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L’interdiction du vin/khamr et des boissons alcoolisées selon le Coran et en Islam

S2.V219 ; S4.V43 ; S5.V90 ; S5.V91-92

 

S’il y a une ligne de démarcation culturelle et cultuelle entre monde occidental et monde musulman, c’est bien la ligne rouge du vin. Toute séparation est aussi une limite partagée, un isthme, et l’on assiste régulièrement à des tentatives sécularisantes visant à contourner ou négocier cet interdit de l’Islam. Les islamologues et nombre d’intellectuels musulmans ont  depuis longtemps ouvert la voie, la brèche, et entre prohibition et libéralisation ont prôné un « à consommer avec modération » dont l’origine ne fait aucun doute. Il y aurait ainsi, au-delà de nos séparations, à fraterniser autour de l’alcool, marque de mondanités pour les uns, modernité pour certains, occidentalisation pour les autres.

La confusion ne naît donc pas que de l’ivresse, et les arguments avancés pour justifier de la licéité coranique de cette consommation sont aussi troubles et légers que les vapeurs d’alcool, nous le verrons. Aussi, bien que pour l’immense majorité des musulmans la question ne fasse pas débat, qu’en est-il réellement des arguments invoqués par les adeptes d’une certaine libéralisation ? Que dit vraiment le Coran de l’interdiction des boissons alcoolisées, sujet tout aussi consensuel que polémique ?

 

• Que dit l’Islam

Pour ne pas avoir à anticiper sur les résultats de notre analyse littérale, nous citerons pour l’instant le terme arabe al–khamr selon son acception la plus courante : le vin, ou bien nous emploierons directement sa transcription. À priori, l’on note en Islam un double consensus : l’interdiction du khamr et la chronologie de cette interdiction. En effet, il est classiquement admis que la prohibition du khamr fut progressive, représentant prétendument en cela une attentionnée pédagogie divine, en voici la teneur selon la traduction standard :

– Première étape : le Coran aurait souligné l’aspect négatif, mais aussi positif du khamr afin de sensibiliser les musulmans à la problématique : « Ils t’interrogent sur le vin/al–khamr et les jeux de hasard/al–maysir. Dis : Dans les deux il y a un grand péché et quelques avantages pour les gens ; mais dans les deux, le péché est plus grand que l’utilité…», S2.V219.

– Deuxième étape : le Coran aurait dans un premier temps seulement interdit de prier en état d’ivresse : « Ô les croyants ! N’approchez pas de la Ṣalât/prière alors que vous êtes ivres, jusqu’à ce que vous compreniez ce que vous dites…  », S4.V43.

– Troisième étape : le Coran aurait enfin franchi le cap et proclamé une interdiction définitive : « Ô les croyants ! Le vin/al–khamr, le jeu de hasard/al–maysir, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu’une abomination, œuvre du Diable. Écartez-vous-en, afin que vous réussissiez. », S5.V90.

Il résulte de cette approche particulière un double consensus : 1- quant à l’idée  de la démarche progressive de l’interdiction du khamr. 2- quant au fait que l’interdiction ne portait que sur ce que l’on nommait khamr à l’époque de la  révélation du Coran. Au-delà, il n’y plus d’unanimité, et les controverses ont essentiellement porté quant à savoir quelle(s) boisson(s) désignait le mot khamr. Pour la majorité, soucieuse de salubrité publique, il fut affirmé que le mot khamr qualifiait toutes substances enivrantes, mais il y a toujours eu une minorité, notamment selon l’École Hanafite, pour soutenir que le mot khamr ne désignait que ce qui était khamr pour les Arabes à l’époque coranique : le vin de raisin ou de dattes. Selon ces avis, il est donc possible de boire tout autre type de boissons alcoolisées pourvu que l’on n’atteigne pas l’ivresse. À l’époque contemporaine, ce type d’approche est souvent repris par ceux qui affirment plus largement encore que le Coran n’interdit pas le khamr/vin, ni aucun autre alcool, puisqu’il est seulement dit de s’en tenir éloigné :  « écartez-vous-en », S5.V90, et que l’on doit selon S4.V3 uniquement éviter l’ivresse, versets précédemment cités. L’on voit donc comment la théorie de la pédagogie divine est ici retournée par la stratégie humaine, car l’interdiction progressive supposée en ces versets maintient de facto dans le texte coranique trois approches différentes de la question du khamr !

 

• Que dit le Coran

La chronologie classique des trois versets-clefs précédemment cités est probablement admissible,[1] mais la notion d’interdiction progressive du khamr est, comme l’Analyse littérale va le montrer, erronée.

