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La basmala de la Sourate 9 ; at–tawba : Le Repentir

Ce que l’on peut nommer « l’affaire de la basmala » ou le « mystère de la basmala disparue » n’a jamais été résolu de manière sûre et, depuis mille ans, il nous faut nous contenter d’explications qui en réalité obscurcissent la question plus qu’elles ne l’éclairent. Comme nous le constaterons, l’acceptation de ses hypothèses relève bien plus de la foi que de la raison. Pour autant, le fait est connu de tous, la Sourate 9 est la seule sourate qui de manière fort curieuse ne débute pas par la basmala, formule signifiant « Au nom de Dieu, le Tout-Miséricorde, le Tout Miséricordieux ». Comment comprendre ce fait ? Quelles réponses l’analyse du texte coranique peut-elle fournir ?  Nous rappellerons donc dans un premier temps les propositions classiques et les soumettrons à la réflexion critique. Puis, nous résoudrons la problématique à partir d’éléments et de données textuelles coraniques concernant la composition et la thématique des sourates 8 et 9.

 

• Que dit l’Islam

Traditionnellement, plusieurs lignes argumentatives ont été proposées pour expliquer l’absence de la basmala en en-tête de la Sourate 9 :

1 – Le Prophète n’aurait pas indiqué aux Compagnons de réciter la basmala au début de la Sourate 9. Il aurait donc été fidèlement transmis cet état de fait.

2 – D’après Ibn ‘Abbâs l’on a rapporté que la Sourate 9 ayant été révélée à peine trois mois avant le décès du Prophète alors que la Sourate 8 était parmi les premières révélées à Médine. Le calife Uthman pensa que le propos de ces deux sourates se ressemblait et qu’il convenait de les réunir [sic.], mais comme le Prophète n’aurait pas eu le temps de préciser la mention de la basmala en en-tête de cette sourate, Uthman décida de maintenir son idée, mais sans mettre la basmala.[1]

3 – La basmala ne figure pas en en-tête de la Sourate 9, car celle-ci prescrit le recours à l’épée alors que la basmala est un message de paix.

4 – Les Arabes avaient pour habitude lorsqu’ils rompaient un traité de paix de ne pas faire précéder de la basmala ladite déclaration. Or, la Sourate 9 annonce une rupture de pacte entre le Prophète et les polythéistes.

5 – Par rapport au classement décroissant du Coran, la Sourate 8 était trop longue, 204 versets, il fut donc décidé de la couper en deux parties et ainsi de générer la Sourate 9. Mais cette opération ayant fait l’objet de contestations, la commission de ‘Uthman décida de ne pas mettre la basmala en en-tête de la deuxième partie afin de signaler ladite coupure.

6 – Les Compagnons ont hésité quant à savoir si la Sourate 8 et la Sourate 9 ne constituaient pas une seule et même sourate. Dans le doute, il se sont abstenus d’acter la séparation en ne faisant pas figurer la basmala.

7 – L’absence de la basmala résulterait d’une erreur de copiste ou bien la Sourate 9 se présentant d’elle-même comme une proclamation émanant de Dieu, la basmala était superflue.

De prime abord, il est évident que l’ensemble de ces propos ne relève que d’un constat de fait. Autrement dit, ces informations sont postérieures aux évènements ayant mené à cette anomalie apparente. Or, il nous est possible d’aborder le sujet selon trois angles différents : critique des sources ; cohérence des propositions, les faits coraniques.

a – Critique des sources

Aucun des propos que nous avons résumés ci-dessus n’a été dûment authentifié. L’on peut en déduire que les compilateurs de hadîths n’ont pas tenu à prendre parti pour telle ou telle opinion. L’on peut constater que Boukhari, alors même qu’il est le seul spécialiste du Hadîth qui ait consacré un important volume à l’exégèse du Coran, ne mentionne absolument pas l’absence de basmala en en-tête de la Sourate 9.

bCohérence des propositions

 – Nous ferons observer en premier lieu que cette diversité d’avis signe la difficulté à expliquer à un moment donné cette absence notable de la basmala. L’incertitude qui en résulte n’a donc jamais permis de trancher la question, mais a par contre laissé perdurer la situation. Les propositions 1 et 2 sont contradictoires entre elles. Par ailleurs, dans le cas où le Prophète aurait lui-même enseigné le recours à la basmala en tant que marqueur-séparateur des sourates, alors il devait le faire dès le début d’une série de révélations qui allaient devenir constitutives d’une nouvelle sourate. En effet, il n’est pas concevable que le Prophète ait transmis129 versets, s’agissant de la Sourate 9, sans avoir d’abord précisé par l’indication de la basmala initiale qu’il s’agissait d’une nouvelle sourate. Il n’était pas possible de mémoriser des informations successives sans avoir d’indications permettant de les classer en telle ou telle sourate. Si la Sourate 9 avait existé en tant que sourate indépendante, alors le Prophète aurait indiqué la mention de la basmala dès ses premiers versets révélés. Il est donc incohérent que Uthman ait pu penser que les sourates 8 et 9 aient été deux sourates indépendantes, révélées qui plus est à sept années de distance, sans que le Prophète n’ait jamais indiqué ce fait. Ceci étant, puisque ce propos attribué à Ibn ‘Abbâs fait référence au travail de la commission de Uthman chargée sous sa houlette de mettre par écrit le Coran, nous rappellerons que nous avons largement démontré que ledit comité de travail n’a jamais existé.[2]

– La proposition 3 est une tentative maladroite d’explication, car la basmala figure en en-tête de la Sourate 8 alors même que celle-ci à partir du v56 traite déjà de la rupture d’un pacte. Cependant, l’idée sous-jacente de ce type d’explication est bien que la Sourate 9 serait une “sourate de guerre”. En effet, nous le verrons plus avant, en réalité c’est bien une volonté exégétique déterminée à orienter vers la guerre ces versets qui a amené à les séparer de la Sourate 8 afin de les décontextualiser, ce qui de facto généra une nouvelle sourate. Or, notre analyse littérale montre que cette sourate au contraire témoigne des immenses efforts déployés par le Prophète pour maintenir la paix en évitant préventivement le combat.

