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L’Annonce de Muhammad dans la Bible selon le Coran et en Islam

L’Annonce de la venue de Muhammad dans la Bible est un sujet qui passionne depuis longtemps les musulmans. Cette thèse concerne aussi les juifs qui de la sorte sont sommés de suivre le prophète Muhammad et, de même, les chrétiens qui par cette nouvelle Annonciation sont directement visés. En quoi, étonnamment,  serait-il nécessaire que notre foi en la mission prophétique de Muhammad soit validée par le judaïsme et le christianisme pour avoir, à nos yeux, valeur ! Nous consacrerons donc à cette question deux articles ; celui-ci, traitant du verset censé affirmer que Muhammad est mentionné dans la Thora et l’Évangile, et le second envisageant la compréhension d’un verset, S61.V6, supposé faire témoigner Jésus de la venue après lui d’un prophète nommé Ahmad, voir : Ahmad ou Muhammad ?

L’histoire des trois grandes religions monothéistes est de nature concurrentielle et chacune a toujours cherché à se démarquer de la précédente tout en paradoxalement s’en légitimant. De ce fait, nous les qualifions régulièrement de religions sœurs, mais sœurs ennemies, car au sein de toute famille les relations, bien que dictées par le lien de sang, sont souvent conflictuelles. Dans ce processus d’emprunts et de recyclages successifs des données appartenant à l’aînée immédiate, la logique dominante est de nature apologétique. Est ainsi alimentée une  propagande conceptuelle dont l’objectif premier est de se réclamer plus véridique que la religion précédente selon un principe de réactualisation, en quelque sorte se réclamer de celle que l’on cherche à évincer. En ces relations fratricides, chacune de nos trois demi-sœurs a cherché à invalider sa concurrente et, en cette macabre compétition théologico-religieuse, le prophète de l’autre a été pris en otage afin de lui faire avouer sa propre caducité. En effet, si chaque prophète est censé avoir annoncé son successeur, il reconnaît ainsi que son propre message n’a plus cours. Qu’en est-il donc du propos coranique et, corollairement, de l’annonciation de Muhammad dans la Bible ?

 

• Que dit l’Islam

– l’Islam n’a pas dérogé à la logique théo-politico-religieuse précédemment évoquée. Le procédé est donc de bonne guerre, il relève de la propagande apologétique et a été utilisé par les chrétiens vis-à-vis du judaïsme. Aussi, l’Islam s’en empara-t-il pour, en interne, accentuer la véracité de Muhammad et, en externe, tenter de convaincre juifs et chrétiens du bien-fondé de la mission prophétique de Muhammad.

– Quoi qu’il en soit, concernant directement l’Annonciation de Muhammad dans la Bible, un seul verset a pu être convoqué au tribunal islamique, nous le donnons ici selon la traduction standard : « Ceux qui suivent le Messager, le Prophète illettré qu’ils trouvent écrit (mentionné) chez eux dans la Thora et l’Évangile. Il leur ordonne le convenable, leur défend le blâmable, leur rend licites les bonnes choses, leur interdit les mauvaises, et leur ôte le fardeau et les jougs qui étaient sur eux. Ceux qui croient en lui, le soutiendront, lui porteront secours et suivront la lumière descendue avec lui [le Coran] ; ceux-là seront les gagnants », S7.V157.

En fonction de leur interprétation de ce verset, les exégètes se sont donc évertués à rechercher dans la Bible les versets auxquels le Coran ferait allusion en ces termes :  « qu’ils trouvent mentionné chez eux dans la Thora et l’Évangile ». Or, illogiquement, le Coran ne cite pas sa source, probablement alors pour compliquer les choses ! Bien évidemment, il est possible de trouver de très nombreux versets bibliques pouvant être surinterprétés en ce sens, exactement comme le christianisme le fit quant à l’annonce de Jésus par l’Ancien Testament. Ainsi, a-t-il été parfois retraité les mêmes versets, un exemple dans l’Ancien Testament : Esaïe : 42, 1-4 : « Voici Mon serviteur que Je soutiens, Mon élu que j’ai moi-même en faveur; J’ai mis Mon esprit sur lui. Pour les nations il fera paraître le jugement, il ne criera pas, il n’élèvera pas le ton, il ne fera pas entendre dans la rue sa clameur… » Pour l’exégèse chrétienne, il s’agit de l’annonce de Jésus et, pour l’exégèse musulmane, de l’annonce de Muhammad !  Chacun, bien évidemment, ayant alors fourni un portrait de son prophète présentant les mêmes caractéristiques…

