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Détermination de Ramadan, calendrier lunaire ou calendrier solaire : de la “perversion du calendrier hégirien” ?

Nous vivons une curieuse époque où l’on se trouve parfois dans l’obligation de défendre un point de vue coranique évident et explicite du simple fait que certains soutiennent soudainement une thèse contraire. Comme si nous devions démontrer que selon le Coran la Terre n’est pas plate puisque certains musulmans le prétendent encore. Nous serions donc depuis plus de XIV siècles dans l’erreur et l’on nous aurait trompés en affirmant que conformément au Coran le calendrier religieux de l’Islam était strictement lunaire. De ce fait, seule une poignée d’initiés serait en mesure de prouver la “perversion du calendrier hégirien”, car Ramadan devrait se tenir selon eux chaque année à la même date, c.-à-d. selon un calendrier luni-solaire à intercalation ou un calendrier solaire de type grégorien.[1]

Ainsi, ce mois de jeûne devrait se tenir à date fixe chaque année, comme Noël le 25 Décembre et les vacances au mois d’Août. Il y a sans doute une grande modernité à vouloir être maître du calendrier, prévoir le temps, l’agenda de la piété, mais il est sans nul doute d’une grande post-modernité que les chantres du temps immobile ne puissent eux-mêmes connaître l’unité puisque pour les uns Ramadan doit correspondre chaque année au mois de Septembre, pour d’autres au mois de Décembre, pour d’aucuns au mois de Février et pour quelques téméraires seulement au mois de Juillet. En cette dérive exégétique il en est qui de plus affirment que le jeûne ne doit durer que trois jours, à l’équinoxe d’automne. Une encablure de plus, et voilà que le jeûne n’est plus s’abstenir de manger et de boire, mais seulement de parler. Au bout de ce voyage en eaux troubles, l’on pourrait presque prévoir que jeûner sera s’abstenir de jeûner comme prier en certains milieux n’est déjà plus qu’une intention du cœur.

Comme il n’y a pas de fumée exégétique sans feu politique, il est vrai que depuis quelques décennies le mois de Ramadan a été instrumentalisé, chaque pays voulant s’arroger le droit d’être le premier à annoncer le début de ce jeûne. Le prétexte, unir la communauté en ce mois béni sous une seule et même bannière, mais de préférence chacun la sienne. Cependant, nombreux sont ceux qui depuis ont pu constater que bien des fois tel pays déclara avoir vu le croissant de lune annonçant le début mois de Ramadan avant son voisin frère-ennemi alors que toutes les données astronomiques prouvaient que ledit croissant ne pouvait avoir été observé en ce ciel-là, sauf au café du petit déjeuner peut-être. Ainsi, supposerons-nous qu’en ce substrat malsain a germé une idée supposée résoudre de manière radicale le problème de ces manipulations politico-religieuses : établir une bonne fois pour toutes une date fixe pour Ramadan valable chaque année. Or, ceci n’est possible que si le calendrier hégirien lunaire était une imposture innovée du temps de Umar nous dit-on. Voilà que l’idée elle est belle, démocratique, équitable, tous les Hommes vivant et jeûnant sur un constant équateur, mais climatisé.

Tout ceci prêterait à sourire si ce n’est que de telles affirmations viennent saper à la base un des rares temps d’unité de la communauté des musulmans même s’ils ne jeûnent pas tous sous les mêmes horizons. Conséquemment, nous n’aurions jamais imaginé que nous ayons à défendre ce qui n’a pas à l’être : le Coran en ce qu’il a de plus explicite. Aussi, nous proposons-nous de montrer point par point par quels mécanismes de perversion du Texte et des faits les tenants de ces théories aventureuses sont parvenus à semer le doute et instiller la division. Qu’en est-il réellement de cette idée fixe : Ramadan à date fixe ?

– Nous l’avons dit, en la matière le Coran est explicite. Ainsi lisons-nous :« Ô vous qui croyez ! Il vous est prescrit le jeûne tout comme il fut prescrit à ceux qui vous ont précédés ; puissiez-vous pieusement craindre ! », S2.V183. Ce verset énonce le principe et le suivant fournit une indication temporelle : « Le mois de Ramadan est celui au cours duquel fut révélé le Coran… », S2.V185. Étant donné que le v183 n’indique ni le début ni la durée du « jeûne/aṣ–ṣiyâm », ce v185 nous apprend que le jeûne est d’une durée d’un « mois/shahr » et que ledit mois s’appelle « Ramadan ». Ceci suppose donc que les Arabes nommaient « Ramadan/ramaḍân » un mois précis de leur année. S’agissait-il donc à ce moment-là d’un calendrier solaire ou lunaire ? La compréhension du simple mot « shahr/mois » suffirait à répondre à la question puisque contrairement aux apparences ce terme ne dérive pas directement de la racine shahara dont le sens premier est divulguer, faire connaîtreporter à la connaissance de, rendre public, mais en réalité est un emprunt direct à l’araméen shra signifiant lune.  Pour autant, au moment coranique ce mot était intégré de longue date en arabe comme l’indique les deux pluriels de formes régulières que le Coran emploie : shuhûr et ashhur. Ainsi, lorsque l’on dit « mois de Ramadan » cela signifie étymologiquement « lune de Ramadan », c.-à-d. la lune nouvelle en signalant le début. Ce lien organique entre la lune et la détermination des mois, c.-à-d. alors selon un calendrier lunaire, explique qu’en arabe le terme shahr en vint à signifier aussi lune nouvelle. Autrement dit, l’apparition du premier croissant de lune signalant l’entrée observable en un nouveau mois lunaire, ce qu’indique clairement le Coran en ce passage consacré au jeûne de Ramadan : « Ainsi, qui d’entre vous aura été témoin de la lune nouvelle/ash–shahr, qu’alors il le jeûne », S2.V185. L’on note qu’il est dit « aura été témoin », ceci traduisant le verbe shahida/témoigner d’une chose que l’on a vue, par conséquent une observation à l’œil nu du shahr qui ici ne peut être rien d’autre que l’apparition au premier soir du premier croissant de lune ou « lune nouvelle ». Il est de ce fait dit : « qu’alors il le jeûne » et non pas « qu’il jeûne », cette formulation coranique ayant pour effet de confirmer qu’il s’agit de jeûner tout le mois de Ramadan à partir donc de l’apparition observée de la « lune nouvelle/ash–shahr ». Il n’y a ainsi aucune difficulté à comprendre qu’au moment d’énonciation du Coran les Arabes utilisaient un calendrier lunaire et nous verrons plus avant le rejet coranique de l’intercalation embolismique d’un mois afin de faire coïncider l’année lunaire et l’année solaire. Il en résulte que pour le Coran, le mois de Ramadan est un mois appartenant à un calendrier lunaire strict et que par définition il ne peut être à date fixe d’année en année. En effet, la durée d’un mois lunaire étant de 29,53 jours, ce qui pour un cycle de 12 mois représente 354,36 jours, et celle d’une année solaire étant de 365,24 jours, la différence de durée entre l’année lunaire et l’année solaire est de presque 11 jours par an. Ce décalage de 11 jours en défaveur du calendrier lunaire explique que les mois lunaires “remontent” chaque année de onze jours par rapport au calendrier grégorien de type solaire que nous employons, et il en est donc logiquement de même pour le mois de Ramadan.

