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Lire et comprendre le Coran

LIRE ET COMRENDRE LE CORAN

Nous vous proposons la lecture d’un article publié sur le site Oumma.com au sujet de la parution de la Nouvelle version actualisé de mon ouvrage « Que dit vraiment le Coran ». À cette occasion j’ai répondu à un questionnaire proposé par Saïd Branine, directeur de la rédaction, qui a le mérite de permettre une mise au point claire et didactique quant au positionnement de ma démarche exégétique et de certaines réflexions qui en découlent.

– Vous précisez d’emblée que le but de votre ouvrage n’est pas de reproduire le point de vue de l’islam sur de nombreux sujets comme la charia, la laïcité, l’esclavage, la démocratie, la polygamie, le voile, l’égalité hommes femmes, le mariage interreligieux, le terrorisme, le respect interreligieux, etc. Pourquoi avez-vous choisi de vous livrer à l’exercice rigoureux de l’exégèse coranique ?

Il ne manque pas d’orateurs qui parlent au nom de l’Islam et du Coran. Cependant, depuis plus de mille ans, l’Exégèse du Coran n’a guère évolué et les points de vue de l’Islam qu’elle a élaborés sur la majorité des sujets ont été définis et arrêtés. Dès lors, le Coran n’est plus un texte que nous lisons et réfléchissons, mais dont nous percevons le sens en fonction des interprétations que l’Islam en a données. Néanmoins, le Coran n’a de cesse de nous appeler à méditer son message par nous-mêmes tandis que les significations que l’on nous enseigne doctement ne sont nécessairement que le fruit sec de la mentalité millénaire qui les a produites. Aussi, m’a-t-il toujours semblé indispensable de vérifier si, ce faisant, ces interprétations soutenues par l’Islam ne s’étaient pas éloignées du sens premier du Coran. Revenir à l’exégèse m’apparaît donc être une démarche impérative relevant autant de la foi en la révélation coranique que de l’exercice de la raison. Par exégèse, j’entends l’effort de lecture et de compréhension du Coran, en l’occurrence le sens donné directement par le Texte sans passer par le filtre des avis exégétiques classiques. Ce retour à la source permet d’explorer le Message tel qu’en lui-même. Il devient ainsi possible de mettre au jour le sens littéral du Coran, lequel vérifie son caractère intemporel et le fait que le propos coranique ne s’avère jamais obsolète, ce qui n’est pas toujours le cas de notre patrimoine exégétique et juridique.

– Vous affirmez qu’une parfaite compréhension du Coran requiert une longue fréquentation et des compétences philologiques, sémantiques, théologiques, etc. Est-ce à dire que le Texte sacré de l’islam n’est pas accessible au commun des mortels ? Qu’en est-il des imams, voire des oulémas, qui sont loin de répondre aux critères requis ? Peuvent-ils réellement se prévaloir d’une interprétation fidèle et sérieuse du Coran ?

Ce n’est pas le Coran qui est difficile, mais l’accès à son sens premier enseveli sous les strates pétrifiées d’une exégèse antique. Certes, toute exégèse requiert un certain niveau d’expertise linguistique de la langue arabe coranique. Néanmoins, le Coran lui-même est très sévère à l’encontre des castes sacerdotales, que ce soit les exégètes ou les juristes. Cela signifie deux choses, premièrement il y a toujours un risque pour les croyants quand une élite accapare le monopole de la vérité. Deuxièmement, l’on en déduit qu’incombe à tout musulman de s’efforcer à fréquenter le Coran afin d’en retirer des enseignements qui seront utiles au vécu de sa foi. Mon expérience montre que si tous les lecteurs du Coran ne sont pas des exégètes, tous par contre ont une intelligence vivante à même de s’interroger sur telle ou telle signification que l’on prête au texte coranique. À tout le moins, chacun de nous est en mesure de questionner la pertinence de telle ou telle interprétation : ce verset dit-il une chose pareille, ce verset rapporte-t-il vraiment une telle bizarrerie, ce verset édicte-t-il vraiment cette loi ? Il est de notre responsabilité de porter un regard neuf sur le Coran avec un cœur neuf et non de nous reporter aveuglément sur nos autorités savantes. Quant à la formation classique des ulémas, des exégètes, ce que l’on peut dire c’est qu’ils sont sérieux et fiables quant à l’exégèse qui leur a été transmise et qu’ils perpétuent avec application même si la réflexion n’est pas au rendez-vous. Par contre, il n’y a pas lieu de supposer qu’ils puissent « se prévaloir d’une interprétation fidèle et sérieuse du Coran » tant qu’ils n’ont pas fait l’effort d’une démarche critique à même de valider les enseignements qu’ils ont reçu, or nos savants n’ont jamais été formés à ce type d’approche. En réalité, c’est à nous simples musulmans de ne pas sacraliser leurs connaissances et, par conséquent, d’exercer notre droit à la réflexion sur les interprétations que l’on nous délivre à l’identique depuis plus de mille ans.