Cependant, la « la Thora et l’Évangile » ne composent qu’une partie de la Bible et, concernant « la Thora », c’est-à-dire le Pentateuque, un seul verset pourrait sérieusement être candidat à l’annonce du Prophète : « Yahveh me dit [c.-à-d.. à Moïse] : Je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète tel que toi ; Je mettrai Mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que Je lui commanderai. », Deutéronome : XVIII, 18. L’exégèse chrétienne admet à juste titre qu’en fonction des chapitres XVII et XVIII il faut ici comprendre une suite de prophètes juifs envoyés chaque fois que nécessaire aux Hébreux, mais elle interprète aussi ce verset en affirmant que cela inclut Jésus en tant que Messie parachevant cette lignée prophétique juive. Nonobstant, nos exégètes ont répliqué ce même procédé interprétatif pour soutenir qu’il s’agissait de Muhammad !

Cependant, et contrairement  au sens que l’on veut donner au segment « le Messager, le Prophète illettré qu’ils trouvent mentionné chez eux dans la Thora », le nom de Muhammad n’est pas « mentionné » d’une manière ou d’une autre dans « la Thora » et, de manière générale, dans l’Ancien Testament. L’on a donc cherché la preuve tant désirée dans « l’Évangile » et  l’attention de nos exégètes ne pouvait être que retenue par l’annonce du Paraclet que Jésus fit, notamment dans l’évangile selon Saint Jean : « …et moi [Jésus] je prierai le Père, et Il vous donnera un autre Consolateur/Paraclet, pour qu’il demeure toujours avec vous : c’est l’Esprit de Vérité… »[1] Ceci étant, le nom de Muhammad n’apparaît toujours pas textuellement, il a alors été imaginé astucieusement, mais de manière linguistiquement fantaisiste, une double manipulation. L’on a ainsi prétendu que le terme grec παϱάϰλητος/parakletos rendu par paraclet et traduit par consolateur, intercesseur avait été altéré et qu’il fallait le lire πεϱιϰλυτὸς/periklutos avec alors le sens de illustre, renommé. En ce cas, le rapprochement avec la signification du nom Muḥammad devenait possible puisque ce dernier signifie louangé. Cependant, une telle hypothèse raisonne “à la sémite” puisque, si en arabe les voyelles sont interchangeables à partir de la ligne consonantique, modifiant ainsi le sens, ceci n’est bien évidemment pas possible en grec, langue indo-européenne écrivant la totalité des voyelles sur la ligne ! Malgré tout, et pour combler l’espace résiduel lexical entre illustre et louangé, il a alors été rapproché la traduction syriaque du terme paraclet/consolateur par munḥamannâ de la racine arabe ḥ.m.d, racine du participe muḥammad. Cependant, là encore, l’approximation est nette puis que munḥamannâ provient de la racine syriaque n.h.m/consoler bien différente de la racine arabe ḥ.m.d. Rien donc de bien crédible en ces spéculations linguistiques de nos exégètes. Enfin, en ce verset de l’Évangile pris à son compte par l’exégèse islamique il est clair, et de nombreuses occurrences croisées le confirment, il est explicitement dit que le Paraclet/Consolateur en question est « l’Esprit de Vérité » qui, selon le christianisme, correspond à l’Esprit-Saint, nous en reparlerons en S61.V6.

