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L’esclavage selon le Coran et en Islam

À notre époque, il est tout à fait compréhensible que l’on soit en droit de se demander pourquoi le Coran n’a pas purement et simplement aboli l’esclavage. À vrai dire, cette question est posée selon deux approches différentes. D’une part, les musulmans actuels sont très majoritairement conscients de la dignité humaine et de son respect, d’autre part, un front critique voit là l’occasion de stigmatiser l’archaïsme de l’Islam et, surtout, de son texte fondateur. Certes, l’esclavage a été aboli en Occident à partir du XIXe siècle, seulement. Il faut alors savoir que cette évolution n’a pas été dictée par humanité, mais, en réalité, par l’apparition du capitalisme industriel qui, pour des raisons particulières, a pu exploiter sous une forme différente la main-d’œuvre humaine. Les séquelles de cette mutation purement matérialiste sont bien connues et toujours en place : ségrégation, racisme, misère, etc. Les anciens maîtres sont encore les dominants, et les peuples mis autrefois en esclavage demeurent globalement dans des situations socialement défavorisées,[1] même si ce progrès civilisationnel a permis à de nombreuses mentalités d’évoluer vers l’ouverture et la tolérance, une perception égalitaire de l’altérité.

Si ce bref rappel nous semblait nécessaire, c’est qu’il permet de comprendre fondamentalement la position coranique en la matière. Il faut de même avoir à l’esprit que le Coran ne s’est jamais défini comme un code de lois chargé de régler tous les aspects de la société des hommes[1] pas plus qu’il n’est réaliste de supposer qu’un message éthique, fut-il révélé, aurait eu la capacité de modifier instantanément les us et coutumes de ceux qui le reçurent en son temps et par la suite. Au contraire, ce qui est certain, c’est que nous sommes en mesure, en fonction de nos évolutions personnelles et collectives, de mieux percevoir les finalités profondes des lignes de sens coraniques. C’est en fonction de ce cadre prenant en compte la psychologie des êtres et des sociétés qu’en particulier le Coran initia trois programmes destinés à impulser de grandes transformations sociétales. Nous pensons là aux rapports interreligieux, aux relations hommes femmes, et au sort des esclaves. Cependant, comme aucun de ces domaines n’est de la même nature, le Coran a adopté pour chacun d’eux une stratégie différente :

– Concernant l’interreligieux, le propos du Coran a été direct puisqu’il s’agissait essentiellement d’énoncer un paradigme prônant l’égalité et le respect de tout croyant monothéiste, nous l’avons largement démontré.[2] De fait, cette conception coranique pouvait être mise en œuvre immédiatement sans bouleverser la société puisque, de plus, le polythéisme en vigueur était par nature inclusif.

– S’agissant des relations hommes femmes, le Coran intervint en s’appuyant sur les structures sociales en place. En premier lieu, temps court, il édicta donc une série de mesures en prise avec la réalité du VIIe siècle afin de rectifier les principales injustices qui étaient faites aux femmes dans cette société arabe comme en d’autres.[3] Deuxièmement, temps long, le Coran indiqua des voies d’amélioration des relations hommes femmes afin que dans la durée la société évolue vers ce point d’équilibre et de justice.[4] Cette approche se justifie du fait que vouloir imposer séance tenante un tel bouleversement radical des us et coutumes n’était pas réalistement envisageable. À l’inverse, du fait même des mentalités d’alors, l’incompréhension soulevée par des édictions “révolutionnaires” aurait tout simplement pu mener à un blocage ruinant toute chance d’évolution de la situation des femmes. Force est de constater que du point de vue global c’est seulement à l’heure actuelle que nos sociétés sont à même de réaliser ces changements. Pour autant, cette méthodologie à deux voies permettait dès l’origine à titre individuel à des croyants et des croyantes conscients de s’appliquer à l’égalité et la justice en leurs relations.