– Vous écrivez que le Coran et l’islam sont intimement mêlés et qu’ils sont même régulièrement confondus. Insinuez-vous que ce soit un tort et que ce que prône l’islam, qui se veut être un prolongement du texte coranique, diffère de ses enseignements fondamentaux et prescriptions essentiels ?

L’on peut effectivement observer dans les propos quotidiens ou dans les discours des intellectuels que Coran et Islam sont de deux termes interchangeables : le Coran dit et l’Islam dit sont pris pour synonymes. Ceci étant, il est connu de tous que le Coran n’est pas une religion et, autant le Coran est vague sur les sujets relatifs à la religion, autant l’Islam est en la matière fort détaillé. En soi, ce simple constat suffit à expliquer la différence entre Coran et Islam. Par ailleurs, l’Islam a une histoire, le Coran est hors de l’Histoire ; autrement formulé, le Coran est révélé et l’Islam résulte d’une œuvre humaine ce qui justifie à nouveau et à un autre niveau que Coran et Islam soient différents. De plus, si l’on considère que l’Islam est « un prolongement du texte coranique », la différence de nature et de sujet entre Coran et Islam explique que l’Islam ne soit qu’une interprétation du Coran parmi d’autres, l’Islam n’est donc pas le Coran. Pour le dire autrement, le message du Coran n’est pas nécessairement superposable au discours de l’Islam, et inversement. En cet ouvrage, la plupart des thèmes que nous avons analysés mettent en évidence la différence entre le sens littéral des versets mis en jeu et l’interprétation que l’Islam en a classiquement réalisée. Il en est ainsi entre autres exemples de la question du voile : une obligation pour l’Islam alors que le propos du Coran est seulement la pudeur et la retenue pour les femmes autant que pour les hommes. Ou bien, s’agissant des peines dites légales, pour le même verset le Coran prône la justice sociale et la mise sous contrôle des excès des riches et des puissants tandis que l’Islam en déduit qu’il faut couper la main du voleur, c.-à-d. généralement celle du pauvre. Ou encore, quand le Coran soutient l’égalité de genre et lutte contre le sexisme, l’Islam détourne ou oublie ces nombreux versets et institutionnalise, voire universalise, le patriarcat des Arabes de l’époque et légalise la domination de la femme par l’homme, etc.

– Il ne s’agit pas, dites-vous, de redéfinir ex nihilo une nouvelle identité musulmane, mais plutôt d’inciter les musulmans à se ressourcer à la lumière du Coran et de ses préceptes éclairants qui furent ensevelis sous la poussière des siècles et des traditions religieuses ou non. Est-ce possible face à une orthodoxie musulmane très structurée, voire figée, et solidement ancrée dans les esprits ?