  • Que dit le Coran

Une fois raisonnablement écarté les surinterprétations de S7.V157 produites par l’Islam, mais aussi l’islamologie, et après avoir explicité les motivations et les approximations qui les caractérisent, nous pouvons à présent en réaliser l’analyse littérale. Voici donc la traduction littérale du premier de ces deux versets : « ceux qui suivent le messager, le prophète de leur peuple/ummiyy qu’ils trouvent mentionné à leur égard dans la Thora et l’Évangile. Il les incite au convenable, leur condamne le blâmable, leur permet les bonnes choses et leur interdit les ignobles, leur ôte leur fardeau et les carcans qui pesaient sur eux. Ceux qui alors crurent en lui, le respectèrent, l’assistèrent et suivirent la lumière qui par lui était descendue, ceux-là sont les bienheureux. », S7.157.[2]

– Pour l’Islam, l’enjeu imposé à ce verset est d’importance : prouver que la Bible annonçait Muhammad et qu’en conséquence il est demandé aux juifs et aux chrétiens de le suivre, c’est-à-dire d’abandonner leurs propres religions. C’est selon cette logique apologétique qu’est alors compris la fin du v156 : « Ma miséricorde embrasse toute chose et Je l’appliquerais à ceux qui craignent pieusement font l’aumône et à ceux qui en nos versets  croient », le terme « aumône » étant compris au sens islamique d’impôt religieux/zakât[3] et celui de versets/âyâ comme concernant le Coran. Or, l’analyse contextuelle montre que ce verset est inscrit en un très long chapitre coranique couvrant du v103 au v171 dont le sujet est l’évocation de l’histoire de Moïse et des atermoiements des Fils d’Israël. Le fil conducteur général de ce récit est le suivant : le refus des hommes de suivre le messager de Dieu qui leur a été est envoyé et il en était de même au chapitre v59 à v102 relatif aux cités détruites pour avoir démenti leur messager. Plus encore, il s’agit là du thème majeur de cette sourate annoncé dès son introduction : « combien de cités avons-Nous détruites », v4, et « Nous interrogerons ceux qui leur furent envoyés, Nous interrogerons très certainement les envoyés », v6.  L’on note alors qu’au v155 est évoquée cette notion de destruction visant ceux qui mirent en doute le prophète qui leur avait été envoyé, en l’occurrence Moïse : « Ô, mon Seigneur ! Si tu l’avais voulu, Tu les aurais anéantis auparavant ainsi que moi ! Nous détruiras-Tu pour ceux qu’ont fait les sots d’entre nous ? ! » L’invocation de Moïse se termine au v156 et exprime leur repentir, ce à quoi Dieu répond : « Ma miséricorde embrasse toute chose et Je l’appliquerais à ceux qui craignent pieusement ». Le v157 poursuit cette réponse divine puisque le pronom démonstratif ceux/al–ladhîna qui l’initie : « ceux qui suivent le messager » continue de définir[4] « ceux qui craignent pieusement » et donc bénéficient de Sa  « miséricorde »,v156.

– En ce contexte, et selon la thématique de la sourate : le refus de suivre les messagers de Dieu,  il est alors rappelé aux croyants des trois grandes religions monothéistes que Sa miséricorde s’applique à tous « ceux qui suivent le messager ». Bien évidemment, cela ne peut signifier qu’il faille suivre Muhammad puisque thématiquement il s’agit de l’élargissement de la réponse faite à Moïse vis-à-vis du devenir de son peuple. Les juifs ne sont pas condamnés à abandonner leur religion et à suivre le Prophète Muhammad, mais logiquement appelés à suivre leur « messager » : Moïse. Ceci est du reste directement confirmé au v159 : « et parmi le peuple de Moïse il y a une communauté qui se guide par la vérité et, par elle, est juste », communauté judaïque dont il est ici indiqué sa conformité au descriptif de notre v157 et, les concernant donc, au nom de Moïse :  « il les incite au convenable, leur condamne le blâmable, leur permet les bonnes choses et leur interdit les ignobles, leur ôte leur fardeau et les carcans qui pesaient sur eux. Ceux qui alors crurent en lui, le respectèrent, l’assistèrent et suivirent la lumière qui par lui était descendue, ceux-là sont les bienheureux. »