– À ceci, les partisans de la fixité de Ramadan répondent que si le calendrier lunaire avait bel et bien été employé par les Arabes, ce n’était plus le cas à l’époque de la révélation du Coran. Ils donnent donc au mot shahr le sens de mois solaire, la lune avait selon eux rendez-vous avec le soleil, mais elle ne le savait pas et nous non plus. Or, même si un tel tour de passe-passe étymologique ne peut que convaincre les convaincus, le Coran leur donne à nouveau tort : « Ils t’interrogent quant aux croissants de lune/ahilla. Réponds : Ce sont des repères temporels pour les gens et le pèlerinage», S2.V189. Le terme ahilla est le pluriel de hilâl et il signifie sans conteste « croissants de lune », en particulier l’apparition du croissant de lune au coucher du soleil qui marque le début d’un nouveau mois lunaire. Ce segment enseigne cinq faits :

1- La mention d’une question directement posée au Prophète : « ils t’interrogent quant aux croissants de lune/ahilla », à savoir : devons-nous continuer à nous repérer sur les mois lunaires et en particulier pour déterminer la période de pèlerinage. Ce verset étant médinois, l’on peut supposer que ce sujet est abordé en raison de discussions avec la communauté juive qui, elle, employait un calendrier luni-solaire à intercalation pour établir ses dates religieuses.

2- Les « gens », c.-à-d. les Arabes et en particulier donc les fidèles du Prophète employaient un calendrier lunaire : « ce sont des repères temporels/mawâqît ».

3- La réponse coranique maintient donc cet usage d’un calendrier basé sur les mois lunaires comptés logiquement et pragmatiquement en fonction de l’apparition des « croissants de lune/ahilla ».

4- En précisant que cet usage du calendrier lunaire vaut aussi pour « le pèlerinage/al–ḥajj », il en découle qu’il en est strictement de même pour la détermination d’autres temps rituels comme le mois de jeûne de Ramadan : « qui d’entre vous aura été témoin de la lune nouvelle/ash–shahr, qu’alors il le jeûne », S2.V185.

5- La réponse coranique indique clairement qu’il n’y a pas à changer de mode de comptage du temps puisque « ce sont des repères temporels pour les gens et le pèlerinage ». En arrière-plan, en fonction du premier point que nous avons souligné, ce refus vise le calendrier luni-solaire pratiqué dans le judaïsme. Cette position coranique est éclairée par une séquence complémentaire qu’il convient de verser au dossier :

– S9.V36-37 : « Assurément, le nombre de mois pour Dieu est de douze mois lunaires par un décret de Dieu le jour où Il créa les Cieux et la Terre. Parmi eux, quatre sont sacrés, telle est la droite coutume. En ces mois-là, ne commettez point de vous-mêmes d’iniquité, mais combattez les polythéistes entièrement de même qu’ils vous y combattent sans merci ; et sachez que Dieu est avec ceux qui Le craignent pieusement. Certes, l’intercalation est un surplus de dénégation par lequel les polythéistes s’égarent, la permettant telle année et l’interdisant telle autre afin d’ajuster le compte – ce que Dieu a interdit. Ils rendent donc permis ce que Dieu a interdit, le mal de leurs actes leur paraît beau, mais Dieu ne guide pas le peuple des dénégateurs. » La densité coranique de ce passage fait qu’il y est abordé plusieurs sujets concomitamment lesquels appellent de nombreux commentaires, mais nous pouvons réduire le propos à la question qui nous occupe : la nature du calendrier selon le Coran. Aussi, sans que cela ne modifie le sens global de ces deux versets, nous lirons seulement les éléments suivants : « Assurément, le nombre de mois pour Dieu est de douze mois lunaires […] Certes, l’intercalation est un surplus de dénégation par lequel les polythéistes s’égarent, la permettant telle année et l’interdisant telle autre afin d’ajuster le compte – ce que Dieu a interdit… » Nous avons vu que selon S2.V189 le calendrier lunaire est pour le Coran la référence de base, de même nous avons rappelé que le mot shahr signifie étymologiquement lune et vaut ici au pluriel logiquement pour « mois lunaires » au nombre de « douze ». Ceci permet de comprendre que « ce que Dieu a interdit » est « l’intercalation/an–nasî’ », pratique correspondant au fait de dépasser « douze mois lunaires » pour une seule et même année lunaire en ajoutant par exemple certaines années dites embolismiques un mois intercalaire afin de compenser le décalage annuel issu d’un calendrier strictement lunaire par rapport au cycle solaire. Par ailleurs, en raison de l’évocation en ces versets de combats, l’intercalation/an–nasî’ d’un mois était présentement plus spécifique aux habitudes des Arabes « polythéistes », car elle leur permettait de décaler la période d’un mois sacré, mois où il était interdit de combattre, afin de pouvoir tout de même y livrer combat. Il ressort de l’ensemble des données coraniques précédentes que le calendrier en vigueur chez les Arabes était strictement lunaire, que le Coran a interdit la pratique intercalaire pour compenser le décalage avec une année solaire, que la détermination du mois de Ramadan était et doit être uniquement basée sur un calendrier lunaire.

