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La théorie des trois intentions et le sens littéral du Coran

 L’herméneutique en tant que processus cognitif de compréhension de l’écrit met en jeu la projection de nos pré-jugés et pré-concus sur le texte, mécanismes fournissant de manière circulaire et plus ou moins inconsciente le sens que le lecteur anticipait à partir de son entendement personnel, autrement dit : l’intention du lecteur. La signification que nous donnons à un texte est donc ainsi construite et réalise à des degrés divers une interprétation et non une compréhension basée sur le sens du texte lui-même, son sens littéral. Aussi, l’analyse littérale est-elle une méthodologie en mesure de court-circuiter notre herméneutique, nos interprétations, afin de pouvoir par le texte seul, l’intention du texte, retrouver l’intention de l’auteur. La signification est donc un espace “intellectuel” prenant corps entre un auteur et un lecteur, mais composé des trois intentions que nous venons d’évoquer : l’intention de l’auteur, l’intention du texte, l’intention du lecteur. Difficulté supplémentaire, au sein de cette démarche seul le texte est un support matériel perceptible et mesurable.

Le texte coranique n’a pas échappé à ces glissements de sens et a subi de très nombreuses exégèses ayant gravé son sens à travers les siècles qui nous séparent de son apparition. De nos jours il devient ainsi difficile de comprendre son sens originel. De même, il est malaisé de remettre la littérature exégétique en question auprès des musulmans qui la considèrent comme l’unique porte d’entrée à la compréhension du message coranique. Ces exégèses, qui souhaitaient malgré tout apporter des éclaircissements aux lecteurs du Coran, ont finalement déformé la compréhension de certains versets, voire rendu son message incompréhensible et parfois contradictoire.

Cependant, de plus en plus de lecteurs du Coran souhaitent trouver un moyen d’accéder à son sens originel. Autrement dit, ils cherchent à se défaire des apports successifs qui se sont accumulés et qui composent en eux-mêmes autant d’obstacles à l’accès direct au sens premier du texte. À cette fin, il est indispensable de s’engager dans un travail de recherche approfondi afin d’apporter une méthodologie sérieuse et fiable visant à retrouver le sens « littéral » du texte coranique.

Avant toute chose, il nous faut partir de 5 postulats, à savoir que le Coran est :

1- Explicite : le Coran est clair.

2- Univoque : le Coran ne contient pas d’ambiguïté.

3- Cohérent : le Coran ne se contredit pas.

4- Intemporel : le Coran est indépendant du temps.

5- Universel : le Coran est accessible à tous.

Voir l’article méthodologique consacré à ce sujet sur ce site : Les cinq postulats coraniques du sens littéral.

– Ensuite, rechercher le sens littéral revient à « déterminer les faits selon l’énoncé » (Dr al Ajamî) sans y apposer des interprétations successives, lesquelles peuvent aboutir à une multiplication illimitée de sens souvent orientés et opposés. L’établissement du sens littéral permet de libérer le lecteur qui aujourd’hui se retrouve éloigné du sens originel du message coranique. Il est de ce fait plongé dans une lecture tantôt littéraliste tantôt interprétative issue d’une autre époque. Le lecteur est alors confronté à une déformation du sens du texte coranique et face à un défaut de cohérence général du message.

Pour délimiter le sens littéral du Coran, il est fondamental de prendre en considération des notions de sémiotique. Le linguiste Umberto Eco a formalisé la théorie dite “des trois intentions”. Elle a été modélisée et adaptée à l’étude du sens littéral du Coran par le Dr al Ajamî. Cette théorie met en évidence l’existence d’une coopération entre les principaux acteurs dans leur rapport à un texte. Il s’agit ici d’identifier les 3 intentions issues d’un texte : celle de l’auteur, celle du texte lui-même et celle du lecteur.

  • L’intention de l’auteur ou intentio auctoris. L’auteur exprime à travers son texte des idées de manière a priori explicite.
  • L’intention du texte ou intentio operisLe texte est sémantiquement délimité par le sens des mots. Il constitue donc un espace fini.
  • L’intention du lecteur ou intentio lectoris. Le lecteur généralement et intuitivement investit le texte, auquel l’on peut toujours supposer des espaces possibles, et inconsciemment il va déterminer le sens du texte par ses propres opinions et autres références externes au texte. Celles-ci sont issues de son conditionnement (culture, personnalité, environnement, époque…).

