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L’interprétation du Coran selon le Coran et en Islam

S3.V7

 

En la rubrique « Comprendre le Coran » nous avons consacré une série d’articles à notre méthodologie d’Analyse Littérale du Coran. Ce faisant, nous avons à maintes reprises souligné l’importance de l’interprétation pour l’exégèse classique du Coran. Ceci, non pas pour la cautionner, mais afin d’identifier avec rigueur et précision la mise en œuvre des mécanismes interprétatifs et ainsi établir une méthodologie à même de déterminer le Sens littéral du Coran de manière non-interprétative et non-herméneutique.

Ceci étant rappelé, l’interprétation en tant que mode de compréhension du Coran connaît depuis le réformisme islamique un regain d’intérêt. En effet, les “nouveaux penseurs de l’Islam” se proposent tous de résoudre les difficultés d’acceptation que posent à notre époque certaines interprétations imposées il y a mille ans par l’Islam. Pour ce faire, ils s’offrent d’interpréter à nouveau le Coran en fonction d’une vision du monde plus contemporaine. Aussi, les réformistes soutiennent-ils que le Coran est interprétable à l’infini ou, ce qui pour eux revient au même, que le Coran possède une infinité de sens. Ce faisant, ils utilisent le même principe de déviation de sens que les anciens, interpréter est effectivement la voie la plus facile pour faire dire au Coran ce que l’on pense soi-même… Tout comme les premiers exégètes-interprètes, les néo-exégètes justifient donc leur démarche intellectuelle interprétative au nom du Coran et pour cela invoquent les mêmes versets : principalement S3.V7 ; S31.V27 ; S18.V109. En cet article, nous analyserons S3.V7 et, pour les deux autres versets référents voir : Interprétation infinie du Coran  : S31.V27 et S18.V109.

 

• Que dit l’Islam

La traduction standard du verset-clef est sans équivoque quant à l’équivoque qu’elle défend ! : « C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre : il s’y trouve des versets sans équivoque/muḥkamât, qui sont la base du Livre, et d’autres versets qui peuvent prêter à d’interprétations diverses/mutashâbihât. Les gens, donc, qui ont au cœur une inclination vers l’égarement, mettent l’accent sur les versets à équivoque/mâ tashâbaha min-hu, cherchant la dissension en essayant de leur trouver une interprétation/ta’wîl, alors que nul n’en connaît l’interprétation/ta’wîl, à part Allah. Mais ceux qui sont enracinés dans la science disent : « Nous y croyons : tout est de la part de notre Seigneur ! » Mais, seuls les doués d’intelligence s’en rappellent. », S3.V7.[1]

Cette traduction, malgré un texte laborieux, exprime assez clairement le sens que défendent les tenants de l’interprétation du Coran. Il y aurait dans le Coran des versets explicites/muḥkamât, et d’autres qui seraient équivoques/mutashâbihât. Sous l’angle qui nous préoccupe ici, la présence de ces équivoques rendrait licite d’interpréter le Coran et seul Dieu, de toute manière, en connaîtrait l’interprétation/ta’wîl exacte. Là est donc l’argument de l’exégèse interprétative, quasiment un cas d’obligation ! Pour les modernes, ce verset sert plus exactement de prétexte validant leur argument herméneutique : aucun texte ne fait sens par lui-même et toute compréhension textuelle est une interprétation.[2]

Or, ces positions sont vraiment des préconçus, car même compris et traduit comme ils le font, ce verset ne soutient pas ces points de vue. En effet, selon la compréhension qu’ils défendent seuls certains versets seraient dits équivoques et non tout le Coran : « et d’autres versets qui peuvent prêter à d’interprétations diverses/mutashâbihât ». Ce ne sont donc que ces versets-là qui pourraient faire l’objet d’interprétation. D’autre part, il est clairement indiqué que seuls ceux « qui ont au cœur une inclination vers l’égarement » s’intéressent à l’interprétation de ces versets. L’interprétation serait alors une pratique à ne pas rechercher et non une réalité herméneutique plaidée par le Coran. En ce cas, tout exégète au service de l’Islam, tout comme les réformistes bien intentionnés, tous interprètes, seraient tous séditieux et subversifs : « cherchant la dissension en essayant de leur trouver une interprétation » !