Normalement, tout esprit honnête peut arrêter à ce stade la lecture de cet article, ces informations coraniques sont claires, cohérentes et convergentes, et pour quiconque en tant que musulman fonde foncièrement ses certitudes sur les énoncés explicites du Coran, toute autre discussion n’a pas lieu d’être.

– C’est ainsi en quelque sorte à contre-raison que la situation actuelle d’exégèse sauvage conduit à s’interroger sur les procédés mis en place par ceux qui ne veulent pas jeûner selon les définitions et conditions fixées par le Coran, mais selon leurs propres opinions. De fait, étant donné qu’il apparaît difficile de nier l’évidence du propos coranique, les partisans de ces théories changent de paradigme et entreprennent de persuader le lecteur du contraire de ce que dit le Coran. Pour cela, il suffit de refermer le Coran et d’accumuler en une perspective divergente divers éléments, accumulation dont le seul objectif est de créer l’illusion que le calendrier musulman à l’époque coranique était luni-solaire, voire solaire. La méthode suivie est un classique de la désinformation :

1- Il en est ainsi pour le mot ramaḍân. Étymologiquement, la racine ramaḍa évoque les pierres rendues brûlantes, que ce soit par le feu ou sous l’action du soleil. Autrement dit, le mot ramaḍân est relié à la notion de fortes chaleurs. Ce qui dans l’Arabie de l’Ouest couvre une période allant de juin à septembre inclus. Or, ceux qui ne voudraient surtout pas jeûner en été mettent en avant le fait que le terme ramaḍân désignerait aussi les premiers nuages ou les premières pluies d’automne du fait qu’elles tombaient sur un sol surchauffé en fin d’été. Cependant, cette affirmation est trompeuse, car cette définition ne vaut pas pour le substantif ramaḍân, mais s’applique précisément et exclusivement à l’adjectif ramaḍiyy tandis que le terme désignant ces pluies est alors ramaḍ, tous les dictionnaires en attestent. Il s’agit donc d’une confusion terminologique sciemment ou inconsciemment entretenue. Notons aussi la contradiction patente à affirmer que Ramadan veut dire à la fois période de très grande chaleur et pluie d’automne. Quoi qu’il en soit, c’est à partir de cette information fausse qu’il est ensuite glissé que ces premières pluies débutaient après l’équinoxe d’automne, au mois de Septembre, ce qui de toute manière est faux pour qui connaît le climat du Hejaz.  Ceci étant, si la détermination du mois de Ramadan avait rapport avec son étymologie il aurait dû être affirmé que l’on devrait jeûner uniquement en Juillet ou Août, c.-à-d. au plus chaud de l’été…

Or, tout ceci est malgré tout un faux débat, car au fil des temps les noms donnés aux mois varient et il en fut bien ainsi du mois de Ramadan dont on a conservé un des anciens noms : an–nâtiq, mot signifiant fécond, ce qui est donc sans rapport avec la saison aride de l’été. Lors de l’un de ces changements de terminologie, l’on affirme que les nouveaux noms furent choisis en fonction de la saison en laquelle alors ils se situaient. Ainsi ramaḍân se serait situé à ce moment-là au plus chaud de l’été. L’on fait alors observer que les mois nommés rabî’ I et rabî’ II, le mot rabî’ signifiant printemps, se situent bien cinq mois après le mois de Ramadan, soit en Février et Mars date à laquelle le printemps commence en Arabie d’où l’on en déduit qu’à ce moment-là Ramadan correspondait à notre mois d’Août. Cependant, de telles affirmations ne sont commandées que par la volonté de faire correspondre les noms de mois arabes à une saison particulière, ce qui en conséquence nécessiterait un calendrier solaire ou luni-solaire afin que chaque année les mois se maintiennent à la même position, c.-à-d. en accord avec leur terminologie. Toutefois, rien de vrai en cela puisque l’on peut tout aussi bien noter que les troisième et quatrième mois précédant Ramadan sont nommés jumâdâ I et jumâdâ II, ce nom provenant de la racine jamada : geler, glacer. Il nous faudrait alors admettre qu’en Avril et Mai il gèle en Arabie ! De même si l’on faisait dériver le nom jumâdâ du terme jamâd, celui-ci signifiant desséché par manque de pluie, ce qui là encore ne correspond pas à la situation climatologique des mois d’Avril et Mai en Arabie de l’Ouest. Au final, l’on ne sait quels critères furent réellement retenus pour nommer les mois de l’année à un moment donné et les discordances de désignation indiquent plutôt que cela se fit progressivement. Par contre, une chose est sûre, à l’époque de la révélation du Coran le mois de Ramadan était connu sous ce nom : « le mois de Ramadan est celui au cours duquel fut révélé le Coran… », S2.V185. Or, entre ce verset et celui qui évoque la première nuit où débuta la révélation du Coran, S97.V1, l’on peut dire sans risque qu’il s’était écoulé environ 14 années. Et, puisqu’il faut 33 ans selon le calendrier lunaire soutenu par le Coran comme nous l’avons démontré pour qu’un mois retrouve sa position identique par rapport à un calendrier luni-solaire ou solaire, c’est donc que les premiers musulmans n’établissaient pas de lien entre le nom du mois et une saison climatique particulière.

L’ensemble des données que nous venons de présenter objectivement confirme donc ce que nous avons précédemment démontré selon le Coran : les Arabes utilisaient déjà avant l’Islam un calendrier strictement lunaire et ne reliaient pas le nom des mois à une saison particulière. Ceci vaut donc en particulier pour le mois de Ramadan dont le nom n’était pas ou plus relié au plein été et encore moins à l’automne.  