– Ce constat littéral permet alors de comprendre contextuellement le segment introductif : « ceux qui suivent le messager, le prophète de leur peuple/ummiyy, qu’ils trouvent mentionné à leur égard dans la Thora et l’Évangile ». La mention ici de « la Thora et l’Évangile » et au v158 de Muhammad en tant que « messager de Dieu » signale un élargissement du propos coranique, mais toujours selon la ligne thématique de cette sourate et de ce passage : l’acceptation des croyants de leur « messager » et le respect de leur enseignement, enseignement identique quelque soit le prophète concerné : « il les incite au convenable, leur condamne le blâmable, etc. ». Ainsi, est-il demandé aux juifs à ce qu’ils « suivent le messager » qu’ils « trouvent mentionné à leur égard dans la Thora », c’est-à-dire Moïse, et de même est-il demandé aux chrétiens à ce qu’ils « suivent le messager qu’ils trouvent mentionné à leur égard » dans « l’Évangile », c’est-à-dire Jésus. Pareillement, au v158 il sera donc logiquement dit aux premiers adeptes de Muhammad : « suivez-le, puissiez-vous être bien guidés ». Autrement formulé, la vision holistique et inclusive des religions monothéistes selon le Coran est à nouveau confirmée et il est rappelé à chacun, juifs, chrétiens et musulmans, qu’ils ont comme devoir de suivre le «  messager » qui est à l’origine de leur Écrit et de respecter le message qu’il leur a transmis, appel constant toutes révélations confondues. C’est en ce sens qu’il est dit par ailleurs « …et si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté religieuse, mais il en est ainsi afin que vous puissiez exprimer ce qu’Il vous a donné. Rivalisez donc en bonnes œuvres… », S5.V48.[5] Dès lors, nous saisissons que lorsque l’Exégèse prétend que le v157 traite de l’annonce de Muhammad dans « la Thora et l’Évangile » elle égare grandement le sens tout en générant un problème important puisque nous avons vu qu’il était impossible d’affirmer que Muhammad  était mentionné dans la « Thora et l’Évangile » !

– Une fois compris le sens de ce verset en fonction de la contextualité et de la cohérence coranique,[6] l’analyse lexicale peut expliciter la signification du mot-clef ummiyy et mesurer comment l’Exégèse en a modifié la perception en l’assimilant uniquement à la figure de Muhammad au service de sa lecture exclusiviste. Étymologiquement, le singulier ummiyy est classé par les lexiques en tant que dérivant de la racine arabe amma dont le sens premier est : frapper au niveau de la tête. De là, marcher en tête, diriger, être devant, enseigner, d’où par exemple le terme imâm. C’est sans doute une partie de cet aspect lexical qui est à l’origine  du substantif umm/mère au sens figuré de principe, source, fondement, prototype, tête puis, secondairement, au sens concret de mère en tant que synonyme de wâlida/celle qui engendre. Lorsque ummiyy est rattaché à la racine arabe amma il prend donc pour sens : maternel, à l’état natif et, de là : ignorant, inculte, sot, voire illettré. Dans le Coran, ce champ lexical arabe n’est retrouvé qu’en deux occurrences et au pluriel : ummiyyûn, ce qui en justifie notre traduction par « sottes gens » en S2.78 et « ceux qui sont sans Écritures » en S3.V20.[7]  Cependant, ce rattachement au radical arabe n’explique pas les deux autres significations coraniques de ce terme. Or, il est bien établi que l’adjectif ummiyy est aussi construit à partir d’un emprunt anté-coranique du pluriel hébreu ummah, via probablement le syro-araméen, et signifiant peuples, nations. Ceci vérifie alors naturellement le sens du terme arabe umma de même signification[8] et qui, dans le Coran, prend aussi parfois le sens de communauté. Nous trouvons donc là un des nombreux exemples de classement radical arbitraire.[9] Présentement, ce lien direct avec les notions de peuple et nation explique un autre sens coranique du pluriel al–ummiyyûn en tant qu’adjectif dérivé de cette origine non-arabe : « les Gentils », en deux occurrences : S3.V75 et S62.V2. Ce qualificatif provient du latin gentilis et désignait pour les juifs les non-juifs et, pour les chrétiens, les païens. C’est selon cette approche qu’il est donc prêté en S3.V75 aux Gens du Livre et désigne à leurs yeux les Arabes païens, c’est-à-dire polythéistes, et donc non-juifs et non-chrétiens, et il s’entend de même en S62.V2.