De plus, le texte de ce verset en l’état appelle quelques questions essentielles : Serions-nous face à un document affirmant qu’il est pour partie ambigu sans pour autant indiquer lui-même lesdits versets équivoques ou plurivoques ? Comment Dieu aurait-Il intentionnellement révélé des textes ambigus alors que le Coran prétend être une communication explicite ?[3] En quoi serait-il répréhensible, séditieux, de chercher l’interprétation de versets se prêtant à l’interprétation/mutashâbihât ? S’agissant du Coran reçu en tant que communication divine, serions-nous condamnés à ne pas connaître le sens d’un nombre indéterminé de versets et à errer ainsi infiniment dans la supputation et l’interprétation ?

C’est du reste conscients de ces difficultés que les premiers exégètes ont aussi retenu des propositions différentes, et Tabari par exemple en rend bien compte. Ainsi, les versets mutashâbihât seraient pour ceux-là des versets se ressemblant, des versets faciles à confondre. D’aucuns ont pensé qu’il s’agissait de versets allégoriques, métaphoriques, symboliques, tels les versets dits anthropomorphiques ou ceux énonçant les lettres liminaires initiant certaines sourates. D’autres ont opté pour une opposition entre les termes muḥkamât et mutashâbihât type abrogeant/abrogé, ḥalâl/ḥarâm, juridique/moral, etc. Eut égard à une telle confusion et indétermination terminologique, l’on est réellement en droit de se demander si ce verset n’est pas lui-même équivoque/mutashâbih ! Auquel cas, nul ne serait en capacité d’en connaître la signification conformément à l’interprétation faite de ce verset ! Il serait donc impossible de prendre ce comme preuve légitiment l’interprétation du Coran !

 

• Que dit le Coran

L’Analyse lexicale notera  que trois termes ont servi de clef aux diverses interprétations proposées par l’Exégèse :  muḥkamât, mutashâbihât, ta’wîl.

1- Le terme muḥkamât est le participe passé de la forme IV aḥkama, laquelle signifie établir fermement, consolider, tenir fermement, maîtriser. En dehors de notre v7, l’on ne retrouve qu’une seule autre occurrence de ce participe passé :  « Les croyants disaient : Que ne serait-il donc pas révélée une sourate ! Mais, lorsque a été révélée une sourate muḥkamat en laquelle il est mentionné de combattre, tu vois ceux qui ont au cœur une maladie te regarder comme celui qui défaille face à la mort…», S47.20. Le propos de ce verset est clair et son contexte d’insertion le confirme : dans l’entourage du Prophète, certains semblent avoir à un moment donné rechigné à combattre à ses côtés en prétextant que la Révélation n’avait pas explicitement prescrit ce combat. Il s’agissait d’un prétexte fallacieux, car lorsque cette révélation eut lieu il est souligné qu’ils paniquèrent à l’idée de combattre. Cette révélation a dû donc établir fermement/aḥkama le devoir de combattre et l’on en déduit sans peine que, conformément aux significations de aḥkama, en ce verset le syntagme sûrat muḥkamat signifie sourate fermement établie. Autrement dit, prescrivant de manière péremptoire, indiscutable, explicite ledit combat afin de clarifier la situation, d’où « Mais, lorsque a été révélée une sourate explicite/muḥkamat en laquelle il est mentionné de combattre… ».

Ainsi, le début de notre v7 se comprend comme suit : « Il [Dieu] est Celui qui te révèle l’Écrit [c.-à-d. le Coran] dont les versets sont explicites/muḥkamât ». Il faut ici observer qu’en ce segment l’emploi de la construction « min-hu/de lui » pourrait se comprendre conformément à ce que la lecture classique propose par certains/min versets de lui/hu [le Coran] sont explicites/muḥkamât,. Mais, par ailleurs, il est indiqué que le Coran en sa totalité est explicite/muḥkam : « alif, lâm ; râ’ – Écrit/kitâb, dont les versets sont rendu explicites/uḥkimat et de plus/thumma détaillés/fuṣṣilat de la part d’un Sage parfaitement informé. », S11.V1.[4]  Se trouve ainsi justifiée la seule traduction cohérente possible : « l’Écrit dont les versets sont explicites ». Comme nous le verrons, ce constat littéral sera confirmé par la deuxième occurrence du syntagme min-hu/de lui/le Coran en notre v7.