– Concernant l’esclavage, le Coran opta pour un troisième type d’approche. En effet, la société économique arabe pré-coranique reposait pour une très large part sur l’esclavage et il en était de même de toutes les civilisations du monde antique. Or, il eût été totalement irréaliste de vouloir sans transition faire passer ce monde d’une économie de servitude à une économie de marché. Aussi, l’esclavage reposant intrinsèquement sur l’inhumanité prêtée et imposée à l’autre, le Coran, comme nous allons le constater, va mettre l’accent sur l’humanité commune à tous les êtres et sur la nécessité de son respect. C’est ainsi que sera mise en avant une compréhension éthique de cette problématique tout en indiquant concrètement des mesures destinées à parvenir, à terme, d’abord dans les mentalités puis dans les faits, à l’abolition de l’esclavage.

Au final, la question n’est donc pas de savoir pourquoi le Coran n’a pas interdit l’esclavage, mais bien plutôt de comprendre pourquoi il ne l’a pas en son temps aboli.

 

• Que dit l’Islam

Au sujet des trois grands projets de réforme coranique que nous venons d’évoquer, il est simple de constater que d’évidence l’Islam a commis là trois de ses plus importants détournements de sens. En la matière, la différence entre le Coran et l’Islam n’a jamais été aussi flagrante. Nous ne reviendrons pas sur l’appareil théologique et politique d’exclusion mise en place par l’Exégèse et le Droit à l’encontre des non-musulmans, l’ouverture inclusive du Coran a été littéralement tuée dans l’œuf, voir articles référencés en note 1. De même, nous avons largement démontré que l’Islam n’avait pas suivi le Coran en sa réforme des relations hommes femmes et, qu’au contraire, il avait cherché à figer exégétiquement pour l’éternité des comportements sexistes propres aux mœurs de l’ancien temps, voir note 3 et 4.

– S’agissant de l’esclavage, l’Islam n’a visiblement pas voulu entendre la finalité du message coranique. Pour ce faire, les juristes ont plaidé pour l’humanisation du sort des esclaves. De la sorte, sous prétexte que l’on devait bien traiter les esclaves, oxymore le plus cruel qu’il soit, l’Islam n’avait pas à envisager l’abolition possible de l’esclavage. C’est ainsi que le Hadîth énonce des recommandations de bientraitances, ex. : « Nourrissez vos esclaves de ce que vous vous nourrissez, et vêtissez-les de ce dont vous vous vêtissez » ou : « Celui qui gifle son esclave n’a d’autre expiation que de l’affranchir », hadîths rapportés par Muslim. Humaniser le sort des esclaves blanchissait donc la conscience des législateurs et des maîtres. Rappelons que c’est le même type d’argumentaire qui a été utilisé par rapport à la polygamie pour laquelle l’on se devait d’être équitable envers les co-épouses, condition justifiant alors sa légalité.[5] Mais quelle justice peut-il y avoir dans l’injustice. En réalité, la douce bienveillance de l’Islam envers les esclaves révèle toute son hypocrisie, cachée sous le voile de la dialectique, dans le cas des femmes esclaves. Il est bien connu que l’Islam a pleinement légalisé le fait pour le maître d’abuser sexuellement de ses esclaves femmes ! Or, quelle pire violence envers l’être humain que ce viol ! Ici le Coran a été largement convoqué pour couvrir cette ignominie, nous analysons cela en l’Esclavage sexuel selon le Coran et en Islam.