Ceux qui pensent que l’on peut se redéfinir en tant que musulmans sans faire appel au Coran sont comme des oiseaux qui ont quitté et la branche et l’arbre, ils peuvent voler librement de leurs propres ailes, mais n’appartiennent plus au peuple de l’Arbre. Pour se régénérer, il faut revenir à la source et la source première dont nous connaissons tous le chemin est le Coran. Je ne suis pas coraniste, pour moi mieux comprendre le Coran c’est mieux comprendre l’Islam, mais pas pour le rejeter ou s’y opposer. L’Islam est notre religion, notre héritage, avec ses qualités, ses limites et ses défauts, mais ceux qui en leur foi en éprouvent le besoin peuvent effectivement se ressourcer au Coran. Non pas pour y trouver de nouvelles définitions d’un nouvel Islam, mais pour reprendre le contrôle de leur Islamité, c.-à-d. du rapport qu’ils établissent consciemment à leur religion. C’est donc bien à la lumière des enseignements du Coran que chacun peut vivre et comprendre son islamité, savoir ainsi ce qui en Islam est conforme à la sagesse intemporelle et universelle du Coran, son éthique, son appel au bien. Le fait que l’orthodoxie musulmane soit encore bien structurée et que ses représentants défendent leur position de Gardiens du Temple est logique, c’est le propre de toutes les religions. Cependant, nous n’adorons pas nécessairement les religions et encore moins ses Autorités, fondamentalement nous adorons Dieu et rien d’autre. Et, puisque penser et vivre son islamité est une démarche individuelle et librement dirigée à la Lumière du Coran, il n’y a pas à douter que ceux qui souhaitent reprendre ainsi en mains leur vie de croyant bénéficient pour cela d’un large espace de liberté ; que je sache, l’orthodoxie et son orthopraxie ne mènent pas inquisition. Malgré les mises en garde et les pressions exercées par le système religieux, plus que jamais le temps présent est propice à l’autonomisation des croyants.

– Vous affirmez que, pour l’islam, l’importance pratique, dogmatique et théologique du Hadith est bien plus grande que celle du Coran. Comment expliquez-vous que les paroles et actes du Prophète (saws) puissent être mis sur un même niveau que la parole de Dieu (Coran), voire même lui être supérieurs ?

Ce constat est cohérent, l’Islam se définit comme sunnite, c.-à-d. construit sur la Sunna, donc par le Hadîth. Il en est de même pour le chiisme qui se fonde sur les hadîths transmis par leurs propres Imams. Nous n’en avons pas forcément conscience, mais 90% de nos pratiques et une large part de nos dogmes ne reposent que sur les hadîths. Par ailleurs, le Coran est un texte dont la compréhension a été rendue complexe par la surcharge exégétique dont il a été en quelque sorte victime. À l’inverse, les hadîths sont des textes faciles et explicites, car chacun d’eux répond visiblement à une question posée sur tel ou tel point d’une religion qui pour se construire avait besoin d’informations sur mesure que l’on ne trouvait effectivement pas dans le Coran. En conséquence, tant les nécessités des musulmans que celles du discours islamique amènent à s’appuyer de manière importante sur les hadîths. En ces conditions, mais seulement à partir du début du troisième siècle de l’Hégire, le Hadîth a été érigé au rang de référence majeure de l’Islam, c.-à-d. lorsque ce dernier eut atteint la forme définitive que nous lui connaissons. Or, comme il n’y a donc pas d’Islam sans le Hadîth, celui-ci en tant que source principale de l’Islam a été progressivement élevé au même rang de sacralité que le Coran. De plus, l’on peut observer à notre époque post-moderne que la religion est devenue elle aussi un objet matérialiste servant à quantifier la foi à l’aide d’indicateurs concrets, des détails ostensiblement visibles concernant tous les aspects de la vie quotidienne : comment s’habiller, manger, s’asseoir, avoir des rapports sexuels, vivre, penser. Autant de points que l’on ne trouve que dans le Hadîth, ce qui explique la prépondérance actuelle du Hadîth au point que pour certains il revête dans les faits plus d’importance que le Coran ou, plus exactement, qu’il y ait un surinvestissement dans le Hadîth et un désinvestissement quant au Coran. Pour preuve, si face à cette évidence il fallait une preuve, l’activité exégétique contemporaine est quasi inexistante. Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté ou de confusion, je ne dis pas qu’il faudrait rejeter le Hadîth globalement car, sans lui, pas de religion Islam. Il convient seulement de le désacraliser afin d’envisager au cas par cas le hadîth sain et utile du hadîth malsain ou futile, et ce, par l’exercice de la raison et à la lumière du sens du Coran compris tel qu’en lui-même et non, bien évidemment, par le prisme du Hadîth.