– La proposition 4 n’a aucun fondement historique et, bien au contraire, il ressort de l’épigraphie et des études interreligieuses comparées que la basmala n’a été en usage qu’à partir du Coran. De plus, l’on aura noté que cette fiction est circulaire, elle ne sert qu’à valider l’hypothèse 3 qu’elle utilise à titre de prémisse.

– La proposition 5 dit une chose vraie et une autre fausse et elle se contredit elle-même. Elle nous apprend qu’à l’origine les sourates 8 et 9 n’en formaient qu’une seule, ce que nous confirmerons plus avant par l’étude de la composition des sourates 8 et 9. Par contre, il est affirmé que c’est du fait que ce bloc S8-S9 eut égard au classement par ordre décroissant était de longueur trop importante ce qui amena à en faire deux sourates. Or, ce propos est incohérent, car il aurait été bien plus logique en ce cas de placer cette sourate 8-9 soit avant ou après la Sourate 4 de longueur sensiblement égale, soit après la Sourate 2. De plus, il résulte de cette opération que la Sourate 8 est alors plus courte que la sourate 9, ce qui crée un problème identique à celui que l’on voulait supposément résoudre ! Ceci explique aussi qu’il ait été proposé par certains de réguler le rang de classement de ces deux sourates et de les insérer bien plus bas dans le classement. Par ailleurs, le classement par ordre décroissant n’est pas aussi régulier qu’il y paraît puisque par exemple la Sourate 3 est plus courte que la Sourate 4, là aussi nous reverrons plus avant cette problématique. Nous ajouterons que si l’on avait voulu scinder le bloc S8-9 pour de simples raisons de décroissance, alors pourquoi ne pas avoir coupé numériquement en deux cette sourate, c.-à-d. aux alentours de l’actuel v47 de ce qui est devenu la Sourate 9 ? Autrement dit, la césure au v75 de ce qui est devenu la Sourate 8 n’est pas liée au hasard et nous constaterons qu’effectivement ce choix de coupure est intentionnel et correspond à un besoin précis de manipulation exégétique du sens. En outre, comme le Prophète ne pouvait pas se tromper à ce point, c’est donc bien ici la preuve que le classement des sourates a été est décidé après lui. Nous justifierons ci-devant sous un autre aspect ce point important.

– La proposition 6 stipule que dans le doute les Compagnons ont décidé de ne pas mettre la basmala en tête de la Sourate 9 qu’il venait de générer en fonction des critères dont nous avons montré ci-dessus l’infondé. C’est donc bien l’aveu de la part de l’auteur de cette hypothèse que la basmala était un ajout textuel sans lien avec la révélation. Lors de notre analyse de la Fâtiḥa, nous avons effectivement démontré que si ce que l’on appelle la basmala : « Au nom de Dieu, le Tout-Miséricorde, le Tout Miséricordieux » était réellement le premier verset de cette sourate, elle était par contre un ajout en en-tête de toutes les autres sourates. L’emploi de la basmala pour marquer le début d’une sourate n’a donc pas été enseigné par le Prophète comme nous venons de le montrer au point précédent, cette pratique n’est apparue que lors de la mise par écrit des premiers codex/muṣḥâf.[3]

– La proposition 7 émane des milieux islamologiques. La première hypothèse suppose l’existence d’une caste de scribes qui, à la différence de ce qui se produisit pour la Bible, n’a en réalité jamais existé dans la période ancienne de la mise par écrit du Coran.[4] Le Coran dès l’origine ayant été transmis oralement et de manière diffuse, sans nécessairement de support écrit, une erreur de copiste n’aurait donc eu aucune possibilité de se propager. La deuxième hypothèse n’est pas plus cohérente, car le fait que le premier verset d’une sourate soit en lui-même une proclamation ne suffit pas à expliquer l’absence de basmala en début de sourate, pour preuve la Sourate 96 dûment nantie d’une basmala.

– De cette analyse des affirmations classiques, il ressort quelques faits essentiels. 1- L’existence même de l’entité textuelle nommée Sourate 9 a été sujette à caution. 2- La décision de mettre ou non la basmala en en-tête de sourate était pour les uns du domaine des compétences humaines et pour d’autres ne pouvait se faire que sur une indication émanant du Prophète. 3- Ce problème ne s’est posé que concernant ladite sourate.