– En cette prétention à l’humanisation de l’esclavage, comme nous l’avons si souvent signalé, l’Islam n’a pas innové, mais n’a fait que suivre les conceptions judaïques pour qui l’esclavage était licite tout en étant accompagné de quelques protections de l’esclave. Cette attitude très relativement bienveillante était conçue par les rabbins comme un progrès par rapport aux usages de l’époque antique, et l’Islam de même s’est toujours targué d’avoir été bien plus humain avec leurs esclaves que les autres peuples ! Quand bien même ces arguments fallacieux ont quelques vérités puisque l’esclavage occidental fut des pires, quelle humanité peut-il y avoir dans l’inhumain : l’esclavagisme ! Le christianisme n’est pas en reste, citons : « Obéissez à vos maîtres avec respect et crainte […] et vous, maîtres, agissez avec bonté à leur égard ».[6] Par ailleurs, nous indiquerons que si le christianisme a si longtemps cautionné l’esclavage, c’est qu’il l’inscrivait dans une lecture de discrimination raciale selon laquelle les noirs sont les descendants maudits de Canaan de la lignée de Cham le fils maudit de Noé.[7] Selon une logique du même ordre, le judaïsme interdit de mettre un juif  en esclavage: « C’est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave homme ou femme qui t’appartiendront, c’est d’elles que vous achèterez l’esclave homme ou femme. »[8] Cette conception raciale de l’esclavage a été à son tour interprétée selon un axe parallèle par l’Islam qui a fait dire à Omar, le deuxième calife, qu’il était interdit d’esclavagiser un Arabe. Par contre, nous signalerons que l’Ancien Testament interdit de capturer un homme ou une femme pour l’asservir à des fins personnelles ou pour les revendre.[9] Sur ce point précis, l’on relèvera combien les emprunts interreligieux de l’Islam sont consciemment orientés, car l’Islam n’a pas ici suivi cette restriction. En effet, face à la rapide expansion territoriale de l’Islam les besoins en main-d’œuvre furent immenses et il était du point de vue du pouvoir économique inconcevable de se priver de l’immense réservoir d’esclaves que les prises de guerre fournissaient gratuitement. Une fois les conquêtes réduites, les musulmans se livrèrent alors sans état d’âme à la razzia esclavagiste des populations plus ou moins aux marges de l’Empire, notamment en Afrique.

– Enfin, et à décharge, dans l’Antiquité l’esclavage était socialement et économiquement perçu comme une donnée naturelle, une classe sociale parmi d’autres. L’esclavage était donc si fortement ancré dans les cultures d’alors que bien avant encore les Hébreux, après en avoir été libérés par Dieu, l’ont à leur tour largement pratiqué. Quoi qu’il en soit, l’on peut ainsi comprendre que ni le judaïsme ni le christianisme n’aient envisagé d’abolir l’esclavage, c’eut été en quelque sorte contre l’ordre naturel des choses. Comme nous l’avons précédemment évoqué, ceci explique aussi que bien que le Coran ait, lui, explicitement programmé la disparition de cette abomination, il ne pouvait en prôner l’immédiateté sous peine d’inapplicabilité. Nous allons voir que cette approche coranique fait donc preuve d’intelligence contextuelle. Malgré cela, l’esclavage fut de facto institutionnalisé en Islam et développé plus encore qu’il ne l’était avant le temps coranique. Sous la houlette d’un Islam se voulant en l’occurrence humain et éclairé, l’esclavage a donc perduré dans le monde musulman jusqu’à ce que l’évolution occidentale ait eu des raisons de recourir à la forme capitaliste d’exploitation de la matière humaine et ait imposé lors de la colonisation l’abolition de l’esclavage en terre d’islam.

 

• Que dit le Coran

– En premier lieu, il convient d’invalider coraniquement l’institutionnalisation par l’Islam du bon traitement des esclaves, conception qui n’a rien de philanthropique puisque, nous l’avons dit, elle servit en réalité de caution pour maintenir l’esclavage et ne jamais envisager son abolition. En dehors de très nombreux hadîths convoqués pour l’occasion, l’Islam s’est aussi légitimé du Coran, le verset type est le suivant : « Adorez Dieu et ne Lui associez rien ! Envers père et mère : bienfaisance, ainsi qu’à l’égard des proches, des orphelins, des pauvres, du proche voisin et du voisin éloigné, du compagnon à vos côtés, du fils de la route et de ce que possèdent vos mains droites », S4.V36.  Ce verset s’inscrit dans un paragraphe consacré à l’éthique du croyant envers son prochain, il s’agit ici d’une donnée générale de vertu devant s’appliquer comme l’indique ce verset à tout notre entourage. L’on ne peut alors en déduire qu’il y aurait là une mesure spécifique à l’égard des esclaves, et, qui plus est, avec l’intention esclavagiste d’arrière-plan de l’Islam. En d’autres termes, rien n’indique en ce verset qu’il faille maintenir l’esclavage sous prétexte que l’on doive traiter les esclaves humainement. Au mieux, cette incitation coranique vise à protéger les esclaves de la cruauté de leurs maîtres. En quelque sorte, une mesure de protection en attendant que conformément à l’objectif coranique que l’esclavage soit éradiqué des sociétés en fonction de l’évolution des mentalités et des systèmes sociaux-économiques. Nous reviendrons plus avant sur la compréhension de ce verset.