Les quatre occurrences coraniques que nous venons d’envisager concernent le pluriel déterminé al–ummiyyûn, mais ne rendent pas compte du singulier ummiyy qui, dans le Coran, n’est employé à vrai dire qu’à deux reprises et en annexion avec le nom nabiyy/prophète : an–nabiyy al–ummiyy, ces deux occurrences se trouvant justement en nos vs157-158. Partant du fait qu’au v157 nous avons montré qu’il était question de Moïse et de Jésus, tous deux donc qualifiés par nabiyy al–ummiyy, aucune des trois significations de ummiyy que nous avons jusqu’à présent rencontrées ne peuvent s’appliquer à ces deux prophètes : sot, illettré, Gentils. Par ailleurs, au v158 c’est le Prophète qui est caractérisé par la même locution : an–nabiyy al–ummiyy laquelle ne peut avoir raisonnablement que le sens voulu au v157, même si l’on aurait pu penser que cela désignait Muhammad en tant que  prophète des Arabes/les Gentils ou en tant que prophète illettré, mais cela serait alors totalement hors contexte. À partir de cette base littérale, nous évacuerons du champ de nos pensées la question de l’illettrisme supposé de Muhammad puisque le Coran ne l’envisage pas en ces termes. Aussi, une dernière possibilité linguiste demeure : considérer que le singulier ummiyy est construit à partir du pluriel umam/peuples, nations et s’entend comme signifiant : de son peuple. Le sens de la locution an–nabiyy al–ummiyy est donc « le prophète de leur peuple »,[10] ce qui est en accord avec le sens du segment initial « ceux qui suivent le messager, le prophète de leur peuple qu’ils trouvent mentionné à leur égard dans la Thora et l’Évangile », c’est-à-dire Moise et Jésus. La mention de Muhammad en tant que prophète s’inscrit alors avec cohérence au v158, et en les mêmes termes, en se proposant comme concernant toute l’humanité quand bien même tout prophète prêche initialement à son peuple : « Dis : Ô Hommes ! Je suis le messager de Dieu qui vous est envoyé, à tous, …Croyez donc en Dieu et Son messager, le prophète de votre peuple [c.-à-d. Quraysh]…et suivez-le… » Ainsi, la séquence mise en place aux vs157-158 est parfaitement conforme à une donnée essentielle du Coran quant au cycle des prophètes : « Nous avons envoyé à chaque peuple un messager », S16.V36.[11]

En résumé, le terme ummiyy dans le Coran revêt quatre significations distinctes : au pluriel et déterminé par l’article : al–ummiyyûn, il a pour sens les sottes gens, ceux qui sont sans Écritures sacrées, les Gentils et, au singulier, il signifie : qui est de son peuple. Rappelons-le, ce résultat littéral invalide un pan entier de la mythologie prophétique musulmane, le Coran ne qualifie pas Muhammad de prophète illettré, quand bien même celui-ci l’aurait été, ce qui est loin d’être acquis…

– Du point de vue de l’analyse sémantique, quelques observations retiennent l’attention. Le participe maktûb signifie écrit, c’est-à-dire ici mentionné, n’a pas pour sens annoncé comme on le retrouve en certaines traductions qui cèdent ainsi à l’interprétation classique. Notons que si le v157 avait dû postuler que Muhammad était annoncé dans la Bible, il n’aurait pas fallu se contenter d’affirmer qu’il était nominalement mentionné, mais indiquer explicitement qu’il y est bien annoncé, ce qui n’est bien évidemment pas le cas. Par « à leur égard  » nous rendons l’apposition ‘inda-hum, litt. : chez eux, qui n’était pas nécessaire syntaxiquement, mais dont la présence est donc de renforcer l’idée que juifs et chrétiens « suivent » chacun « le messager » qui « à leur égard » leur était destiné. L’on peut aussi constater qu’en la conclusion du v157 les verbes sont au passé : « ceux qui alors crurent en lui, le respectèrent, l’assistèrent et suivirent la lumière qui par lui était descendue, ceux-là sont les bienheureux », ce qui, au moment d’énonciation du Coran, correspond bien à une description passée de l’engagement  des juifs et des chrétiens envers leur prophète respectif et en énonce la validation divine : « ceux-là sont les bienheureux ». Cependant, afin d’annuler ce propos coranique explicite  la traduction standard, parmi d’autres fidèles à l’Exégèse, rend cet enchaînement par un présent puis un futur « ceux qui croient en lui, le soutiendront, lui porteront secours et suivront la lumière descendue avec lui [le Coran] ; ceux-là seront les gagnants ». Cette manœuvre est destinée à donner l’impression qu’il est demandé aux juifs et aux chrétiens de suivre Muhammad s’ils veulent être sauvés. Au passage, il est glissé que l’appellation « la lumière qui par lui était descendue » caractérisant la révélation dont Moïse et Jésus ont bénéficié ne qualifierait que le Coran : « la lumière descendue avec lui [le Coran] » ! Enfin , plus subrepticement, l’on notera l’usage volontaire par la traduction standard de majuscules stratégiques : « Ceux qui suivent le Messager, le Prophète illettré ». Ce procédé est d’ordinaire utilisé quant à la personne de Muhammad : le Prophète, le Messager,  il s’agit donc ici d’influencer d’emblée la compréhension du lecteur. De même, la majuscule à « Ceux » n’est pas innocente, car en réalité ce début du v157 n’est que la continuation de la fin du v156 qui du reste en constitue la proposition principale. En opérant ainsi une césure, le lien direct avec Moïse et le judaïsme et plus largement la proposition principale « Ma miséricorde embrasse toute chose et Je l’appliquerais à ceux qui craignent pieusement font l’aumône et à ceux qui en nos versets  croient » du v156 s’en trouve effacé. Inutile enfin de revenir sur l’inexistence de la locution « le Prophète illettré », mais qui ici employée par l’Exégèse résonne puissamment avec le mythe apologétique du Prophète illettré de l’Islam et engendre une forte circularité herméneutique dirigeant la compréhension en l’esprit du lecteur.