2- Le terme mutashâbihât est le participe passé féminin pluriel de la forme VI tashâbaha signifiant se ressembler l’un l’autre et, de là : être facile à confondre. Les dictionnaires donnent donc pour mutashâbih le sens de ressemblant, sens que nous retrouvons indiscutablement en six versets du Coran : S2.V70 ; S2.V118 ; S6.V99 ; S6.V141 ; S13.V16 ; S39.V23. Mais, en notre verset, ce sens ne peut être retenu, car l’on ne voit pas quel intérêt auraient ceux qui « qui ont au cœur une inclination vers l’égarement » à vouloir « trouver une interprétation » aux versets qui se ressemblent puisque l’interprétation de l’un serait nécessairement semblable à l’interprétation de l’autre ! Cet embarras textuel a mené la traduction standard à formuler le très maladroit « d’interprétations diverses/mutashâbihât ». En cela, elle est fidèle aux nombreux équivalents qui ont été proposés par les commentateurs, et les traducteurs à leur suite : versets ambigus, équivoques, prêtant à confusion, douteux, etc. Cependant, comme nous l’avons noté précédemment, le Coran se définit lui-même comme un « Écrit/kitâb dont les versets sont rendus explicites », S11.V1. Cet aspect essentiel de la communication divine est souligné à plusieurs reprises : rien qui n’y soit tortueux/’iwaj, S18.V1 ; rien qui n’y soit douteux S2.V2 ; rien de contradictoire/ikhtilâf, S4.V82. Bien au contraire, il se dit livre explicite/mubîn, S12.V1, en une langue claire/mubîn, S26.V195.[5] Selon ce paradigme coranique, sachant qu’en notre v7 certains/ukhar versets sont qualifiés différemment, l’on ne peut donc admettre que des versets soient dits  équivoques puisque les parties doivent avoir la même qualité que celle assignée au tout, lequel est explicitement qualifié d’explicite. Mais, il est aussi indiqué que ces versets pourtant explicites peuvent être exploités d’une manière que l’on suppose fallacieuse par ceux « qui ont au cœur une inclination vers l’égarement ». Compte tenu de l’ensemble de ces données, la seule explication cohérente possible est la suivante : ces versets du Coran dits mutashâbihât ne sont pas équivoques en eux-mêmes, mais conformément à une signification du participe mutashâbihât sembleraient seulement être équivoques.[6] La première phrase du v7  se comprend donc comme suit : « Il [Dieu] est Celui qui te révèle l’Écrit dont les versets sont explicites/muḥkamât et sont le principe du Livre/umm al–kitâb[7] alors que certains sembleraient équivoques/mutashâbihât ».

La Révélation reconnaît là les limites de la langue qu’elle utilise comme véhicule d’expression : toute langue, fût-elle l’arabe,[8] est potentiellement polysémique, ambiguë, équivoque, d’où interprétable, et ce, quand bien même le Coran délivre de principe un message explicite/muḥkam. Il y aura donc nécessairement des versets dont les contraintes sémantiques de la langue arabe permettront une interprétation intentionnelle. Cette possibilité est cependant loin d’être générale puisqu’elle suppose auparavant une intention particulière : « aussi, ceux au cœur déviant s’attacheront à ce qui semble équivoque/mâ tashâba en lui/min-hu [le Coran] [9] par désir//ibtighâ’a séditieux/al–fitna » Cependant, ce ne sont que « ceux au cœur déviant » qui « s’attacheront » aux versets semblant équivoques selon leurs opinions. Leur objectif est de plus décrit : « par désir séditieux », ce qui ne relève pas de la simple activité spéculative intellectuelle interprétative et sauve de principe les exégètes-interprétateurs qui, de fait, étaient paradoxalement condamnés par la compréhension classique de ce verset, nous l’avions souligné.[10] Quoi qu’il en soit, ces données littérales relativisent donc encore plus le rôle des limites linguistiques de l’explicité dans l’interprétation, limites que le Coran reconnaît tout de même à la formulation coranique en langue arabe.