C’est donc afin de travailler en profondeur les esprits et les cœurs que le Coran va fournir un cadre théologique et pragmatique destiné à l’émancipation des esclaves et à l’abolition à terme de l’esclavage :

1– Cadre théologique et humanitaire fondamental quant à l’esclavage

– Tous les Hommes naissent libres

En la série d’articles consacrée à la définition de l’être humain à partir de l’exemple de l’Archétype Adam/Elle,[10] nous avons montré que selon le Coran Dieu avait doté l’Homme de raison critique et de conscience, donc de libre arbitre.[11] Il en découle que tout Homme est libre par essence. Cette condition de liberté intrinsèque était impérative puisque le sens téléologique de l’Homme est de pouvoir et devoir se bien-guider pour la finalité de son existence : le Jour du Jugement, ce pourquoi il est dit : « l’Homme était pourtant quant à son âme clairvoyant », S75.V14. C’est du fait même qu’il est libre et indépendant que, corollairement, « nul ne portera le fardeau d’autrui » au Jour du Jugement, S17.V15, et, qu’inversement, la responsabilité individuelle est totale, ce qui suppose et impose que tout être humain naisse libre.

– Tous les Hommes sont égaux

Le Coran affirme avec force l’égalité de tous les êtres humains : « Ô Hommes ! Nous vous créons d’un mâle et d’une femelle et Nous vous avons fait peuples et tribus afin que vous vous entre-connaissiez. En vérité, le plus noble auprès de Dieu est le plus pieux ; Dieu est parfaitement savant et informé. », S49.V13. Ce verset évoque d’un même jet l’égalité des êtres, l’égalité des hommes et des femmes, l’égalité des peuples et des races, la richesse des échanges interculturels. Notons que la piété est ici considérée comme le seul élément de distinction et que cette dernière n’ayant de valeur qu’« auprès de Dieu », nul ne saurait en tirer avantage Ici-bas. Conséquemment, le concept de race inférieure, d’êtres nés asservis ou susceptibles d’être mis en esclavage n’est pas admissible au nom du fait que tous les êtres humains sont intrinsèquement égaux. Ceci vise directement la déconstruction et l’annihilation d’un des arguments majeurs justifiant l’esclavage, car, pas plus qu’il n’y a de race ou de peuple supérieurs, il n’y a de race ou de peuple inférieurs. Si les êtres sont intrinsèquement égaux, aucun être humain se concevant libre ne peut donc priver son frère de cette même liberté !

Il y avait donc en ces deux points fondamentaux : liberté et égalité de tous les êtres humains, matière à réfléchir pour comprendre que l’esclavage, au nom du Coran et du Créateur, devait dès que possible être aboli puisqu’étant la violation directe de ces deux principes essentiels.

– Cadre pragmatique quant à l’abolition programmée de l’esclavage

Ayant rappelé, l’iniquité et la transgression que l’esclavage représente et sachant pertinemment que les situations économico-sociales ainsi que les mentalités ne pouvaient être sur ce point bouleversées immédiatement, le Coran a donc été amené avec intelligence à édicter des mesures de protection des esclaves jusqu’à ce que les évolutions des sociétés musulmanes permettent la disparition de l’esclavage :