2- Autre terme manipulé : le mot ṣiyâm. Ce mot dérive de la racine verbale ṣâma retrouvée à deux reprises dans le Coran avec contextuellement, c.-à-d. dans l’unique passage coranique traitant du jeûne du mois de Ramadan, le sens indiscutable de jeûner : « que vous jeûniez/ṣâma/taṣumû est meilleur pour vous si vous saviez », S2.V184 et « qui d’entre vous aura été témoin de la lune nouvelle, qu’alors il le jeûne/ṣâma/yaṣum », S2.V185. Le substantif ṣiyâm est quant à lui employé neuf fois dans le Coran et toujours avec le sens de jeûner, ex : « Ô vous qui croyez ! Il vous est prescrit le jeûne/ṣiyâm », S2.V183. Puisque dans les faits il existe de nombreuses façons de jeûner : celles de « ceux qui vous ont précédés », S2.V183, le Coran précise donc en quoi consiste la pratique du jeûne qu’il recommande et cette définition est donnée a contrario, c.-à-d. en indiquant ce qu’il est permis de faire « la nuit de jeûne/ṣiyâm », à savoir : « mangez et buvez jusqu’à ce que vous distinguiez le fil blanc du fil noir de l’aube », à cela s’ajoute de la même manière l’interdiction de rapports sexuels dans la journée : « il vous est permis la nuit de jeûne/ṣiyâm de fréquenter vos femmes », S2.V187.

En ces conditions, comment parvenir à modifier la définition coranique du jeûne. Il est ainsi fait une éclipse totale sur ce que nous venons de rappeler en affirmant que le Coran indique que nous devrions jeûner de la même manière que nos prédécesseurs puisqu’il est dit : « Ô vous qui croyez ! Il vous est prescrit le jeûne tout comme il fut prescrit à ceux qui vous ont précédés… », S2.V183. Ensuite, il est signalé que le seul exemple donné par le Coran du jeûne de nos prédécesseurs est celui de Marie : « Mange donc et bois et que ton œil se réjouisse ! Si tu vois quelqu’un d’entre les humains, dis : Assurément j’ai voué un jeûne/ṣawm au Tout Miséricordieux : je ne parlerai donc aujourd’hui à aucun être humain. », S19.V26.[2] L’illusion est presque parfaite, Marie mange et boit sur ordre de Dieu et son jeûne consiste seulement à ne pas parler ; miraculeusement jeûner serait donc s’abstenir de parler, et encore parle-t-elle pour dire qu’elle ne doit pas parler ! En dehors du fait qu’ainsi le Coran se contredirait eu égard à ce que nous venons de rappeler de la définition coranique du jeûne, il y a en réalité dans ce raisonnement deux glissements de sens aboutissant à cette erreur de compréhension. Premièrement, en l’énoncé « il vous est prescrit le jeûne tout comme/ka-mâ il fut prescrit à ceux qui vous ont précédés… » le comparatif « ka-mâ/tout comme » ne porte pas syntaxiquement sur le jeûne, mais sur la prescription du jeûne. Du reste, il ne peut en être autrement, car en autres exemples les juifs et les chrétiens ne jeûnent pas de la même manière. Deuxièmement, le Coran n’emploie pas en ce verset de la Sourate 19 le mot ṣiyâm, mais ṣawm, terme qui n’est retrouvé qu’en ce v26. Or, quand on connaît et respecte la très grande rigueur lexicale coranique, ce choix terminologique n’est pas dû au hasard, mais renvoie spécifiquement au sens premier de la racine ṣâma : rester immobile, comme le cheval à l’attache ou le vent lorsqu’il se pose. Le sens général est donc l’abstinence d’une action particulière, le fait de ne pas manger ou boire n’est donc qu’un cas particulier d’abstinence. Ceci explique sans qu’il y ait alors de pléonasme que le Coran précise au sujet de ce ṣawm de Marie qu’il consistait à s’abstenir de parler : « je ne parlerai donc aujourd’hui à aucun être humain ». Le Coran établit ainsi une différence terminologique stricte et précise entre le ṣawm de Marie et le ṣiyâm du jeûne du mois de Ramadan. Signalons que ce degré de précision n’a pas été respecté par l’usage qui à partir des écrits juridiques islamiques emploie couramment, mais fautivement s’agissant de Ramadan, le terme ṣawm : « ṣawmu ramaḍân », ceci en lieu et place du terme ṣiyâm : ṣiyâm ramaḍân. Quoi qu’il en soit, l’on peut ainsi observer que le terme ṣiyâm n’est employé que dans le passage coranique relatif au jeûne du mois de Ramadan ou pour qualifier des jeûnes compensatoires selon par conséquent les mêmes modalités que le jeûne du mois de Ramadan, ex. : « …l’expiation en sera de nourrir dix pauvres de ce dont vous nourrissez normalement les vôtres, ou de les vêtir, ou bien de libérer un esclave. Pour celui qui ne le pourrait point, alors un jeûne/ṣiyâm de trois jours. Telle est l’expiation de vos serments lorsque vous avez juré. Respectez vos serments ! », S5.V89. Le segment discuté de S19.V26 au sujet de Marie doit donc être ainsi traduit : « s’il advient que tu voies quelque être humain, dis : J’ai fait pour le Tout-Miséricorde vœu d’abstinence/ṣawm, je ne parlerai donc aujourd’hui à nul homme » et non pas par : « j’ai voué un jeûne/ṣawm au Tout Miséricordieux : je ne parlerai donc aujourd’hui à aucun être humain. »