Au final, le sens littéral commenté de ce verset est le suivant : « ceux [juifs ou chrétiens] qui suivent le messager, le prophète de leur peuple [respectif] qu’ils trouvent mentionné à leur égard dans la Thora et l’Évangile [c.-à-d. Moïse et Jésus]. Il [Moïse pour les juifs et Jésus pour les chrétiens] les incite au convenable, leur condamne le blâmable, leur permet les bonnes choses et leur interdit les ignobles, leur ôte leur fardeau et les carcans qui pesaient sur eux [comme tous les prophètes ont mission de le faire]. Ceux [ juifs et chrétiens]  qui alors crurent en lui [Moïse pour les premiers et Jésus pour les seconds], le respectèrent, l’assistèrent et suivirent la lumière qui par lui était descendue [la Thora pour Moïse et l’Évangile pour Jésus], ceux-là sont les bienheureux.[ c’est dire que juifs et chrétiens qui se seront conformés au message de leur prophète bénéficieront du Salut] », S7.157.

 

• Conclusion

L’analyse littérale de S7.V157 aura mis en évidence le détournement de sens dont il a été victime, mais aussi du même attentat surinterprétatoire à l’encontre de la Bible ici impliquée à tort. Pour l’Exégèse, il s’agissait selon une logique concurrentielle d’avec le judaïsme et le christianisme de parvenir à trouver une preuve coranique permettant de soutenir une thèse équivalente à celle de ces religions, à savoir : le prophète des autres est en quelque sorte invalidé par la mention dans les Textes sacrés de son successeur dans le temps. L’Islam, bon dernier dans la cour, avait donc beau jeu d’annihiler ces concurrentes en leur faisant annoncer par elle-même leur fin : la venue du Prophète qui allait les effacer, ce alors même que le Coran nous enjoint de croire et de dire quant à tous les messagers de Dieu : « nous ne faisons aucune distinction entre eux ».[12]

En réalité, S7.V157 n’est qu’un des multiples appels coraniques adressés aux Gens du Livre – et par voie de conséquence, aux musulmans, cf. v158 – les invitant à se conformer autant que faire se peut au Message qui leur a été transmis par leurs prophètes respectifs et d’être de « ceux qui suivent le messager, le prophète de leur peuple ». Cela concerne donc au v157 Moïse pour les juifs, Jésus pour les chrétiens « qu’ils trouvent mentionné à leur égard dans la Thora et l’Évangile » et au v158 Muhammad pour les musulmans. La communauté de leur message en tant que constitutif de leurs religions est ainsi rappelée de manière synthétique : « Il les incite au convenable, leur condamne le blâmable, leur permet les bonnes choses et leur interdit les ignobles, leur ôte leur fardeau et les carcans qui pesaient sur eux ». L’unicité du Message divin et de la mission prophétique est à l’image de l’Unicité de Dieu et la multiplicité des religions en découlant est à l’image de la pluralité des hommes. Il convient donc de respecter cette pluralité religieuse au nom de cette Unicité-unité et non pas de la nier en prétendant que l’on possède le meilleur prophète de la meilleure religion, car : « …si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté religieuse, mais il en est ainsi afin que vous puissiez exprimer ce qu’Il vous a donné. Rivalisez donc en bonnes œuvres…»[13] Rien ne sert de prétendre que l’on est suiveur du meilleur Messager et membre de la meilleure religion, car le meilleur prophète et la meilleure religion sont celui et celle qui nous rendent meilleurs, que l’on soit juif, chrétien ou musulman !