3- Le terme ta’wîl dans le Coran peut signifier interprétation, notamment concernant Joseph et l’interprétation des rêves. Cependant, interprétation est ici synonyme de signification réelle du signe, sens que ta’wîl conserve en toutes ses occurrences coraniques. En effet, ce terme connote étymologiquement la notion de finalité, mais aussi de retour à l’origine. S’agissant d’un texte, ceci correspond à l’intention de l’auteur : son vouloir-dire, le ta’wîl est donc le sens voulu, littéralement le sens premier, linguistiquement : le signifié, et selon notre méthodologie le Sens littéral. Or, une telle signification met en lumière la problématique suivante : l’on ne peut admettre que « ceux au cœur déviant » s’attachent « à ce qui en semblerait équivoque » par désir/ibtighâ’a de trouver le ta’wîl des versets. En effet, cela supposerait qu’ils ne suivent pas leur intention séditieuse/fitna, mais recherchent le vrai sens du texte/at–ta’wîl, ce qui serait le contraire de leur objectif ! Il convient donc pour rétablir la logique du propos de comprendre la deuxième occurrence de ibtighâ’a en ce verset selon une autre de ses significations : dépassement. Le segment en question s’entend donc ainsi : « …Aussi, ceux au cœur déviant s’attacheront à ce qui en semblerait équivoque/mâ tashâba par désir/ibtighâ’a séditieux/al–fitna et dépassement/ibtighâ’a de son sens premier/ta’wîl ».

– La suite du verset se comprend alors aisément : « Mais ne connaissent son sens premier/ta’wîla-hu[11] que Dieu et ceux qui s’enracinent en la connaissance. Ils disent : Nous y croyons, il émane entièrement de notre Seigneur ; ne se le rappellent  que les hommes de raison ! » La première partie du verset dénonçait la tendance d’âmes mal intentionnées à vouloir dépasser par le biais de l’interprétation le sens voulu par le Coran. Aussi, est-il logique que soit à présent  souligné, qu’à l’inverse, « ceux qui s’enracinent en la connaissance », c’est-à-dire ceux qui  approfondissent leur écoute et leur réflexion du Coran, dépassant en cette démarche leurs propres tendance herméneutique à l’interprétation, puisse en saisir le « sens premier/ta’wîl ». Par le témoignage qu’il leur est alors prêté : « nous y[12] croyons, il émane entièrement de notre Seigneur », ils attestent que « les hommes de raison » acceptent ce que le Coran dit au nom de Dieu, c’est-à-dire son sens premier/ta’wîla-hu. Ce faisant, ils renoncent à vouloir fléchir le sens du Coran en l’interprétant selon leurs opinions.

Bien évidemment, en fonction de l’interprétation défendue par l’exégèse classique, il a été retenu un découpage particulier de ce passage : « alors que nul n’en connaît l’interprétation/ta’wîl, à part Allah. Et les enracinés en la Science disent, etc. » Ce simple « point/. » après « Allah » introduit par les traductions, ou par une marque d’arrêt de récitation suscrite dans le verset, produit un renversement de signification. En effet, puisqu’ainsi seul Dieu connaîtrait le sens du Coran, alors les hommes auraient toute légitimité à l’interpréter à leur guise. Par ce procédé, ce verset qui condamne l’interprétation comprise comme moyen de dépasser le sens littéral au service d’opinions personnelles devient-il paradoxalement la preuve légitimant l’activité interprétatrice des hommes ! Plus, paradoxe du paradoxe, selon cette lecture même, Dieu, en Sa volonté de communiquer aux hommes Son message, aurait finalement révélé un Texte dont le sens reçu ne serait que le fruit de l’interprétation humaine !

