est retrouvé mot à mot l’expression « vous devrez croire en lui et l’assister » permet de comprendre que cette attitude est une insertion, rendue possible par la nature atemporelle du propos, adressée aux croyants de tous les temps.

[17] S33.V7-8. Il en est de même si l’on étudie le contexte d’insertion de S3.V81.

[18] Cf. S5.V116-118.

[19] Sur ce point théologique essentiel, voir : Le Salut universel selon le Coran et en Islam.

[20] Cf. supra S3.V81.

[21] Ceci a pour but de distinguer la fonction prophétique du rôle que remplissait les divinités connexes [cf. S2.V165] dans le polythéisme comme nous l’avons rappelé en la note lexicale de la racine shafa‘a.  Il est très net dans le judaïsme et le christianisme par exemple que le vieux fond polythéiste sémite avait travaillé la notion de prophétat et que chacun considérait ses prophètes, Moïse et Jésus en autres, comme des intermédiaires auprès du dieu unique, exactement comme l’étaient à leurs yeux les co-divinités qu’ils adoraient auparavant. Le Coran le précisera à maintes reprises, un prophète n’est qu’un homme, sans aucun pouvoir, sans aucune capacité de médiation ou d’intercession, il n’est qu’un simple canal de la Révélation ayant été choisi par Dieu.

[22] S6.V48.

[23] S5.V99.

[24] S10.V47. Ce verset atteste du témoignage de tous les messagers au Jour du Jugement.

[25] Nous entendons par méta-théologie les énoncés théologiques que Dieu fait de Lui-même dans le Coran.

[26] Le terme kursî est rattaché par l’islamologie à l’araméen, il signifierait alors trône. Cependant, s’agissant du trône de Dieu dans le Coran il est systématiquement employé le mot ‘arsh. Nous notons que nombre de traductions, dont la traduction standard, assimilent le kursî au trône, ce qui est erroné. Contrairement aux affirmations de l’islamologie, il est donc cohérent de dériver le terme kursî de la racine arabe karasa signifiant superposer, l’idée étant alors à la réalisation de marches, de degrés. Le kursî est ainsi le Piédestal sur lequel est posé et surélevé le trône, le plus souvent ce piédestal était aussi un marchepied.

[27] La Bible en témoigne, ex. : « …jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis le piédestal de tes pieds », Psaumes CX, 1.

[28] « Yahweh est assis sur les Chérubins [de l’Arche]…prosternez-vous devant le piédestal de ses pieds… » Psaumes XCIX, 2-5.

[29] Notons que cette allégorie de royauté absolue justifie qu’au v53 toute intercession soit impossible eut égard à Sa seigneurialité et au fait que les prophètes ont dûment rempli leur rôle : «…ceux qui auront oublié [leurs Livres] avant [ce Jour] diront : Les messagers de notre Seigneur étaient bien venus porteurs de la vérité ! Il y a-t-il des intermédiaires qui “intercéderont” en notre faveur ou pourrions-nous retourner et œuvrer autrement que comme nous agîmes ? ! C’est ainsi qu’ils ont causé leur propre perte et que les ont fourvoyés ceux qu’ils avaient forgés. » Voir aussi S32.V4.

[30] Le terme amr rendu ici par pouvoir signifie aussi autorité, ordre, pouvoir, affaire, chose, décision, décret, édit, verdict, etc.

[31] De la racine ḥafiẓa : conserver, garder.

[32] Ex. : S3.V189.

[33] Logiquement, l’image coranique rejette l’allégorie de Isaïe LXVI, 1 : « Ainsi parle Dieu : Le ciel est Mon trône, la Terre est mon piédestal ».

[34] S40.V16. « … À qui appartient le Royaume ce Jour ? À Dieu l’Unique, le Dominateur. »

[35] Sur ce point capital, voir : La pluralité religieuse selon le Coran et en Islam.

[36] Pour notre critique de ce concept, voir : La Oumma, la meilleure communauté selon le Coran et en Islam.

[37] « Muhammad n’est qu’un messager, ont passé avant lui les messagers… », S3.V144.

[38] « Quant à celui envers qui s’est avéré le décret du Châtiment, sauverais-tu qui est au Feu ! », S39.V19.

[39] Comme signalé auparavant, l’Exégèse diverge toutefois sur ce point et certains postulent que pourront intercéder les plus pieux parmi les musulmans. Cet élargissement est sans doute pour partie responsable du culte des saints en vue de leur intercession. Signalons que les ulémas se sont aussi déclarés intercesseurs…

[40] Hadîth rapporté par Muslim. Les autres versions rapportées par Muslim ou al Bukhârî ne mentionnent pas le segment final : « sans avoir associé quoi que ce soit à Dieu ». Cet ajout, ou suppression si l’on considère que cette version est la plus complète, est la trace d’un différend théologique entre partisans de l’intercession et ses opposants réservés. En réalité, il est parfaitement établi que Dieu pardonnera tout péché, S39.V53, en dehors du polythéisme, S.4.V116, ce qui rend l’intercession inutile puisqu’a contrario tout unitariste pourra bénéficier du pardon divin.

[41] Cf. : La Oumma, la meilleure communauté selon le Coran et en Islam.

[42] Rappelons tout de même que s’il est généralement admis que al–kursî soit le Trône de Dieu, certains exégètes, afin d’éliminer l’anthropomorphisme de l’image, supposèrent sans preuve que ce mot désignait la Science divine.

[43] Bible : Livre d’Ézéchiel I, 5 & sq.

[44] Ézéchiel X, 1 & sq.

[45] Apocalypse de Saint Jean IV, 6 & sq.

[46] Cf. Livre d’Énoch éthiopien.

[47] Le travail talmudique le plus élaboré sur le sujet est dans le Ma’aseh merkabah, ouvrage talmudique babylonien. Signalons qu’il y est notamment établi un rapport entre le Trône de Dieu et son Nom suprême. Il n’est donc qu’à moitié étonnant que l’on retrouve des hadîths mettant en lien le « Verset du Trône » et la connaissance de ce Nom suprême auquel tant de pouvoirs et de grâces ont été rattachés par la mystique talmudique ; spéculations ésotériques largement récupérées par l’exégèse musulmane, cf. S1 : la basmala. Citons : « D’après Abû Amâma, le Prophète a dit : Le nom suprême de Dieu se trouve en trois sourates du Coran : Sourate la Génisse, Sourate âli ‘imrân, Sourate Tâ-Hâ. Ces trois sourates contiennent le segment : al–ḥayyu al–qayyûm. » Hadîth non authentifié rapporté par Al Hakîm et avec des variantes par Ibn Hanbal, Abû Dâwud, At-Tirmidhî.

[48] Ézéchiel II, 1 & sq.

[49] Hadîth rapporté selon des variantes par Muslim, Ibn Ḥanbal, At-Tirmidhî, Al Ḥakîm.

[50] Sur ce point, voir : La Pluralité des religions selon le Coran et en Islam.

[51] Voir : Le terme islâm selon le Coran : l’Islam-relation.