3- Autre tentative de manipulation, les deux termes coraniques signifiant année : sana et ‘âm. L’objectif avoué est de prouver que le calendrier employé au temps du Coran était un calendrier luni-solaire, bien que nous ayons vu qu’il était clairement lunaire strict. Pour ce faire, l’on affirme que terme sana signifierait année solaire tandis que le terme ‘âm vaudrait pour année lunaire. Il est ainsi prétendu que le substantif sana désigne une année solaire, car dérivant de la racine sanâ signifiant éclat, sous-entendu alors l’éclat du soleil. En réalité, le sens premier de la racine sanâ évoque la bête de somme qui tourne en rond sur son aire en actionnant ainsi la roue hydraulique afin d’irriguer les cultures. C’est cette notion de mouvement circulaire qui a conduit au terme sana au sens d’année, c.-à-d. de cycle toujours répété. Selon un autre type de raisonnement sémantique, l’élévation de l’eau par ce procédé a donné les sens suivants : être haut, élevé, puis éminent et de là brillant d’en haut ce qui s’applique principalement au feu, aux éclairs, cf. S24.V43, à la pluie qui tombe, et non pas spécialement au soleil. Le terme sana signifie donc année en lien avec la notion de cycle, ceci qu’il s’agisse d’une année solaire ou lunaire. Nos philologues impénitents omettent donc de citer que dans les lexiques de la langue arabe l’on mentionne que le terme sana s’emploie aussi bien pour l’année solaire/ سَنَة شَمْسِيَّة que pour l’année lunaire/سَنَة قَمَرِيَّة. Selon un raisonnement différent, la racine verbale ‘âma signifiant nager a fourni le terme ‘âm/année, en ce sens que les Arabes considéraient que le soleil comme la lune nageaient dans le ciel. Cette image est retrouvée dans le Coran en S21.V33 au sujet de la lune et du soleil décrits comme nageant dans le ciel sur leur courbe apparente. Le terme ‘âm ne s’applique donc pas spécifiquement à l’année lunaire contrairement à ce qu’il est prétendu par certains, mais vaut autant pour l’année solaire que pour l’année lunaire.

C’est pourtant à partir de ces dévoiements lexicaux qu’afin de parfaire la confusion il est alors convoqué un verset qui démontrerait que selon le Coran le calendrier est luni-solaire, en voici la traduction standard : « C’est Lui qui fait du soleil une clarté et de la lune une lumière, et Il en a déterminé les phases afin que vous sachiez le nombre des années/sinîn et le calcul (du temps)  », S10.V5. Pour des non-arabisants, la formulation pourrait être équivoque, puisque l’on ne sait trop si c’est à partir du cycle du soleil ou celui de la lune que le temps est compté et c’est sur l’ambiguïté de ce type de traductions que jouent ceux qui veulent faire avouer au Coran ce qu’ils pensent. Le terme sinîn étant le pluriel de sana, il est ainsi affirmé que le segment « afin que vous sachiez le nombre des années/sinîn et le calcul (du temps) » indique l’usage d’un calendrier luni-solaire. Ainsi le « calcul (du temps) » reposerait sur « les phases » de la « lune », mais « le nombre des années/sinîn » serait selon un comput solaire ce qui supposerait une intercalation régulière afin de compenser le décalage induit par un calendrier strictement lunaire. Le Coran témoignerait donc de l’usage d’un calendrier luni-solaire où les mois seraient toujours à date fixe, objectif de ces manipulations des mots et du temps. Cependant, en arabe le mot soleil/shams est féminin et le mot lune/qamar est masculin. Or, il est dit en ce verset wa qaddara-hu/il l’a déterminé, puis il est précisé : manâzila/phases. En qaddara-hu le pronom « hu » est masculin, ce qui implique que ceci se rapporte uniquement à la lune/qamar seul élément de genre masculin dans cette phrase. Il est donc sémantiquement évident que le mot sinîn qualifie ici des années lunaires déterminées par les phases/manâzila de la lune/qamar ! L’on observera de plus que l’on retrouve exactement la même phrase en S17.V12, ce qui en soi est suffisant pour que le propos de ces deux versets soit identique, d’où une détermination lunaire du temps puisque nous partons du principe que le Coran ne se contredit pas, mais que c’est nous qui le contredisons… En ce v12, c’est le « signe » du jour qui est destiné à l’activité humaine et donc le « signe » de la nuit qui correspond au segment « afin que vous sachiez le nombre des années et le calcul du temps », autrement dit selon un calendrier lunaire. Ceci est à l’évidence en parfaite cohérence avec l’ensemble des versets que nous avons présentés en première partie de cet article. Il convient par conséquent de redresser l’ambiguïté de la traduction standard de ce verset, en voici notre traduction littérale : « Il est Celui qui a fait du soleil un flamboiement et de la lune une lumière et Il en a déterminé les phases afin que vous sachiez calculer les années/sinîn et en tenir le compte. Dieu n’a créé cela qu’en toute vérité ; Il déploie les Signes pour des gens de connaissance. » L’on notera de plus que le segment « Dieu n’a créé cela qu’en toute vérité ; Il déploie les signes pour des gens de connaissance » fait référence à la création, c.-à-d. à un phénomène naturel observable et non par à un type particulier de calendrier lié à des calculs astronomiques.

Nous ajouterons face aux pseudo calculs scientifiques basés sur le fait que par on ne sait quel miracle numérique qu’eux seuls connaissent il y aurait dans le Coran 7 mentions du mot sana et 7 mentions du mot ‘âm que ce type de compte relève de l’auto-persuasion menant au trucage des décomptes. En effet, s’il y a bien dans le Coran 7 fois le mot sana, par contre l’on retrouve 9 mentions du mot ‘âm, deux ayant sans doute été oubliées avantageusement en fin de page ou dans les méandres obscurs de la méthode Coué. Signalons qu’il a aussi été inventé quelques plaisanteries connexes que nous ne pourrons épuiser ici faute d’épuiser le lecteur et nous-mêmes. Notamment au sujet supposément de l’âge de Noé ou de la durée du séjour dans la grotte des dormeurs d’Éphèse, versets[3] pour lesquels l’on devrait croire que Dieu se serait mêlé de redresser les comptes calendaires ! Faudrait-il encore préciser qu’en arabe l’on utilise les termes sana/année et ‘âm/an selon des règles d’usage, exactement comme en français l’on dit j’ai trente ans et non pas trente années, ou bien : c’était il y a bien des années et non pas il y a bien des ans.