Le schéma ci-dessous est une version simplifiée de la modélisation proposée par le Dr al Ajamî pour identifier l’existence du sens littéral du texte coranique.

 

Modélisation de la théorie “des trois intentions” –

Observations :

1- L’intention du texte “intentio opéris”

L’intention d’un texte est délimitée par le sens des mots qu’il contient. Il possède donc par définition des limites finies (contour en ligne continue). Il constitue un objet au contour identifiable.

2- L’intention de l’auteur “intentio auctoris”

L’intention de l’auteur s’exprime à travers son texte. Il cherche à véhiculer des idées à travers des mots à ses lecteurs. Cette intention est donc partiellement ouverte en amont (contour en ligne discontinue) et tend vers moins l’infini qui constitue un retour vers l’horizon personnel de l’auteur (Gadamer). L’intention de l’auteur devient limitée lorsqu’elle est exprimée par un texte, limitée par les mots qu’il contient ou que la langue autorise.

3- L’intention du lecteur “intentio lectoris”

Cette troisième intention ne dispose pas de limites (contour en pointillés) pouvant ainsi tendre vers l’infini. Autrement dit, l’intention du lecteur est corrélée à sa capacité interprétative qui peut en définitive devenir illimitée si l’intention de l’auteur est ignorée. Elle tend vers une limite finie lorsque l’on prend en compte l’intention du texte ou l’intention de l’auteur.

4- La polysémie

Cette possibilité offerte par la plupart des langues se caractérise par le fait qu’un même mot peut prendre plusieurs sens selon le contexte.  L’auteur projette son intention dans le texte et dispose pour cela d’un nombre limité de mots compréhensibles par le lecteur dans sa langue. L’étude systématique du contexte permet d’appréhender le sens.

5- L’interprétation

L’interprétation survient quand le lecteur tente de deviner les intentions de l’auteur. Qu’elles soient visibles ou cachées. C’est durant ce processus que l’on peut faire dire au texte ce qu’il ne dit pas ou encore lui attribuer des contre-vérités importées ou présupposées.

6- Littéralité

La littéralité est distincte du sens littéral. C’est quand le lecteur se maintient strictement au texte mot pour mot sans lui donner la profondeur nécessaire quand cela est possible et lorsque la lecture se fait indépendamment de l’intention de l’auteur. On se retrouve privé de ce que toute langue offre pour se restreindre à une lecture basique qui vient des fois appuyer et confirmer des idées préconçues du lecteur attribuées de ce fait au texte. L’intention de l’auteur se retrouve dès lors déviée, pour ne pas dire ignorée.

7- Le sens littéral

Le sens littéral se situe à la croisée des trois intentions. Ainsi, il permet de conserver uniquement ce qui est cohérent avec l’ensemble du texte en analysant et en faisant une synthèse des autres possibilités. Le sens littéral est circonscrit dans un espace limité (ligne continue). Toute autre forme serait en contradiction avec les 5 postulats de base ou ne prendrait pas en compte les différents paramètres. Le sens littéral devient ainsi “identifiable”, “partageable” en “constituant le plus petit dénominateur commun de sens” comme le dit Dr al Ajamî.

Cette méthodologie suit un processus qui se décline successivement par une analyse lexicale, sémantique, contextuelle et étude de la convergence coranique. Nous vous invitons à consulter la rubrique de ce site internet dédiée à la présentation de la méthodologie d’analyse littérale du Coran.

La recherche du sens littéral du Coran permet d’entrevoir le sens originel du message coranique. Ce sens trop longtemps figé et noyé doit retrouver sa dynamique et refaire surface. Un nouveau souffle du Coran doit prendre place pour devenir « ce vent signifiant, qui en nous, féconde le fruit des lettres et des mots » (Dr al Ajamî).

En conclusion, la démarche proposée par le Dr al Ajamî donne la possibilité aux lecteurs d’aujourd’hui d’accéder à une autre lecture du message coranique s’inscrivant dans une logique universelle et une cohérencetextuelle. Mais, comme l’indique le Dr al Ajamî, « la détermination du sens littéral ne mène qu’à une vérité textuelle, jamais à la Vérité du texte. »

Meriem G.