c – les faits coraniques

Nous entendons par là l’histoire et la traçabilité de la mise par écrit du Coran, les données textuelles coraniques proprement dites faisant l’objet du chapitre II : Que dit le Coran. Or, l’étude des plus anciens codex connus à ce jour permet de réduire notre champ de recherche. En effet, dans le codex dit Parisino-petropolitanus étudié par le codicologue François Déroche et constitué quelques décennies après le décès du Prophète, l’on note l’absence de basmala en en-tête de la Sourate 9. Par contre dans les manuscrits dits de Sana’a étudiés par Sadeghi et Goudarzi, de datation sensiblement égale, l’on constate la présence de la basmala en en-tête de la Sourate 9. Enfin, concernant de même ces fameux palimpsestes de Sana’a, l’islamologue Asma Hilali a notamment mis en évidence l’existence d’un manuscrit avec présence de la basmala au début de la Sourate 9, mais où figure de la part de l’enseignant et à l’adresse de son élève une annotation en marge disant : ne la prononce pas. Ces trois données prises conjointement nous apprennent que dès avant la fin du Ier siècle de l’Hégire la formation indépendante de la Sourate 9 était actée et que la basmala y avait été fort probablement adjointe lors de cette opération de découpage. Cependant, il y avait clairement un débat chez les spécialistes de la transmission écrite du Coran comme le signale la mention « ne la prononce pas » et que se dessine là une sorte de modus vivendi admettant la césure de la Sourate 8 et la formation d’une sourate alors comptée 9, mais en enseignant de ne pas lire cette basmala cela permet d’enchaîner dans la lecture la Sourate 8 et la Sourate 9 comme s’il s’était agi d’une seule et même entité textuelle. Ce n’est donc sans doute qu’à partir du IIe siècle que la solution actuelle : la lecture séparée de ces deux sourates plus l’absence de basmala, aura été canonisée. En somme, il était admis que la Sourate 9 résultait d’une coupure de la Sourate 8 opérée au niveau de son v76. L’on déduit aussi de ces manuscrits que la présence ou l’absence de basmala dépendait de la volonté des opérateurs et non d’un supposé enseignement du Prophète, cf. note 3. L’absence de basmala en en-tête de la Sourate 9 est donc uniquement comme la trace en creux, la cicatrice, d’une opération de découpage de ce qui à l’origine était la Sourate 8 composée de 204 versets.

Le problème peut alors être posé différemment : Quelles raisons ont amené à détacher de la Sourate 8 une partie du texte coranique ? La réponse peut nous être fournie par le Coran lui-même.

 

• Que dit le Coran

Quelles informations l’analyse littérale et une approche rationnelle et objective sont-elles à même de nous fournir quant à cette problématique ? Précisons que cette recherche doit nécessairement tenir compte du contenu littéral des sourates 8 et 9 existantes.

I La présente Sourate 9 pose donc plusieurs problèmes qui pour être résolus avec rigueur doivent être envisagés comme suit : 1- ordre de classement ; 2- individualisation ; 3- signification ; 4- absence de basmala ; 5- chronologie. Nous allons répondre point par point à ces interrogations :

1 – Ordre de classement de la Sourate 9

Alors qu’il est admis que les sourates dans le Coran sont classées selon un ordre sensiblement décroissant, cette sourate est pourtant classée neuvième bien qu’elle soit deux fois plus longue que la Sourate 8. Inversement, vu la brièveté de la Sourate 8 (10 pages standardisées), celle-ci aurait dû être placée après la Sourate 12 (13 p. stand.). De même, la sourate 9 (21 p. stand.) aurait dû être située après la Sourate 7 (26 p. stand.).  Plus encore, le fait que la Sourate 8 ne couvre que 10 pages alors que la Sourate 9 en comprend 20 est une anomalie notable qui doit donc être expliquée. Pour comprendre avec cette problématique, quelques informations sont nécessaires :

– Lorsqu’on parle de la longueur d’une sourate, celle-ci n’est pas déterminée par le nombre de versets la composant puisque ceux-ci vont de quelques mots à quinze lignes pour le plus long. L’estimation de la longueur d’une sourate repose donc sur la quantité de texte et, en pratique, pour que ce calcul soit précis, cela nécessite une standardisation de la taille de l’écriture et des pages ainsi que du nombre de lignes par feuillet. Or, si le classement décroissant des sourates du Coran est très ancien, attesté physiquement dès la deuxième moitié du VIIe siècle de l’Hégire, à cette époque l’écriture manuscrite était irrégulière, le nombre de lignes par pages inconstant et la taille des feuillets quasiment différente pour chaque exemplaire manuscrit du Coran. De plus, il était très fréquent que les antiques codex soient écrits à plusieurs mains, pratique ne pouvant être qu’un facteur d’irrégularité quantitative. À signaler aussi que les scribes jouaient pour plusieurs raisons sur l’allongement des finales de versets et que plus une sourate comprenait de versets, plus elle pouvait ainsi apparaître graphiquement longue. À l’inverse, et pour les mêmes raisons, un scribe pouvait contracter l’écriture de certains mots. Ce n’est donc qu’à partir des Ottomans que l’on assiste à une standardisation de la mise en page du texte coranique selon un principe quasi constant à l’heure actuelle : chaque page est composée de quinze lignes et toutes commencent par le début d’un verset et s’achèvent par la fin d’un autre, exercice typographique qui malgré tout oblige là aussi à des allongements et des raccourcissements de finales ou de mots. Toutefois, cette disposition typographique est la plus fiable dont nous disposons concernant la longueur des sourates. Seul le comptage des lettres ou des phonèmes pourrait peut-être affiner ce type de classement, mais concrètement cela n’aurait d’utilité que pour celui qui voudrait proposer un classement des sourates différent, ce qui à vrai dire ne présente guère d’intérêt du point de vue de l’analyse littérale du Coran.[5]

Ces quelques faits expliquent qu’à une époque initiale et durant plusieurs siècles la détermination de la taille réelle des sourates ne pouvait être qu’approximative. En conséquence, l’on observe de manière générale des anomalies quantitatives dans l’ordre de classement traditionnel. À titre d’exemple, tel est le cas de la Sourate 3 (27 p. stand.) et de la Sourate 4 (29 p. stand.) plus longue donc que sa précédente, mais classée à sa suite. De même pour la Sourate 7 quantitativement plus importante que la Sourate 6. Nous en conclurons qu’il n’y a donc pas à tenir compte d’une certaine irrégularité dans le classement par ordre décroissant des sourates du Coran, ces imprécisions provenant des conditions de réalisation des anciens codex coraniques que nous avons évoquées et non de quelconques secrets ou subtilités de composition thématique. Quoi qu’il en soit, les décalages de classement des sourates dites longues que l’on peut constater sont relativement minimes, ce qui n’explique donc pas que la Sourate 8 ne couvre que dix pages standardisées alors que la Sourate 9 en comprend vingt et une. Par contre, le bloc de texte S8-S9 représente un peu moins de trente pages standardisées (en-tête de S9 et allongements techniques déduits) et il est alors évident qu’il aurait naturellement sa place à la suite de la Sourate 7. De la sorte serait respectée la cohérence du classement décroissant des sourates dans le Coran bien que la Sourate 7 ne compte que vingt-six pages standardisées puisque, nous l’avons justifié ci-dessus, le nombre de pages n’est pas un critère très précis et que cet écart de quatre pages est ainsi dans la norme de variabilité constatée dans le classement coranique des sourates. En conclusion, selon la méthodologie de classement reconnue par la tradition exégétique, l’ensemble de ces observations indique quantitativement qu’à l’origine les sourates 8 et 9 ne constituaient qu’une seule et même sourate.