4- Autre manipulation lexicale : l’affirmation selon laquelle le Coran précise que le mois de Ramadan correspond à l’équinoxe d’automne. À cette fin il est convoqué la Sourate 97 où il est indiqué au v1 que la révélation du Coran a débuté une nuit dite de al-qadr : « Certes, Nous l’avons révélé lors de la nuit de al-qadr ». Il est ensuite affirmé que le terme qadar signifie la juste valeur des choses puis, par une relation purement fictive il est comparé ce terme avec l’étymologie latine du mot équinoxe : aequinoctium, composé de aequus/égal et de nox/nuit, c.-à-d. le moment où la nuit est de même longueur que le jour. De manière alors indépendante de l’arabe et du Coran il est déduit de ce rapprochement entre deux termes n’ayant en réalité aucun lien entre eux que la nuit de al–qadr est mot à mot la nuit de l’équivalence. Un pas plus loin selon cette spéculation aussi libre qu’intentionnelle, voilà qu’il est annoncé péremptoirement que par conséquent l’équinoxe d’automne correspond exactement au mois de Ramadan signifiant forte chaleur, critère de sens erroné rappelons-le. C’est ainsi que le tour est joué, vilain tour mal joué, mais si deux erreurs peuvent effectivement converger, c’est uniquement vers l’erreur… Poussant la logique de leur illogisme jusqu’au bout, il en est qui font observer que la période équinoxiale ne dure que trois jours et que par conséquent le jeûne de Ramadan ne doit avoir lieu que trois jours. Il n’y a pas de limite à l’illimitation.

Ceci étant, il n’est pas noté que le terme qadar n’est pas le terme qadr et que si qadar évoque la mesure cela ne signifie en aucune manière l’équivalence. Au demeurant cette confusion a une origine exégétique tout aussi orientée puisque l’Exégèse en donnant en cette sourate au terme qadr les sens de décret, destin, destinée lui a en réalité transféré certaines significations du terme qadar. Si l’on s’écarte de ces détournements de sens successifs et revient à l’hapax coranique qadr, ce terme a contextuellement pour signification valeur, capacité, puissance, pouvoir, ce qui est grandiose, sublime : d’où pour laylatu–l–qadr notre traduction : « la nuit/layla sublime/al–qadr ». Il est ainsi souligné le caractère important, solennel, puissant, de cet instant, de cette nuit où le Prophète va pour la première fois recevoir la révélation.

5- Autre exemple de raisonnement circulaire ne trouvant sa logique qu’en lui-même. Collant à la tendance actuelle, il est convoqué sur la scène du théâtre les vilains chasseurs et les gentils défenseurs de la cause animale. Rien ne vaut les sentiments pour égarer les raisonnements. Partant de l’idée que (prétendument) le Coran interdit la chasse durant les mois sacrés et voulant prouver par ce procédé que lesdits mois sacrés étaient fixes à l’époque de la révélation du Coran, c.-à-d. selon le désir d’un calendrier luni-solaire par intercalation, il est alors curieusement déclaré que l’interdiction de la chasse printanière, période de reproduction, est unanimement reconnue comme la bonne pratique protégeant les espèces chassées de la disparition, affirmation qui bien que vraie est totalement hors sujet. Ceci implique donc selon ces protecteurs de la sauvagine la pratique de l’intercalation/nasî afin que les mois sacrés coïncident chaque année avec ladite période de reproduction, soit de la fin de l’hiver jusqu’à la fin du printemps. De la sorte, sous nos yeux ébahis, se trouverait confirmée l’existence de l’intercalation afin que ces quatre mois sacrés se situent toujours en cette même époque importante pour la pérennité du gibier et non pas qu’au fil de la dérive des mois strictement lunaires ces mois apparaîtraient à des moments sans aucune utilité pour la préservation de la faune. De là, il est alors conclu a contrario que la suppression de l’intercalation, c.-à-d. l’interdiction d’un calendrier luni-solaire, aurait pour conséquence que l’interdiction de chasse durant les mois sacrés de la part de Dieu n’aurait plus aucun sens ou pire favoriserait selon les années la chasse en période de reproduction. Or, comme Dieu est juste en tant que premier garde-chasse de l’Histoire, c’est donc qu’il y a eu erreur lors de la décision d’imposer un calendrier strictement lunaire de la part de ‘Umar, nous reviendrons sur ce cas plus avant. Ne sachant raison garder, les tenants de cette théorie sont sans nul doute frappés d’une hémiplégie hémisphérique puisqu’ils semblent ignorer que les saisons, et le cas présent le printemps, sont inversées entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud.

Mais, me direz-vous, en quel terrier se cache l’erreur ? Premièrement, et c’est essentiel, le Coran n’interdit pas la chasse durant les quatre mois sacrés, mais seulement concernant la période où des pèlerins accomplissant le Pèlerinage sont en état de sacralisation : « …Libre pour vous toute bête de troupeaux – exception faite de ce qui vous a été transmis – sans que pour autant vous soit autorisé le gibier lorsque vous êtes en état de sacralisation », S5.V1. Pareillement, « Ô vous qui croyez ! Ne tuez aucun gibier quand vous êtes en état de sacralisation », S5.V95. Et encore : « Vous sont rendus profanes le gibier de mer et la nourriture qui s’y trouve, en toute utilité pour vous et les groupes de pèlerins, mais sera sacré pour vous le gibier de terre tant que vous serez en état de sacralisation », S5.V96. Au cas où ceci ne suffirait pas à comprendre le sujet réel, il est explicitement spécifié le point suivant : « une fois désacralisés, alors chassez donc », S5.V2. Nous rappellerons ici que la désacralisation s’opère en fin de Pèlerinage alors que le mois sacré de Dhû–l–Ḥijja n’en est qu’à sa moitié et que rares sont les pèlerins restant trois mois en état de sacralisation/iḥrâm. Deuxièmement, cette interdiction de la chasse en état de sacralisation est de même sans aucun rapport avec la préservation des espèces, ce n’est là que la fausse-idée introduite par nos protecteurs du gibier, mais pas du Coran, car nous venons de le souligner à plusieurs reprises, la cause coranique de cette interdiction est l’« état de sacralisation » et la raison en est donnée, elle est d’ordre spirituel : « ceci afin que Dieu distingue celui qui Le craint en ce qui relève de l’Insondable », S5.V94. L’objectif en est l’éducation et la maîtrise de soi par acceptation de ce que la raison et les habitudes refusent. Ceci explique certaines résistances culturelles après l’édiction coranique dont témoigne en guise de réponse à ces tergiversations le verset suivant : « Ô vous qui croyez ! Dieu, certes, vous met à l’épreuve par tout gibier que vous atteindriez de vos mains ou de vos lances, ceci afin que Dieu distingue celui qui Le craint en ce qui relève de l’Insondable ; celui qui transgresse après cela connaîtra une peine douloureuse. », S5.V94.