Au final, le sens littéral de S3.V7 s’entend-il comme suit : «  Il [Dieu] est Celui qui te révèle l’Écrit dont les versets sont explicites/muḥkamât et sont le principe de l’Ecrit/umm al–kitâb alors que certains sembleraient équivoques/mutashâbihât. Aussi, ceux qui ont à l’esprit quelques déviances [13] s’attacheront à ce qui en semblerait équivoque/mâ tashâba par désir/ibtighâ’a séditieux/al–fitna et dépassement/ibtighâ’a de son sens premier/ta’wîlu-hu. Mais ne connaissent son sens premier/ta’wîlu-hu que Dieu et ceux qui s’enracinent en la connaissance. Ils disent : Nous y croyons, il émane entièrement de notre Seigneur ; ne se le rappellent que les hommes de raison ! »

 

Conclusion

L’Analyse littérale aura montré que ce verset si souvent cité pour justifier l’activité interprétative de l’Exégèse a lui-même été dévié de son Sens littéral par interprétation. Contrairement à l’idée reçue et admise, le Coran ne se décrit donc pas lui-même comme étant composé de versets explicites/muḥkamât et de versets équivoques/mutashâbihât, mais comme ne présentant que des versets explicites même si les limites de toute langue peuvent faire que certains versets « sembleraient équivoques/mutashâbihât ». Ce sont donc les hommes qui selon leurs intentions exploitent les limites d’expression de la langue coranique et s’intéressent ainsi à ces versets qui « sembleraient équivoques/mutashâbihât » afin de détecter prétendument des ambiguïtés donnant prise à l’interprétation qu’ils recherchent.[14]

Ceci explique qu’en ce verset l’activité interprétatrice soit jugée péjorativement, telle une démarche factieuse : « par désir/ibtighâ’a séditieux/al–fitna ».  À l’inverse, ceux  « qui s’enracinent en la connaissance » sont ceux qui s’efforcent de lutter contre leur propre tendance à interpréter afin de déterminer le sens voulu/ta’wîl par Dieu. La véritable opposition exprimée en ce verset ne concerne donc pas les termes-clefs muḥkamât et mutashâbihâ, mais ceux qui veulent interpréter le Coran en regard de ceux qui utilisent leur raison pour comprendre et accepter « son sens premier/ta’wîl » et leur foi pour accepter ce sens littéral du Coran.

Dr al Ajamî

 

[1] S3.V7 :

 هُوَ الَّذِي أَنْزَلَ عَلَيْكَ الْكِتَابَ مِنْهُ آَيَاتٌ مُحْكَمَاتٌ هُنَّ أُمُّ الْكِتَابِ وَأُخَرُ مُتَشَابِهَاتٌ فَأَمَّا الَّذِينَ فِي قُلُوبِهِمْ زَيْغٌ فَيَتَّبِعُونَ مَا تَشَابَهَ مِنْهُ ابْتِغَاءَ الْفِتْنَةِ وَابْتِغَاءَ تَأْوِيلِهِ وَمَا يَعْلَمُ تَأْوِيلَهُ إِلَّا اللَّهُ وَالرَّاسِخُونَ فِي الْعِلْمِ يَقُولُونَ آَمَنَّا بِهِ كُلٌّ مِنْ عِنْدِ رَبِّنَا وَمَا يَذَّكَّرُ إِلَّا أُولُو الْأَلْبَابِ

2] Cette théorie n’est pas si récente qu’on le pense, car en un hadîth parfaitement apocryphe l’on a anciennement prêté à Alî le propos suivant : « Le Coran ne parle pas, ce sont les hommes qui le font parler. » Ce n’est pas anodin, et le sunnisme, ici directement sous l’influence du shiisme, a récupéré au service de sa volonté d’interprétation ce blanc-seing délivré par celui dont on a fait la référence en la matière.

[3] Par exemple : « alif ; lâm, râ’ – Voici les versets de l’Écrit explicite/mubîn. », S12.V1.

[4] S11.V1 : « الر كِتَابٌ أُحْكِمَتْ آَيَاتُهُ ثُمَّ فُصِّلَتْ مِنْ لَدُنْ حَكِيمٍ خَبِيرٍ » Plusieurs découpages syntaxiques sont possibles, mais nous n’avons pas mis de virgules pour laisser s’exprimer dans la traduction cette latitude. Signalons que la traduction standard a produit une traduction très surinterprétée : «  Alif. Lâm. Râ’. C’est un Livre dont les versets sont parfaits en style et en sens, émanant d’un sage, Parfaitement Connaissant. » ! Cette compréhension ne permet absolument pas de faire le lien terminologique avec S3.V7, ce qui n’est pas dû au hasard.