2 – Individualisation de la Sourate 9

L’analyse littérale du texte et l’étude de la composition des Sourates 8 et 9 fournissent des éléments essentiels confirmant à la fois l’unité initiale de ces deux sourates et les raisons ayant conduit l’Exégèse à les séparer, les individualiser.

– Concernant la Sourate 8, nous avons montré qu’elle est constituée d’une introduction, vs1-4, puis de deux parties distinctes. La Partie I, vs5-54, est en lien avec l’évènement de la bataille de Badr, ses causes et ses enseignements. La Partie II, vs55-75, est par contre relative au fameux traité de Ḥudaybiyya signé entre le Prophète et Quraysh. Il y est rappelé la nécessité d’en respecter les clauses et, en opposition, sa violation unilatérale par les qurayshites et leurs alliés. Cependant, la Partie II est bien plus brève que la Partie I, ceci alors que l’étude de la composition du Coran montre de manière constante que les différentes parties d’une même sourate sont relativement de même longueur. Par ailleurs, l’on note que la Sourate 8 n’a pas de conclusion textuellement identifiable. Or, lorsqu’une sourate possède une introduction littéralement et thématiquement objectivable, l’on note aussi qu’elle présente toujours une conclusion non seulement en rapport avec le thème principal, mais aussi avec la portée profonde de l’introduction. Il convient donc de garder à l’esprit ces anomalies touchant la Sourate 8.

– Concernant la Sourate 9, outre le fait bien évidemment qu’elle ne débute pas par la basmala, ce sur quoi nous reviendrons, l’on observe qu’elle ne commence pas par une introduction thématiquement identifiable. Cependant, nous l’avons indiqué, toutes les sourates assez longues débutent par une introduction. Ainsi, le propos de la Sourate 9 débuterait abruptement par une révocation/barâ’a de traité, thème qui de plus se poursuit directement jusqu’au v24 et s’étend en ses conséquences jusqu’au v37 sans que l’on sache pour autant en quel contexte précis cela se déroule ou de quel ou quels traités il s’agirait. Au regard de la rigueur compositionnelle des longues sourates que nous avons systématiquement constatée, cette exception pour S9 n’est guère justifiable. Autre anomalie, la Sourate 9 possède une conclusion, vs128-129, alors même qu’elle n’a pas d’introduction et que, nous l’avons signalé, toute conclusion d’une sourate est en lien avec son introduction. Or, l’analyse littérale montre que cette conclusion de S9 fait écho à l’introduction de la Sourate 8. Tout se passe donc objectivement comme si ces deux sourates ne formaient qu’un seul et même ensemble. Dès lors que l’on admet cette cohésion, il devient aisé de comprendre pourquoi l’on ne note pas d’introduction en tête de la Sourate 9. En effet, l’on constate que les vs1-24 de S9 constituent un chapitre faisant directement suite aux derniers versets de S8, vs72-75. Ces versets appartiennent au Chapitre II de la Sourate 8 qui traite du respect des clauses du traité de Ḥudaybiyya lequel est le thème unique de la Partie II de cette sourate.  Le Chapitre I, vs55-66, de cette même Partie II ayant envisagé la transgression dudit traité par Quraysh et la structure dialogique étant ici alternante, il est alors tout à fait logique que les premiers versets de S9 soient relatifs à la révocation de ce traité de Hudaybiyya, rupture décidée et édictée par Dieu en conséquence des violations répétées de ce pacte de la part des qurayshites et de leurs alliés. Ce constat basé sur l’étude de la composition de S8 et S9 confirme qu’à l’origine le propos coranique faisait sens au sein d’une unique entité. Ceci justifie donc qu’afin de restituer thématiquement et visuellement l’unité initiale S8-S9 nous ayons intitulé en notre traduction littérale le début de la Sourate 9 : Chap. III : Révocation du traité de Hudaybiyya ; § 1 : Révocation et proclamation, chapitre qui s’inscrit naturellement dans la continuité de la Partie II de S8.