Dr al Ajamî

 

[1] Évangile selon Saint jean : XIV, 16-17.

[2] S7.V157 :

الَّذِينَ يَتَّبِعُونَ الرَّسُولَ النَّبِيَّ الْأُمِّيَّ الَّذِي يَجِدُونَهُ مَكْتُوبًا عِنْدَهُمْ فِي التَّوْرَاةِ وَالْإِنْجِيلِ يَأْمُرُهُمْ بِالْمَعْرُوفِ وَيَنْهَاهُمْ عَنِ الْمُنْكَرِ وَيُحِلُّ لَهُمُ الطَّيِّبَاتِ وَيُحَرِّمُ عَلَيْهِمُ الْخَبَائِثَ وَيَضَعُ عَنْهُمْ إِصْرَهُمْ وَالْأَغْلَالَ الَّتِي كَانَتْ عَلَيْهِمْ فَالَّذِينَ آَمَنُوا بِهِ وَعَزَّرُوهُ وَنَصَرُوهُ وَاتَّبَعُوا النُّورَ الَّذِي أُنْزِلَ مَعَهُ أُولَئِكَ هُمُ الْمُفْلِحُونَ

[3] Sur ce point ,voir : La Zakât selon le Coran et en Islam.

[4] Ce lien syntaxique est renforcé par l’absence même de la particule de jonction « wa/et/quant à » qui aurait pu introduire un nouveau propos, ce qui n’est donc pas le cas ici.

[5] Cf. La Pluralité religieuse selon le Coran et en Islam.

[6] Sur cet important point méthodologique, voir : Intratextualité : Exhaustivité, Non-thématicité, Cohérence, Convergence.

[7] Voir notre note explicative en ce verset de S3. L’emploi coranique de ummiyy est ici spécifique, ce qui a pour conséquence, comme nous allons le confirmer plus avant, que le Coran n’utilise pas le terme umiyy avec le sens de illettrés, contrairement à ce que les usages traductionnels laisse apparaître.

[8] Ceci explique aussi que les spéculations traductionnelles rendant par exemple le terme umma par matrie, sont sans fondement puisque le terme umma est sans rapport avec la racine arabe amma. Il faut aussi en la matière tenir compte du fait que lorsqu’un terme étranger est adopté en une langue, ce phénomène est sélectif et ledit terme n’est pas nécessairement corrélé à son étymologie première, ce qui est bien ici le cas puisqu’en hébreux ummah est construit sur la racine hébraïque em qui signifie effectivement mère, naissance.

[9] Sur ce point source d’erreurs ou d’errements  importants du sens, voir : Analyse lexicale et  Les réentrées lexicales.

[10] Nous pouvons observer qu’il n’est jamais dit dans le Coran ar–rasûl al–ummiyy, car il n’est pas concevable que le transmetteur du message divin soit considéré comme un illettré. Conformément au sens qu’aurait cette locution : le messager de son peuple, elle ne pourrait pas de même être employée par le Coran puisque le Message ainsi délivré localement est par essence destiné à l’Humanité.

[11] S16.V36 : « … وَلَقَدْ بَعَثْنَا فِي كُلِّ أُمَّةٍ رَسُولًا ». À ce sujet, voir  le Pacte des prophètes en note des vs81-82 de S3.

[12] Fondamentale égalité plusieurs fois répétée : S2.V136 ; S2.V186 ; S3.V84 ; S4.V152.

[13] S5.V48, cf. La pluralité religieuse selon le Coran et en Islam.