– Égalité morale des esclaves

À cette fin, le Coran va chercher à faire prendre conscience du problème en instituant un parallèle entre la foi en Dieu et le respect des parents, respect très développé dans la société bédouine qu’il va alors associer à la considération obligatoirement due aux esclaves. Nous avons déjà cité le verset-clef qui, à présent, se saisit plus encore contextuellement : « Adorez Dieu et ne Lui associez rien ! Envers père et mère : bienfaisance, ainsi qu’à l’égard des proches, des orphelins, des pauvres, du proche voisin et du voisin éloigné, du compagnon à vos côtés, du fils de la route et de ce que possèdent vos mains droites. En vérité, Dieu n’aime pas qui est infatué, vaniteux. », S4.V36. La locution « ce que possèdent vos mains droites » désigne les esclaves et la finale « Dieu n’aime pas qui est infatué, vaniteux » s’adresse directement et sèchement à leurs maîtres. Il leur est ici rappelé que la « bienfaisance » à leur égard est la contrepartie et l’expression de ce qu’ils ne doivent aucunement se sentir supérieurs, « infatué, vaniteux », du fait même, non pas qu’ils possèdent ces hommes et ces femmes, mais qu’ils sont aux yeux de Dieu seulement placés sous leur responsabilité.

Mesures en faveur de l’émancipation des esclaves

À partir de cette base morale critique, le Coran fit donc de nombreuses propositions dont l’objectif était de permettre la libération des esclaves de façon progressive, approche adaptée socialement à une transformation par étapes. L’idée est saine et réaliste, car toute abolition impérieuse aurait provoqué l’apparition d’une caste de défavorisés constituée de cette masse libérée sans réel ancrage social (cf. l’abolition de l’esclavage en Amérique du Nord par exemple). Le Coran visa donc à mettre en œuvre l’émancipation des esclaves en leur facilitant l’accès à la société civile et économique : « Dieu a favorisé certains d’entre vous par rapport à d’autres en biens de subsistance. Qu’ont donc ceux qui ont été ainsi favorisés de ne pas vouloir restituer une partie de leurs biens à ce que possèdent leurs mains droites [leurs esclaves], car ils sont en cela à égalité. Les bienfaits de Dieu renieraient-ils ! », S16.V71. Notons qu’il est dit « restituer/râdd », c.-à-d. ici la reconnaissance nécessaire pour ces nantis de ce qu’ils doivent leur aisance au labeur des esclaves qu’ils possèdent. En conséquence, le Coran prône de redistribuer une partie de ces biens afin que lesdits esclaves puissent posséder les moyens matériels d’assurer économiquement la transition vers leur libération ainsi que les conséquences de cette nouvelle situation. L’idée est si révolutionnaire et égalitaire qu’une majorité des exégètes s’évertua à en modifier le sens. Quoiqu’il en soit, le Coran suivant sa logique indique que, plus encore, le maître doit assister matériellement le candidat à sa propre libération afin qu’il ne soit pas du fait même de son affranchissement marginalisé et économiquement faible, le tout par contrat : « ... quant à ceux de vos esclaves qui souhaitent un contrat d’affranchissement, concluez ce contrat avec eux si vous leur connaissez quelque bien et dotez-les d’une partie des biens que Dieu vous a donnés… », S24.V33. Autre approche de la question, le Coran encourage l’homme libre à se marier avec une esclave : « Quant à celui d’entre vous qui n’a pas les moyens d’épouser les femmes croyantes de condition libre et de nobles mœurs, alors celles que vos mains droites possèdent parmi les jeunes femmes croyantes, Dieu connaît parfaitement votre foi, les uns comme les autres. Épousez-les donc avec la permission de leurs maîtres et donnez-leur dotation nuptiale selon les convenances… », S4.V25. Ce verset est analysé en l’article : L’esclavage sexuel selon le Coran et en Islam. Ce concept était lui aussi révolutionnaire pour la société de l’époque où l’homme utilisait la femme asservie comme esclave sexuelle, ce que le Coran interdit. Nous reviendrons sur ce point et ce verset en l’article consacré à cet épineux problème, Cf. L’Esclavage sexuel selon le Coran et en Islam.