3 – Signification de la Sourate 9

La conclusion précédente se vérifie aussi à l’inverse, car, de fait, la compréhension du début isolé de S9 a toujours soulevé des difficultés exégétiques, notamment pour identifier quel ou quels traités étaient ainsi rompus. Ceci étant, c’est justement en vue d’une décontextualisation voulue que certains exégètes sont parvenus à imposer cette séparation des sourates 8 et 9, coupure postérieure à la transmission du texte par le Prophète. En effet, ainsi décontextualisés, les premiers versets de cette sourate se sont avérés plus aisément interprétables selon un objectif précis. Coupés de tout contexte, les vs1-5, en particulier, ont alors été compris comme une déclaration unilatérale de guerre de la part de l’Islam, option combative qui, de plus, serait voulue par Dieu : « Dieu est libre de l’engagement envers les polythéistes ainsi que Son messager », v4. Désormais, les musulmans ne seraient plus tenus au seul jihad défensif, mais pourraient arguer d’un jihad offensif et se lancer ainsi à la conquête du Monde. Cette révélation réputée traditionnellement très tardive serait donc censée préfigurer ce qui va se produire du temps de Omar, le deuxième calife, qui à partir de l’an 14 de l’Hégire, à peine plus de deux ans après la mort du Prophète, lança les tribus bédouines à l’assaut des empires byzantin et sassanide. Point d’orgue de cette construction exégétique, le v5, dit “verset du sabre” a été considéré comme abrogeant toutes les édictions coraniques antérieures en faveur de la paix et de la tolérance. Brandi par tous les assoiffés de conquêtes à l’époque de l’Islam impérial ou, actuellement, par les va-t-en-guerre de tous bords, le segment « tuez les polythéistes où que vous les trouviez, saisissez-vous d’eux, assiégez-les, tendez-leur toutes sortes d’embuscades » fut l’étendard du jihad universel et éternel devant mener à la domination finale de l’Islam sur la Terre entière ! Or, en notre traduction littérale de la Sourate 9, nous montrons comment le texte coranique a été trahi par l’exégèse guerrière au service des puissances califales.[6] Cependant, répétons-le, de telles surinterprétations n’ont été rendues possibles que par le fait d’avoir artificiellement décontextualisé et isolé la Sourate 9 en la séparant de ce qui est alors devenu la Sourate 8. Conséquemment, cela permit d’interpréter selon une logique de guerre toute la Sourate 9 et de lui conférer un ton martial et des intentions bellicistes. Ainsi, l’Exégèse mettra-t-elle en scène un Prophète tout occupé en ses dernières années de vie à combattre le monde qui l’entourait, menant de nombreuses razzias et autres excursions, actions militaires marquées par les batailles de Ḥunayn et de Tabuk dont la sourate 9 témoignerait. En réalité, une fois reconstituée la logique de propos du bloc S8-S9, l’analyse littérale montre que le Prophète, à l’opposé de cette vision belliqueuse, mobilisa toute son énergie pour, au contraire, préserver et sécuriser sans combats la paix bédouine qu’il avait obtenue après la prise pacifique de La Mecque. La présentation thématique de la Sourate 9 permet de détailler et de justifier cette noble stratégie du Prophète, laquelle est nettement voulue par son Seigneur.[7]

4 – L’absence de basmala de la Sourate 9

A minima, l’on est en droit de penser que l’absence de basmala en en-tête de la Sourate 9 est la trace d’un évènement ayant concerné cette sourate. Les plus anciens codex coraniques qui nous sont parvenus, globalement situables dans la deuxième moitié du VIIe siècle de l’Hégire, font généralement état de l’utilisation en en-tête de la basmala même si les sourates sont aussi le plus souvent séparées par un trait horizontal et si la basmala est comptée par les copistes en tant que verset ou non. L’absence de basmala concernant uniquement la Sourate 9 est donc d’autant plus remarquable. Toutefois, nous l’avons précisé lors de notre réflexion critique quant aux sources de l’Islam tentant d’expliquer ce qui se présente comme une anomalie, certains codex mentionnent la basmala en en-tête de la Sourate 9. Par ailleurs, plusieurs sources citées par as-Suyûṭî dans son célèbre itqân font état d’avis anciens affirmant que S8 et S9 formaient à l’origine une seule sourate. Même si ces sources ne sont pas plus fiables que celles avancées par les exégètes validant la scission de S8-S9, elles témoignent à tout le moins d’un débat précoce et d’avis divergents. Autrement formulé, ce n’est que si à l’origine S8-S9 était une seule sourate qu’une discussion postérieure sur leur division pouvait avoir eu lieu. Ceci confirme donc ce que l’ensemble des analyses et réflexions menées aux trois paragraphes précédents a mis en évidence : durant les premiers temps de la transmission oro-scripturaire du Coran, les sourates 8 et 9 constituaient une seule et unique sourate.

5- Chronologie de la Sourate 9

Comme nous l’avons explicité, après avoir séparé S8-S9 et ainsi individualisé la Sourate 9, hors tout contexte il devenait plus aisé pour l’Exégèse d’en imposer une lecture combative, voire guerrière. Cette décontextualisation artificiellement générée a permis notamment la surinterprétation du v5 qui devient ainsi le fameux verset du sabre, mais aussi celle de l’intégralité des versets de cette para-sourate alors reliés à une suite ininterrompue de campagnes militaires selon la réécriture de l’histoire prophétique voulue par l’Exégèse.  Pour renforcer la force et la valeur de cette interprétation, l’Exégèse a de même joué sur sa chronologie en classant 113e la Sourate 9 dans l’ordre de révélation, c’est-à-dire juste avant la Sourate 110 classée 114e, dernière révélation donc.[8] Poursuivant son travail de fond, l’Exégèse a majoritairement soutenu que cette sourate 110 annonçait au Prophète son décès proche. Ainsi comprise, cette très brève sourate est peu contributive et le dernier thème développé par le Coran serait donc S9. Elle serait alors comme le testament coranique et l’héritage prophétique qui selon l’interprétation mise en place plaideraient le jihad offensif permanent. En quelque sorte, l’autorisation divine à partir de l’exemple des campagnes militaires supposément menées par le Prophète et, plus encore, une prophétie des conquêtes territoriales que ses successeurs mèneront avec le succès que l’on connaît.