– Vous rappelez que l’islam, au fil des siècles, n’a cessé de juridiciser, le Droit islamique, élaboré par des hommes ayant presque fini par se substituer au Texte sacré de l’islam. Quel regard portez-vous sur ce droit islamique qui porte l’empreinte humaine ? Est-il fondamentalement éloigné du message coranique, ou bien obsolète ? Faut-il l’amender en profondeur ?

Le Droit islamique est plus que toute autre composante de l’Islam fondé sur le Hadith. Malgré tout, la Loi islamique ayant vocation à légiférer sur l’ensemble de l’environnement du croyant, la masse pourtant considérable de hadîths produits ne pouvait suffire. Il a donc toujours été fait emploi de raisonnements connexes, que ce soit l’analogie, l’opinion personnelle, l’opinion consensuelle, le concept d’utilité publique, etc. Le Droit islamique n’est donc pas une Loi divine qui aurait été dictée du Ciel, mais elle est à double titre le résultat d’une production humaine échelonnée sur plusieurs siècles et qui du reste continue à légiférer face aux nouveaux défis de la modernité. L’on ne peut pas dire que le Droit islamique serait « fondamentalement éloigné du message coranique » puisque le Message du Coran n’est pas une loi, le Coran n’édicte pas la Loi, mais indique la Voie. Le Message du Coran et le Droit islamique sont ainsi deux choses parfaitement différentes et distinctes. Le Droit islamique s’apparente sur le fond aux droits positifs car il est issu des besoins d’une société donnée en un temps donné. Ces besoins sont donc tributaires d’une culture et de situations particulières, en l’occurrence celles des alentours de l’an mille au Moyen-Orient. Comme n’importe quelle autre législation, la Loi islamique serait donc appelée par définition à devenir obsolète. L’obsolescence est ainsi programmée dans l’ADN de la Loi et seul le Droit islamique n’est pas conscient de sa propre nature, car en se rêvant d’essence divine il se pense intemporel. Je rappellerais que le Droit musulman est né au service des premières puissances califales puisque comme toute législation il fut l’instrument qui permit la gouvernance du peuple. Or, de nos jours, les musulmans ne vivent plus sous l’autorité du Prince, ils sont de simples croyants au sein de sociétés sécularisées, y compris pour la grande majorité des pays dits musulmans. Il en résulte que le Droit islamique n’est plus adapté aux besoins réels des citoyens-croyants. Au demeurant, c’est ce constat qui pousse selon une logique propre certains inadaptés à penser qu’il nous faut retourner au modèle d’une société d’avant l’an mille afin que le Droit islamique qu’ils appellent Charia puisse être en adéquation avec cette réalité.

– Vous insistez sur le fait que le Coran n’a pas pour objectif principal de dicter la loi, mais plutôt d’éduquer les consciences et de guider les âmes. À vos yeux, c’est quoi être musulman exactement ?

Il existe plusieurs définitions du musulman. La première, est musulman celui qui se vit comme appartenant à l’Islam plus culturellement que cultuellement. La seconde, un musulman est un pratiquant de la religion musulmane. La troisième, un musulman est celui qui vit sa religion comme une soumission à Dieu. La quatrième, selon la définition coranique un musulman est un croyant qui remet son être en Dieu, il s’agit d’une définition d’ordre spirituel. La cinquième, un musulman est un croyant qui croit en Dieu par l’intermédiaire du Coran transmis par le Prophète Muhammad. De mon point de vue, un musulman est celui qui réalise une synthèse de ces divers aspects afin de trouver un équilibre harmonieux entre sa foi, sa religion, sa raison, sa vie, sa participation à la société.