Cet encouragement insistant quant à la libération des esclaves implique aussi que le Coran préconise qu’une partie des aumônes soit employée à l’affranchissement : « Les aumônes ne sont que pour les démunis, les pauvres […] et pour l’affranchissement des esclaves… », S9.V60. La libération des esclaves doit donc être favorisée. Aussi, le Coran l’inscrit-elle en tant qu’expiation de fautes diverses, ex. : « Dieu […] vous demandera compte quant aux engagements que vous aurez vraiment contractés. Cependant, son expiation en sera de nourrir dix pauvres de ce dont vous nourrissez normalement les vôtres, ou de les vêtir, ou bien que vous libériez un esclave… », S5.V89. La libération d’un esclave est ainsi un acte de piété fortement conseillé, quasiment une démarche spirituelle : « Sais-tu ce qu’est la voie ascendante ? C’est de libérer un esclave ou de nourrir un orphelin […] et être de ceux qui s’enjoignent à la miséricorde. », S90.V12-17. Ceci explique qu’au final le Coran va lier cette pratique à une concrétisation de l’amour de Dieu : « …en donnant de son bien par amour pour Lui : aux proches, aux orphelins, aux pauvres […] et pour l’affranchissement des esclaves… », S2.V177. Enfin, le Coran va intervenir en amont en supprimant une des sources majeures d’alimentation des marchés d’esclaves, à savoir : les prises de guerre. En effet, dans la tradition antique, lors d’une razzia ou d’une guerre tout ce dont on s’emparait en matière de butin était considéré comme biens meubles : réserves alimentaires, troupeaux, femmes et hommes, ceux-ci étant systématiquement asservis : « Lorsque vous vous affrontez les dénégateurs, frappez-les à la nuque jusqu’à ce que vous leur fassiez éprouver la défaite. Puis liez-les solidement [c.-à-d. les prisonniers de guerre]. Alors, soit ensuite vous leur faites grâce, soit vous en demandez rançon, ce quand la guerre aura cessé… », S47.V4. Il y a bien là l’interdiction de mettre en esclavage les prises de guerre puisque ces dernières ne pourront qu’être libérées, ou gracieusement ou contre rançon. Ceci est en soi une nette humanisation des lois de la guerre à cette époque et pour des siècles encore. Comme était ainsi supprimé un des principaux réservoirs d’esclaves, l’Exégèse n’entendit pas vraiment le message et d’aucuns prétendirent que ce verset avait été abrogépar le tristement célèbre verset du sabre ![12]  Dans les faits, l’Islam a donc légalisé le fait d’asservir les prisonniers et les captives de guerre et les conquêtes califales trouvèrent là un marché durable, ce, indéniablement, contre le Coran.

 

Conclusion

Il y a plus de quatorze siècles, le Coran avait développé une démarche intelligente et réaliste afin de planifier la disparition de l’esclavage.

Or, si le Coran avait programmé la disparition de l’esclavage, l’Islam en a programmé son maintien. Alors que les mesures indiquées par le Coran auraient dû amener les musulmans à être les premiers dans l’Histoire à abolir l’esclavage, sous le poids de l’Islam ils auront été les derniers à y consentir. Comme nous l’avons déjà démontré pour le statut des femmes et celui des autres religions monothéistes, il s’agit là du troisième échec des réformes coraniques face à la force des us et coutumes institutionnalisés par l’Islam. Situations inacceptables et non conformes à l’esprit et la lettre du Coran.

Le parcours des principaux versets abordant la question de l’esclavage aura permis de souligner et comprendre qu’il aurait été irréaliste d’envisager une abolition immédiate de l’esclavage dans le monde antique où le Coran intervint. Quand on sait que l’Islam n’a absolument pas pris en compte la disparition programmée de l’esclavage instituée par le Coran, l’on imagine sans peine que l’abolition pure et simple aurait été exégétiquement abrogée d’un revers de plume. Le Coran, en fin connaisseur des tréfonds de l’âme humaine, a donc opté pour une stratégie par paliers :

– Premièrement, rappel coranique de ce que tous les êtres sont libres et égaux.