[5] En Les cinq postulats coraniques du sens littéral, nous avons détaillé ces points, lesquels constituent les trois premiers postulats coraniques de notre méthodologie d’Analyse Littérale du Coran.

[6] Ce sens est  conforme aux règles régissant en arabe la dérivation verbale. En effet, la forme VI peut exprimer le fait de faire semblant de et, comme la racine shabaha signifie comparer l’un à l’autre, l’on obtient pour le participe passé mutashâbih : qui semble être ressemblants, donc ici qui semble être équivoques. L’on retrouve un emploi équivalent au verset suivant : « Et fais belle annonce à ceux qui croient et œuvrent en bien : ils auront des jardins au pied desquels coulent les ruisseaux. Toutes les fois où il leur sera octroyé des fruits comme subsistance, ils diront : Voilà ce que l’on nous attribuait auparavant. Mais ce qui leur en sera donné n’est que ce qui semble en être/mutashâbihan. Ils auront là pure compagnie, et ils y séjourneront. », S2.V25. En ce verset, la description des “réalités” paradisiaques est modulée, et il ne s’agit pas de dire qu’au Paradis il sera donné aux heureux élus des fruits semblables à ceux qu’ils consommaient sur terre, mais que ce « n’est que ce qui semble en être/mutashâbihan ». Cette nuance exprime le rapport analogique entre les bienfaits paradisiaques et terrestres.

[7] En fonction du sens donné à ce verset, et ici au terme muḥkamât, la locution umm al–kitâb a été diversement comprise : partie-mère du Livre, Mère du Livre, Prototype céleste du Livre, base du Livre, essence du Livre. D’une part, la principale signification figurée de umm est principe et, d’autre part, puisqu’il est question de la totalité révélée du Coran, aucune de ces propositions ne fait vraiment sens. Par contre, la locution « principe/umm de l’Écrit » indique bien que le Coran/l’Écrit/al–kitâb est de principe explicite, sujet premier de ce verset. Pour les différents emplois du terme kitâb, voir : Le terme kitâb sans le Coran.

[8] Il ne s’agit pas là d’une critique de la langue coranique, l’arabe parlé par Muhammad étant à cette époque une langue archaïque et fortement polysémique. Mais, d’une part, nous soulignons les limites linguistiques générales et, d’autre part, nous nous appuyons sur un constat directement issu de l’analyse littérale. Constat hors toute polémique ou apologétique, l’arabe n’est pas une langue parfaite ou pure qui serait descendue du ciel, mais une langue née de la terre des hommes.

[9] Effectivement, en min-hu, le pronom « hu » représente le kitâb/l’Écrit/le Coran et non les versets/âyât, car en ce cas l’accord grammatical aurait été min-hâ.

[10] Confer la conclusion du chapitre • Que dit l’Islam.

[11] En cette deuxième occurrence successive, nous retrouvons le pronom « hu » qui qualifie le Coran et non les versets semblants équivoques.

[12] Syntaxiquement, en « nous y/bi-hi croyons » le pronom « hi » pourrait représenter Dieu : « nous croyons bi-hi/en [Dieu], ou le sens premier ou le Coran. Mais, le sujet n’est pas ici à la foi en Dieu, de même on ne croit pas au sens premier, lequel relève d’un acte de raison : « les hommes de raison » et non d’un acte de foi. Le pronom « hi » se rapporte donc au Coran, car il s’agit bien là d’un acte de foi du reste exprimé alors à nouveau par le complément : « il émane entièrement de notre Seigneur ».

[13] Du point de vue traductionnel, nous avons ici remplacé la formule mot à mot « ceux au cœur déviant » par « ceux qui ont à l’esprit/qalb quelques déviances/zaygh ». En effet, dans le contexte purement intellectuel de ce verset, le terme qalb signifiant aussi bien cœur que esprit, il est plus judicieux de retenir cette deuxième signification.

[14] Très concrètement, nous avons maintes fois noté dans les milieux islamologiques plaidant pour de nouvelles interprétations du Coran que l’on affirmait d’abord que tel verset était obscur, incompréhensible en l’état, afin de pouvoir ensuite l’interpréter librement. En quelque sorte, prétendre à l’obscurité pour faire sa lumière…