– Quelle est votre position dans le débat qui oppose les tenants du Coran créé aux tenants du Coran incréé ?

Je ne comprends pas vraiment que l’on perde encore notre temps pour un débat obsolète qui avait déjà épuisé ses acteurs dans les premiers siècles de l’Islam. Les principes qui sous-tendaient ce type de différends théologico-philosophiques étaient essentiellement néoplatoniciens et cette logique et ses sujets de réflexion n’ont plus cours de nos jours. Ils dépendaient aussi du politique puisque ce sont les premiers califes abbassides qui instrumentalisèrent la question ainsi que les théologiens eux-aussi soucieux de leur propre pouvoir. En effet, si le Coran était déclaré créé, alors en tant que texte matériel il appartenait à la temporalité et selon la doctrine mutazilite la raison seule avait à charge de l’interpréter. Le calife, l’État, devenait la source du Droit. Par contre, si le Coran était décrété incréé, son caractère éternel faisait de Dieu la seule source du Droit et les religieux Gardiens du Texte et de son interprétation étaient alors les seuls détenteurs réels du pouvoir. C’est au demeurant selon cette conception que les ulémas et leur lecture du Coran ont été sacralisés. Donc, rationnellement, je considère le Coran pour ce qu’il est : un texte matériel que je peux toucher et lire, donc créé, tandis que la seule chose qui au nom de ma foi est incréée est Dieu. Par ailleurs, mon étude du phénomène de révélation à partir des données coraniques montre que la révélation n’est en rien la Parole incréée d’un Dieu incréé qui parlerait malgré cela directement au Prophète. Le Coran est le résultat d’un processus révélatoire complexe qui nécessite plusieurs intermédiaires dont les deux plus connus sont La Table bien gardée et l’Archange Gabriel. En conséquence, le Coran n’est pas réellement la Parole de Dieu, il n’est pas non plus les paroles de Muhammad, il est le Message de Dieu ayant fait irruption en notre réalité par voie de révélation et dont le Prophète a été le récepteur et le fidèle transmetteur. Ceci étant, rien dans notre compréhension de la Révélation et de la nature de Coran ne lui retire la sacralité que nous lui conférons tous.

– La méthodologie que vous suivez repose sur l’explication du Coran par lui-même, sans l’apport de sources extérieures. Pouvez-vous être plus précis à ce sujet ?

Comme tous les livres sacrés, le Coran a été abondamment interprété et surinterprété et nous sommes tous plus ou moins les héritiers de ce bagage exégétique. Ainsi, quand nous lisons le Coran pour le comprendre, ce n’est pas avec notre propre regard que nous l’interrogeons, mais avec les yeux de l’Islam. Pour parvenir au sens premier du Coran, à son sens littéral, il fallait donc faire abstraction de l’ensemble de ces sources extérieures qui sont autant de filtres ou de miroirs ne nous permettant pas de savoir ce que dit vraiment le Coran, mais seulement ce que l’on dit être du sens du Coran. En réalité, « l’explication du Coran par lui-même » est un concept ancien : le tafsîr al–qur’ân bi-l–qurân, lequel a toujours été considéré comme l’approche la plus exacte, mais qui dans les faits n’a jamais été appliqué de manière intensive et extensive. Quoi qu’il en soit, il est effectivement tout à fait possible de déterminer la signification des versets en ne faisant appel qu’aux données fournies par le texte coranique étudié en sa globalité puisque le Coran présente la particularité d’être un corpus clos autoréférentiel. Autrement dit, il offre par recoupements exhaustifs les éléments permettant d’établir le sens de tel ou tel verset sans qu’il soit nécessaire de faire recours à des sources d’informations extérieures sur lesquelles nous n’avons pas de garanties réelles, car elles ne relèvent que de l’argument d’autorité. S’ajoute à cela la nécessité de procéder à divers niveaux d’analyses : lexicale, sémantique, contextuelle. Je préciserais que cette notion de contextualité n’est en rien historique, elle est intratextuelle et correspond au fait de ne jamais étudier un verset de manière isolée, mais toujours en lien avec l’ensemble des versets au sein desquels il est inséré. Il est ainsi possible de mettre en évidence la signification du Coran par lui-même, le sens littéral, comme en un temps premier antérieur aux interprétations. L’analyse littérale du Coran répond donc à une double exigence : respect du Texte et obligation de rigueur et d’objectivité.