– Deuxièmement, prise de conscience de l’inhumanité fondamentale de l’asservissement de son propre frère en humanité.

– Troisièmement, mesures encourageant de diverses manières l’affranchissement et l’émancipation accompagnée des esclaves.

– Quatrièmement, interdiction de mettre en esclavage prisonniers et captives de guerre.

Nous aurons donc constaté qu’aucun verset du Coran ne légifère ni ne prône l’esclavage. Ainsi, le Coran au temps de son énonciation n’est ni esclavagiste ni abolitionniste. Nous aurons fait observer que cette position coranique est en tout point semblable à celle mise en place quant à la polygamie[13] : seule une prise de conscience de l’injustice de ces us et coutumes pouvait mener à terme à leur disparition au nom de la justice et de l’humanité. Nous l’aurons montré, pas plus que le Coran n’avait réglementé la polygamie en réduisant le nombre de co-épouses à quatre tout en indiquant la profonde injustice que ces mœurs représentaient, pas plus n’a-t-il autorisé l’esclavage en instituant de bien traiter les esclaves. Ce ne sont là que deux affirmations de l’Islam afin de contourner la ligne émancipatrice tracée par le Coran. Si face à ces deux iniquités sociales et humaines, le Coran a donc adopté avec réalisme la même approche progressive et progressiste, l’Islam a lui aussi joué à deux reprises la même partition en prétendant que selon le Coran tout cela était permis à condition de le faire avec équilibre et humanité. De fait, le Droit islamique a donc laissé l’esclavage perdurer dans les sociétés musulmanes, ce en opposition avec l’idéal coranique. Mais, parallèlement, il a codifié, du moins dans les textes, le traitement équitable des esclaves, en quelque sorte il institua une compensation humaine à une situation inhumaine ! Nous le répétons, qu’elle humanité peut-il y avoir dans l’inhumain ! Quel déshonneur de supposer que le message révélé aurait été aussi sombre que les âmes des âges obscurs !

Dr al Ajamî

[1] À titre d’exemple contemporain, nous soulignerons que le dernier pays à avoir aboli l’esclavage est la Mauritanie en 1980. Dans les faits, l’esclavage persiste et les mentalités esclavagistes plus encore. Ainsi, des dizaines de milliers d’anciens esclaves vivent encore de nos jours en Mauritanie dans des conditions misérables, condamnés, au mieux, aux travaux les plus infamants, à l’analphabétisme et à des conditions de vie indignes.

[1] Sur ce point, voir notre critique en : La Loi divine selon le Coran et en Islam ; La Charia selon le Coran et en Islam ; La législation coranique selon le Coran et en Islam.

[2] Voir notamment : La Pluralité religieuse selon le Coran et en Islam ; Le Salut universel selon le Coran et en Islam ; La Jizya et les dhimmî selon le Coran et en Islam.

[3] Voir notamment : Égalité homme femme ; Le Coran est-il la source du sexisme en Islam ; L’héritage des femmes ; Le témoignage des femmes ; Le Voile selon le Coran et en Islam ; Le mariage interreligieux ; Frapper les femmes.

[4] Voir notamment : La Polygamie selon le Coran et en Islam ; La mixité selon le Coran et en Islam.

[5] Nous rappelons que, contrairement à ce qui est admis de tous, le Coran n’a pas légiféré la polygamie, pas même en la limitant à quatre-coépouses, cf. : La Polygamie selon le Coran et en Islam. Nous reviendrons sur ce point en notre conclusion.

[6] Éphésiens VI ; 6-9.

[7] Genèse IX ; 18-27.

[8] Lévitique XXV ; 39-46.

[9] Exode XXI ; 16.

[10] Voir : 3- Adam et Elle/Ève, Iblîs et le Shaytân : raison et conscience selon le Coran et en Islam.

[11] Voir : Destin et Libre arbitre selon le Coran et en Islam.

[12] Pour notre critique de l’arbitraire absolu du principe d’abrogation, voir : L’Abrogation selon le Coran et en Islam ; S2.V106.

[13] Cf. La Polygamie selon le Coran et en Islam.