En dehors de la transgression évidente des faits littéraux coraniques, une telle thèse est un parfait exemple de raisonnement modifiant les données réelles initiales du problème pour démontrer un point de vue a priori, formant ainsi un faux syllogisme en lequel les prémisses et la conclusion sont identiques.

6 – Vient enfin l’affirmation terminale : la “perversion du calendrier hégirien”. En d’autres termes, l’affaire du calife ‘Umar et la soi-disant invention du calendrier hégirien. Cet ennemi juré de certains aurait institué un calendrier purement lunaire alors qu’auparavant conformément aux désirs de ces délateurs le calendrier des Arabes était intercalaire, luni-solaire, si ce n’est carrément solaire grégorien. ‘Umar serait donc l’irresponsable responsable de la “perversion du calendrier musulman” dont le tort principal est de contredire la volonté de ceux qui veulent jeûner à date fixe alors que nous l’avons suffisamment démontré, leurs arguments ne sont qu’un faisceau d’approximations, de mésinterprétations et de déformations orientées subjectivement et, surtout, ne tenant absolument pas compte des données coraniques explicites que nous avons mentionnées en début de cet article.

‘Umar aurait donc inventé entre 634 et 644, années de son califat, un autre calendrier pour marquer une nouvelle Ère : le calendrier hégirien. Ce faisant, il aurait fait retourner à la préhistoire les musulmans en instituant un calendrier strictement lunaire : 12 mois lunaires de 29 à 30 jours. Or, la décision de suivre un calendrier strictement lunaire sans aucune forme d’intercalation pour compenser le décalage avec une année solaire est bien antérieure puisqu’on la doit nécessairement au prophète Muhammad après qu’il eut reçu la révélation suivante : « Assurément, le nombre de mois pour Dieu est de douze mois lunaires par un décret de Dieu le jour où Il créa les Cieux et la Terre. Parmi eux, quatre sont sacrés, telle est la droite coutume. En ces mois-là, ne commettez point de vous-mêmes d’iniquité, mais combattez les polythéistes entièrement de même qu’ils vous y combattent sans merci ; et sachez que Dieu est avec ceux qui Le craignent pieusement. Certes, l’intercalation est un surplus de dénégation par lequel les polythéistes s’égarent, la permettant telle année et l’interdisant telle autre afin d’ajuster le compte – ce que Dieu a interdit. Ils rendent donc permis ce que Dieu a interdit, le mal de leurs actes leur paraît beau, mais Dieu ne guide pas le peuple des dénégateurs. » S9.V36-37. Nous avons précédemment abordé l’explication centrale de ces deux versets, mais ils sont en soi explicites. Ceci au point que pour les occulter il est alors imaginé les deux explications suivantes : le Prophète n’aurait pas mis en application ces versets ou n’aurait pas eu le temps de le faire avant son décès. Selon la deuxième de ces hypothèses, toutes deux sans fondement scripturaire aucun, il serait de toute manière légitime que ‘Umar ait pris la décision d’appliquer conformément au Coran ce que le Prophète n’aurait pas eu le temps de faire. Selon la première, l’on devrait admettre que le Prophète ait refusé d’obéir à une injonction divine, ce qui du point de vue musulman est inadmissible. Pour contourner cet obstacle sur la voie du calendrier luni-solaire, il est alors souligné que ladite Sourate 9 ayant été révélée trois mois à peine avant la mort du Prophète, celui-ci, malade, n’aurait pas eu matériellement le temps de justifier des raisons de sa non-application desdits versets. Ainsi, à l’issue de ces spéculations sans preuve, mais non sans intention, ‘Umar n’aurait pas respecté ce que l’on suppose être la décision non dite du Prophète de ne pas suivre, contre le Coran, l’institution d’un calendrier strictement lunaire. Or, nous avons montré que contrairement aux dits de l’Exégèse, la Sourate 9 n’est que le résultat d’une coupure imposée au sein d’une sourate auparavant plus longue et constituée en réalité de ce que l’on peut appeler le bloc S8-S9. Ceci entre autres explique l’absence de basmala en tête de la pseudo Sourate 9 ainsi artificiellement individualisée.[4] De cette observation textuellement justifiée, l’on en déduit que ce qui constitue à présent la Sourate 9 a été révélé au moment de la rupture du traité de Hudaybiyya, soit en l’an 8 de l’Hégire, c.-à-d. deux ans avant le décès du prophète et non pas trois mois. Les arguments déconstructeurs ci-dessus n’ont donc pas de fondement selon le Coran lui-même puisque même si l’on ne validait pas notre datation il est de toute manière textuellement évident que les premiers versets de la Sourate 9 sont en lien avec ladite rupture des accords de Hudaybiyya par Quraysh et ses alliés.