Cependant, notre analyse littérale a mis en évidence que les 37 premiers versets de S9 constituaient la suite logique de la Partie II de S8 et étaient de ce fait sans nul doute en lien direct avec la révocation du Pacte de Ḥudaybiyya. Or, si l’on se fie aux données traditionnelles, les seules disponibles, nous nous situons seulement là dans les débuts de l’an 8 de l’Hégire. De même, nous avons montré que les Parties III et IV de S9 s’inscrivaient dans un cadre faisant suite à la prise pacifique de La Mecque par Muhammad, soit durant le mois de ramadan de l’an 8 selon lesdites sources qui, au vu de l’importance de l’évènement et de son retentissement historique, sont en l’occurrence fort vraisemblables. L’exégèse a donc postdaté la Sourate 9 pour les raisons que nous avons évoquées au paragraphe précédent. Nous avons aussi souligné qu’un certain nombre de passages de S9 étaient éclairés par plusieurs versets de la Sourate 49, sourate que l’Exégèse sans y prêter attention a classée 106e, ce qui génère une incohérence évidente au sein de sa chronologie, mais renforce la nôtre. Incidemment, comme nous l’avons signalé, notre recadrage chronologique annule une hypothèse classique quant à l’absence de la basmala selon laquelle la sourate 9 ayant été révélée sur le tard de sa vie, le Prophète n’aurait pas eu le temps d’indiquer expressément de mentionner la basmala. De même nous faut-il rappeler que l’analyse littérale de la Fâtiḥa met en évidence que c’est à partir des termes du premier verset de cette sourate : « Au nom de Dieu, le Tout-Miséricorde, le Tout Miséricordieux » qu’a été construite la basmala et que l’habitude de la mettre en en-tête des sourates est postérieure à la période prophétique.

II – Composition et thématique de la Sourate 9

Nous nous en sommes à présent largement expliqué, la Sourate 9 n’était à l’origine que la continuité logique de ce qui est devenu par défaut la Sourate 8. Comme il est de règle dans la construction des longues sourates, le bloc S8-S9 apparaît alors composé de quatre Parties de longueurs sensiblement égales. Nous avons donné pour titre à la Partie II de la Sourate 8 : De Ḥudaybiyya, vs55-75, puisque tel est l’unique thème qu’elle envisage. Ce dernier est traité comme suit : le Chapitre I est consacré à la violation du traité de Ḥudaybiyya par les Quraysh ou ses alliés tandis que le Chapitre II rappelle aux musulmans l’obligation du respect de ce pacte de non-agression, une trêve de paix. Cette Partie II se poursuit donc par ce qui n’aurait jamais dû devenir la Sourate 9 et ses 24 premiers versets constituent donc un Chapitre III évoquant alors la révocation de l’accord de Ḥudaybiyya énoncée par Dieu du fait de ses violations incessantes par Quraysh : « Révocation/barâ’a de la part de Dieu et de Son messager envers ceux des polythéistes avec qui vous aviez conclu alliance », v1. De même, le Chapitre IV, vs25-37, s’inscrit avec cohérence dans les conséquences à long terme de la révocation de Ḥudaybiyya, dont l’aboutissement imprévu par ses signataires, hormis sans doute le Prophète, fut la prise pacifique de La Mecque. Il est à noter que ce chapitre nous instruit aussi de ce que la menace résiduelle contre cette paix ne provenait pas que des polythéistes ou des hypocrites Médinois, mais aussi de leurs différents niveaux d’association avec les juifs et les chrétiens : vs29-37. Aussi, cette critique coranique est-elle pleinement contextualisée et sans aucune portée transhistorique. Pour autant, l’Exégèse a su aussi décontextualiser ce sous-thème et est parvenue de la sorte à disqualifier théologiquement ces deux religions et, politiquement, à imposer un statut de dhimmi par l’obligation du versement de la Jizya, deux mesures discriminatives qui ne sont donc en rien coraniques.[9]

Aussi, la Partie III faisant suite, vs38-89, est-elle consacrée à la préservation de la paix acquise par la conquête pacifique de La Mecque. Nous l’avons largement commenté tout au long de notre traduction, contrairement à ce que l’Exégèse imposa rétrospectivement à l’interprétation de ce texte en fonction de ses besoins politiques de conquête, il ne s’agissait pas pour le Prophète d’ouvrir un front incessant de combats contre ses ennemis réels ou supposés. Bien au contraire, le Prophète eut fort à faire afin de mobiliser en permanence ses forces pour parcourir le vaste territoire qui était placé sous son autorité après qu’il eut conquis La Mecque, tel est donc en cette Partie III le thème du Chapitre I : De la mobilisation préventive à Médine, vs38-54. Cette stratégie de maintien de paix par la mobilisation permanente était destinée à prévenir toute velléité de la part de tous ceux qui dans la masse fraîchement ralliée, mais avec fragilité et expectative, attendaient que le Prophète fasse montre de faiblesse ou d’excès de confiance pour se retourner contre lui. Le Chapitre II, vs55-89, indique que les principales difficultés venaient de l’intérieur : les réticences des opposants Médinois qui refusaient sous divers prétextes fallacieux de contribuer à ce qui n’était pas un effort de guerre, mais un effort de paix. Ceci, soit qu’ils n’y voyaient aucun intérêt matériel puisque sans combat pas de butin, soit que certains d’entre eux par hypocrisie de foi voulaient ainsi saper la stratégie du Prophète en espérant sa chute et la fin de son leadership sur Médine, notamment. Puis la Partie IV, vs90-127, rappelle que la duplicité n’était pas que médinoise, mais concernait de même les tribus bédouines que ne s’étaient assujetties à Muhammad que du fait de sa domination sur le Hedjaz après la conquête de La Mecque, tel est le sujet de son Chapitre I, vs90-112. Enfin le Chapitre II, vs113-127, dernier de S8-S9, évoque l’ultime effort de Muhammad pour mobiliser ses fidèles de la première heure au nom de la foi ; de même pour les opposants et les Bédouins, mais de manière logiquement plus pragmatique et, en une perspective plus théologique, le Coran rappelle alors les méfaits spirituels de l’hypocrisie. Puis vient la Conclusion, vs128-129. Comme de règle, elle fait effectivement écho à l’introduction, vs1-4 de la Sourate 8, où le Prophète apparaît comme un homme blessé, dont la sollicitude est trahie par son entourage et tous ceux à qui il prodigue sa bienveillance. Avec pudeur et retenue, ces versets nous dévoilent la souffrance du Prophète que cet effort terrestre pour la paix motive profondément, mais que la petitesse des hommes désespère tout autant. Malgré tout, il reste noble et généreux, sans calcul, sans volonté propre autre que celle de Dieu, son âme totalement abandonnée à Dieu connaît alors extatiquement Dieu : « Il vous est certes venu un messager issu des vôtres, ce que vous souffrez l’accable, il très attentionné à votre égard, il est bienveillant et miséricordieux envers les croyants… Alors, s’ils tournent le dos, dis : Dieu me suffise ! Point de divinité si ce n’est Lui. En Lui je place ma confiance. Il est le Maître du “Trône” incommensurable ! », vs128-129.