– Nombreux sont ceux qui appellent de leurs vœux une véritable réforme de l’islam, sans jamais la voir aboutir. Que signifie pour vous réformer l’islam ?

Je ne suis pas un réformiste. Je ne crois pas que des discours de bonnes intentions aient par eux-mêmes la vertu de réformer l’Islam. Cela fait un siècle et demi que ce mouvement de pensée a débuté sans pour autant obtenir de résultats tangibles. Il ne suffit pas de dire : « Je pense que », « Il y a qu’à » et « Il faut qu’on ». Je ne dis pas que réformer l’Islam est mission impossible, mais s’agissant d’une religion aussi codifiée et sacralisée, la réforme au sens de redéfinition et réécriture de la religion ne peut être effective que si elle provient des autorités religieuses en place, or quoi de plus conservateur que les clergés. De mon point de vue, cette réforme nécessaire de l’Islam ne pourra se réaliser que lorsque les musulmans auront majoritairement modifié leur rapport à la religion, leur Islamité ; il s’agit donc en réalité d’une réforme du musulman. Chaque croyant, chaque homme, chaque femme doit déterminer au concret ce qui dans sa religion est compatible avec ce qu’il est afin que son vécu de l’Islam, son Islamité, lui procure force et équilibre, une sagesse qui soit utile à soi comme aux autres. En la matière, le Coran demeure le critère suprême et sa méditation le guide de notre foi, de notre éthique, de notre morale, de nos comportements et agissements. C’est en cette perspective que s’inscrit mon effort personnel exégétique visant à établir le sens littéral premier du Coran.
C’est ce mouvement de fond qui produira l’énergie qui conduira les autorités religieuses, sous peine de se délégitimer, à comprendre le changement et à le transcrire en une relecture et recodification de l’Islam. De plus, l’idée même de « réformer l’Islam » est une pensée qui émane du haut, une pensée d’élite, le peuple des croyants n’ayant qu’à suivre. La réforme du musulman c’est donc aussi la reprise en mains par chaque croyant de son propre destin de foi et d’être, sans attendre les ordres des bergers et des loups.

– En conclusion, quelle bonne interprétation du Coran un musulman doit-il avoir ? Une interprétation qui, comme vous le soulignez, ne doit pas générer de tensions entre notre être et le Texte.

Méthodologiquement, je rappellerais que la notion de sens littéral est non-herméneutique, autrement dit que le sens littéral n’est pas une interprétation, mais la signification première, ta’wîl. Nous sommes tous responsables de notre lecture et notre compréhension du Coran et nous devons nous interroger sur notre capacité naturelle à produire des interprétations qui n’exprimeraient au fond que nos souhaits ou nos désirs. Il ne s’agit pas de faire dire au Coran, de l’interpréter, mais de l’entendre, patiemment et attentivement. Puisque nous croyons tous que le Coran émane de notre Seigneur, nous savons tous aussi que son propos ne peut être injuste, mensonger, violent, sexiste, discriminant. Il ne peut transcrire les travers et les défauts de l’Homme, il ne mène pas le croyant à la souffrance, mais à la paix, il n’engendre pas l’obscurité, mais la lumière. Lorsque les yeux et le cœur aperçoivent cette lumière vraie, alors notre compréhension du Coran est juste.

Dr al Ajamî