Étant entendu que les versets ci-dessus instituent par eux-mêmes un calendrier lunaire strict, ‘Umar ne peut de toute manière être crédité que de la simple décision d’instituer une nouvelle ère comme cela s’imposait en ces temps-là pour marquer la domination d’une puissance à un moment donné de l’Histoire. L’Islam se devait de matérialiser sa supériorité dans le Moyen-Orient et il fut donc décidé par le vainqueur administrateur du nouvel empire de remplacer le calendrier Julien solaire suivi par les Byzantins vaincus par un calendrier spécifiquement ancré dans l’histoire de l’Islam en devenir. Rien de plus commun en ces temps-là, la seule originalité consistant à ne pas avoir choisi la date de naissance de Muhammad où la date du triomphe de ‘Umar sur les Byzantins, mais l’exil du Prophète de La Mecque vers Médine : l’Hégire/al–hijra. Un évènement semblant mineur à l’origine, mais qui du temps de ‘Umar était déjà perçu comme essentiel, une capitale décision divine quant au déroulement de l’Histoire. Il ne s’agissait donc pas de remettre à la mode un calendrier lunaire, celui-ci était en cours au temps coranique, nous l’avons répété, mais seulement de décider puis déterminer plus ou moins arbitrairement, c.-à-d. avec plus ou moins de précision, que ce calendrier de la nouvelle Ère de l’Islam débuterait au 1er du mois de Muharram, mois où le Prophète aurait quitté La Mecque. De ce fait, la décision de ‘Umar, s’il est bien possible qu’elle ne fut pas d’une précision astronomique, n’est pas pour autant à l’origine de la dérive annuelle des mois et notamment du mois de Ramadan et, en ce sens, elle fut conforme aux indications coraniques. S’il y a donc “perversion”, c’est bien celle des zélotes de leurs propres croyances : se légitimer prétendument au nom du Coran en lui tournant résolument le dos.

CONCLUSION

Le Coran est le texte de référence de tous les musulmans et le fait que le fonctionnalisme ambiant impacte les musulmans en Occident et ailleurs dans le Monde ne justifie pas que pour être en conformité avec le système dominant l’on s’écarte de cette voie de rectitude. Les versets coraniques que nous avons rappelés sont parfaitement explicites et nul besoin de les interpréter concernant la détermination de Ramadan et ses modalités d’application. Le calendrier maintenu par le Coran est strictement lunaire sans intercalation, il s’en suit que le mois de Ramadan commence chaque année à peu près 11 jours plus tôt par rapport au calendrier grégorien actuellement en fonction. Même s’il pourrait sembler séduisant de fixer le mois de Ramadan chaque année à la même date, de préférence un mois où cela serait plus confortable, nous aurons montré que l’ensemble des arguments employés à cette fin sont fallacieux et contre le propos du Coran. La sagesse de cette édiction coranique est pourtant limpide : il est juste et équitable que Ramadan ne se tienne pas chaque année au même moment, ce du fait que la terre est ronde et qu’elle tourne sur elle-même et autour du soleil. La rotation de Ramadan, en quelque sorte, est la seule solution équitable puisqu’ainsi sur un cycle de 33 années tous les musulmans, où qu’ils vivent sur une Terre qui n’est pas plate aient l’occasion de jeûner des mois aux journées plus ou moins courtes et des mois aux journées plus ou moins longues, des mois plus ou moins chauds ou plus ou moins froids, et ce, quelles que soient les latitudes et les hémisphères. Enfin, nous ajouterons que selon le Coran le calendrier lunaire est mentionné en ce qui relève du religieux, c.-à-d. la détermination du mois de Ramadan et de la période de Pèlerinage et que textuellement rien n’interdit que pour ce qui a trait à la vie civile il ne puisse être employé un autre type de calendrier.

Dr Al Ajamî

 

[1] Pour mémoire, et afin de ne pas nous faire passer pour l’astrophysicien que nous ne sommes pas, contrairement à l’habitude en ce genre de sujet nous n’abreuverons pas le lecteur de longue démonstration copié-collé sans maîtrise et nous nous contenterons de citer cet extrait de l’Encyclopédie Universalis : « La durée de la lunaison n’est pas un nombre entier de jours, mais la partie décimale équivaut à peu près à une demi-journée. Ainsi, en faisant alterner des mois de 30 jours et des mois de 29 jours, on « suit » la lune avec une bonne précision. En effet, une année lunaire ainsi constituée totalise 354 jours, qu’il faut comparer à 12 lunaisons réelles = 12 × 29,5306 = 354,3672 jours = 354 j 8 h 48 min 33 s. Au bout d’un an, la lune est en retard d’environ 8 heures sur le calendrier théorique et de 1 jour en trois ans, ce que l’on peut parfaitement corriger en ajoutant 1 jour tous les trois ans. Tous les calendriers lunaires ont fonctionné sur ce principe et c’est ainsi que fonctionne le calendrier musulman, qui reste le seul calendrier lunaire actuel. Les saisons dérivent à raison de 11 jours par an ; c’est la raison pour laquelle le début de ramadan, le neuvième mois du calendrier musulman, ne correspond pas à une date fixe dans le calendrier grégorien. Ce calendrier musulman fonctionne en réalité sur un cycle plus complexe que la solution de 3 ans : le cycle est en réalité de 30 années, parmi lesquelles 19 années possèdent 354 jours et les onze autres 355 jours. La correction effective est de 11/30 = 8 h 48 min. Les phases de la lune sont suivies avec une très grande précision, puisque la lune avance seulement de 33 secondes par an, soit de 1 jour en 2 600 ans. »

[2] Ces versets sont cités selon la traduction standard, sur celle-ci cf. https://www.comprendrelecoran.fr/index.php/2018/01/21/traduction-standard-du-coran/

[3] Pour Noé, cf. S29.V14, pour les dormeurs d’Éphèse : S18.V25.

[4] Sur ce point, voir La basmala de la Sourate 9 : https://www.comprendrelecoran.fr/index.php/2020/10/04/la-basmala-de-la-sourate-9-at-tawba-le-repentir/