 

• Conclusion

Il ressort des nombreux éléments que nous avons mis en évidence que l’absence de la basmala en en-tête de ce que l’on considère être la Sourate 9 résulte de la coupure de ce qui était du temps du Prophète une seule et même sourate, à savoir ce qu’il convient à présent de nommer le bloc S8.S9. Le fait que la basmala ne soit pas ici présente atteste donc de ce découpage imposé au texte coranique, en quelque sorte il s’agit d’une cicatrice, et c’est là sans aucun doute l’action la plus intrusive que les hommes aient réalisée sur la composition du Coran. De même, il est ainsi démontré a contrario que le fait de mentionner la basmala en en-tête de sourates, c.-à-d. en tant que marqueur-séparateur des sourates, est une pratique scribale apparue seulement lors des mises par écrit du Coran, ce bien postérieurement au Prophète. Paradoxalement, l’absence de la basmala pour la sourate dite 9 est logique, elle témoigne que l’avis de ceux qui voulaient malgré tout signaler l’artifice et ainsi pouvoir de même continuer à réciter en un même mouvement la Sourate 8 et la Sourate 9, c.-à-d. en conformité avec l’état originel de sa révélation.

Par ailleurs, l’analyse littérale des sourates 8 et 9 a clairement montré que les raisons de cette intervention étaient exégétiques. En effet, il fut alors possible de décontextualiser les premiers versets de la nouvelle entité S9 ainsi créée afin d’en fournir une interprétation au service d’une théologie de guerre nécessaire aux puissances califales. Le fameux verset dit du sabre, v5, n’est en cela que l’étendard d’une surinterprétation portant en réalité sur la totalité de ces 129 versets. En fonction, de l’objectif de cette manipulation interprétative et du fait que la question de la basmala ne put être posée que lors de la mise par écrit du Coran, l’on peut supposer que l’habitude de citer indépendamment de la Sourate 8 ces versets remonte à l’époque du califat de Omar puisque celui-ci avait besoin d’arguments en faveur du jihad offensif pour légitimer au nom du Coran ses expéditions militaires hors d’Arabie alors bien évidemment que le Prophète n’avait jamais eu un tel programme, celui-ci étant contraire à l’esprit et la lettre coraniques. Plus avant, une telle lecture fut utilisée lors de la guerre civile, al–fitna al–kubrâ, où chaque camp anathémisait l’autre et le combattait au mépris de la fraternité des croyants. Plus tard encore, l’Exégèse canonisa et l’absence de basmala et la surinterprétation jihadiste de ce qui était alors devenu la Sourate 9.

Cependant, si une telle opération portant atteinte à l’intégrité du Texte avait été nécessaire pour obtenir cette théologie belliqueuse, cela indique et confirme que la signification de S8-S9 était fort différente. En effet, l’analyse littérale met en évidence une trame logique bien différente de celle proposée par l’Exégèse. Le bloc S8-S9 n’était pas destiné à porter le feu de la guerre sur la Terre entière ni à forcer à la conversion des peuples pillés et réduits à merci. Si nous pouvions toutefois nommer ce complexe S8-S9 Guerre et Paix, il s’agirait de la guerre menée par ses adversaires contre Muhammad et de la paix que le Prophète a malgré cette adversité installée et protégée. Ce n’est point l’épée que le Prophète était venu apporter, mais la paix. Une théologie coranique de paix contre une théologie islamique de guerre, un Prophète de paix versus un Islam de guerre, tels étaient les enjeux exégétiques pleinement assumés par la césure imposée à S8-S9.

Dr al Ajamî

[1] Résumé d’un hadîth rapporté par Ahmad, Abû Dâwûd, an–Nasâ’î, at–Tirmidhî et al–Hâkim. Ce dernier est le seul à avoir déclaré que ce propos était authentique/ṣaḥîḥ, mais l’on sait parfaitement que ses critères d’authentification étaient peu crédibles…

[2] Cf. Le Coran de Othman, mythe ou réalité ?

[3] Ce que l’on nomme la basmala n’est un verset qu’en la Fâtiḥa, cf. notre étude en S1.V1.

[4] Cf. L’Interprétation et la conservation du Coran.

[5] En effet, notre démarche ne tient pas compte d’une hypothétique chronologie des sourates, et donc du Coran, approche dite diachronique, mais repose sur l’enchaînement logique des informations coraniques réparties en une ou plusieurs sourates, approche dite synchronique. Sur l’illusion chronologique, cf. Chronologie et ordre des sourates.

[6] Voici le commentaire de ce verset clef : Ce verset a été nommé par l’Exégèse le verset du sabre ou de l’épée, tout un programme. Ainsi surinterprété, ce verset est réputé abroger plus de 120 versets prônant la recherche de paix et d’ouverture religieuse, sur ce point voir : La Pluralité religieuse selon le Coran et le Salut universel selon le Coran et l’Islam. En contradiction flagrante avec ces grands axes coraniques, l’Exégèse a donc affirmé que ce verset formulait une déclaration de guerre ouverte contre les polythéistes puis, par extension, contre tout ennemi de l’Islam et, au final, contre tout non-musulman. Selon ses besoins de conquêtes, ses objectifs politiques ou idéologiques, l’Islam ne laisse à tous ces ennemis ici désignés que le choix entre la mort ou l’assujettissement par la jizya pour les Gens du Livre, cf. v29, ou la conversion à l’Islam. En dehors même de notre critique méthodologique de l’abrogation, cf. L’Abrogation selon le Coran et l’Islam, comment admettre qu’en cette Sourate 9, réputée une des toutes dernières à avoir été révélée, tout se passerait comme si le Coran dans un acte désespéré de suicide conceptuel aurait décidé d’annuler en dernière minute plus de 20 ans de raison et de tolérance théologiques ! L’on mesure par contre l’intérêt d’une telle arme idéologique pour les puissances califales et religieuses ! L’enjeu étant de taille, pour parvenir à manipuler en ce sens notre v5 il fallut le décontextualiser fortement et, de notre point de vue, ceci explique que l’on ait détaché de la Sourate 8 ce qui est maintenant admis comme formant la sourate 9. Cette césure artificiellement imposée au texte coranique a eu pour conséquence que pour les seize premiers versets de ce qui est maintenant la Sourate 9 le contexte ne soit plus directement identifiable, le texte est alors bien plus aisément interprétable à volonté. Comme indiqué en la note 1 et en notre Introduction à la Sourate 9 ainsi qu’en fin de la Sourate 8, il devint ainsi possible de faire oublier que ces versets, le v5 en particulier, étaient en réalité et textuellement en lien avec la rupture des accords de Ḥudaybiyya et, qu’en conséquence, ils ne pouvaient être considérés comme ayant une portée générale. Une fois la grille de compréhension recadrée par l’analyse compositionnelle et littérale, il suffit de lire avec rigueur et contextualité le propos de ce verset. Ainsi, les « polythéistes/mushrikîn » dont il est question ici sont logiquement ceux qui auront transgressé le traité de Ḥudaybiyya puisqu’il est rappelé le délai les concernant. Du reste, le v6 montre a minima qu’il existe une autre attitude envers les polythéistes que celle de les passer par le fil de l’épée ou d’exiger d’eux une conversion forcée.  « laissez-les suivre leur chemin  » c.-à-d. : puisque vous ne savez pas si leur conversion n’est qu’une façade du fait que vous les avez combattus et dominés, alors laissez-les aller en paix, car il se peut que cela soit à même de les guider vraiment à la foi. Dans le cas contraire, ils reviendront à leur polythéisme et se retourneront à nouveau contre vous, ou pas. Ce verset et ceux qui l’encadrent ne font donc qu’expliciter les attendus concrets de la révocation du traité de non-agression de Ḥudaybiyya découlant de sa rupture unilatérale par Quraysh, et cela dans la continuité directe de la Partie II de la Sourate 8 dont en réalité, nous l’avons dit, ils sont constitutifs.

[7] Présentation de l’unité thématique de la sourate dite 9 qui n’est rien d’autre en réalité que la continuité de la Sourate 8 et, plus précisément, de sa Partie II : Chap. III : Révocation du traité de Ḥudaybiyya : § 1. Révocation et proclamation, vs1-4 ; § 2. Conséquences à court terme de la révocation de Ḥudaybiyya, vs5-11 ; § 3. Incitation à combattre les transgresseurs du traité de Ḥudaybiyya, vs12-16 ; § 4. Incitation à la rupture entre croyants et polythéistes ; vs17-24 ; Chapitre IV : Long terme de la révocation de Ḥudaybiyya : § 1. Lutte contre les dernières agressions polythéistes après la prise de La Mecque, vs25-29 ; § 2. Dénonciation des manœuvres de Gens du Livre associés aux polythéistes, vs30-37 Partie III : Préservation de la paix – Chapitre I : De la mobilisation préventive à Médine : § 1. Rappel du soutien dû au Prophète au nom de Dieu, vs38-41 ; § 2. Le Prophète face aux défections internes, vs42-48 ; § 3. Controverses prophétiques avec l’opposition médinoise, vs49-54 ; Chapitre II : De l’opposition hypocrite : § 1. Matérialisme des opposants Médinois, vs55-63 ; § 2. De la duplicité de l’hypocrisie de ces opposants, vs64-72 ; § 3. Refus de l’effort financier par les hypocrites opposants Médinois, vs73-80 ; § 4. Conduite à tenir pour le Prophète concernant ses hypocrites opposants Médinois, vs81-89 Partie IV Consolidation de la paix – Chapitre I : Mobilisation des tribus non médinoises : § 1. Défections et duplicité des tribus bédouines, vs90-97 ; § 2. Condamnation divine des tribus bédouines récalcitrantes à l’effort de paix, vs98-101 ; § 3. Ouverture envers les Bédouins devenus coopératifs, vs102-106 ; § 4. De la mosquée des opposants Bédouins versus le vrai engagement, vs107-112 ; Chapitre II : Ultime rappel quant à la mobilisation : § 1. Rappel adressé aux Exilés et aux Auxiliaires, vs113-118 ; § 2. Rappel pragmatique adressé aux Médinois et aux Bédouins, vs119-122 ; § 3. Rappel théologique de lutte contre l’hypocrisie, vs123-127 ; Conclusion, vs 128.

[8] L’analyse littérale a montré qu’en réalité cette Sourate 110 appartient à une période mecquoise précoce, ce qui a été aussi l’avis d’une minorité d’exégètes.

[9] Pour l’analyse critique du v29, voir : La jizya et les dhimmî selon le Coran et en Islam.