1– Voici donc la traduction littérale de la partie fonctionnelle du premier verset chronologiquement cité par l’Exégèse : « Ils t’interrogent quant au vin/al–khamr et à la divination/al–maysir. Réponds : En les deux il y a grand péché et quelques profits pour les gens, mais pour les deux le péché est bien plus important que leur avantage… »[2] Si l’on doit écarter de principe les nombreuses « circonstances de révélation »[3] qui ont été imaginées, l’on est en droit de se demander quelles raisons ont en l’occurrence poussé les primo-musulmans à interroger le Prophète : « ils t’interrogent quant au vin/al–khamr ». Soit le Coran  avait déjà abordé le sujet et il fut demandé des éclaircissements, mais la chronologie semble infirmer cette hypothèse. Soit l’on peut supposer que l’association du khamr et du maysir en cette question est en interaction avec des pratiques de la communauté juive de Médine. En effet, il est établi que dans le judaïsme la consommation de vin, quoique tolérée doit rester modérée et que tout art divinatoire est strictement interdit.[4] Pour notre traduction de maysir par  « divination », voir : L’interdiction des jeux de hasard selon le Coran et en Islam.

Ceci étant rappelé, selon les tenants de l’interdiction progressive à des fins pédagogiques, ce verset aurait seulement souligné en un premier temps que le khamr possédait plus d’aspects négatifs que positifs :  « pour les deux le péché est bien plus important que leur avantage » Or,  de toute évidence, déclarer que dans le khamr  « il y a grand péché/ithm kabîr » suffit à l’interdire radicalement, car l’on ne peut pas supposer que la rigueur du Coran en matière de bonnes actions versus péchés pourrait permettre une pratique qualifiée de « grand péché » ! La réponse par voie de révélation à la question posée est donc sans appel : le khamr est un « grand péché » qu’aucun « avantage » ne justifie et sa condamnation morale est par conséquent définitive. Du reste, l’on note que dire du khamr qu’il est un grand péché/ithm, au singulier, renforce  l’idée que ce ne sont pas les conséquences multiples de sa consommation qui sont présentement visées, mais le khamr lui-même, principiellement. Il s’agit donc d’une interdiction totale qui ne tient pas compte du degré d’absorption, mais de l’aspect immoral du khamr comme le confirmera en S5.V90 l’emploi synonyme du verbe ḥarrama/interdire moralement.[5] De plus, l’on ne voit pas quelle pédagogie il y aurait à permettre un « grand péché » ! Enfin, la disqualification absolue du khamr distingue donc la position coranique de la tolérance judaïque et de la permissivité chrétienne.

2– En ces conditions, nous pouvons envisager le deuxième verset-clef, voici la traduction littérale de la partie concernant le sujet : « Ô croyants ! N’approchez pas de la prière alors que vous êtes ivres jusqu’à ce que vous sachiez ce que vous dites !… »[6] Étant donné que le verset précédent avait interdit de manière catégorique l’usage du khamr, ce verset ne peut se comprendre comme un deuxième palier d’interdiction tel que l’idée d’une progression pédagogique de l’interdit le suppose. C’est donc bien directement le fait de prier en état d’ivresse qui est ici explicitement condamné. Cependant, le rappel de l’interdiction  de toute consommation de khamr est aussi implicite puisqu’elle avait déjà été édictée en S2.V219, interdiction totale qui frappait autant le peu boire que le trop boire. Il n’y a donc là pas argument pour ceux qui en la condamnation apparente de l’ivresse voient une autorisation tacite en faveur d’une consommation modérée. De plus, selon leur opinion même, il nous faudrait déduire et admettre de ce verset qu’il autoriserait à contrario de prier en ayant bu avec modération, légèrement saoul en somme ! À nouveau, en quoi une telle permissivité favorisait-elle la prise de conscience du mal lié au khamr ? Quelle progression pédagogique justifierait que le Coran ait permis de commettre un « grand péché » afin d’être autorisé à prier sous prétexte que l’on saurait tout de même en mesure de comprendre ce que l’on dit : « jusqu’à ce que vous sachiez ce que vous dites » ? !  En ces conditions, seule l’ivrognerie serait interdite et l’on pourrait aller prier après avoir bu un bon petit coup pour se ragaillardir ! Les spiritueux auraient-ils des vertus spirituelles ! Moralement, comment accepter que Dieu aurait après cela laissé ces fautifs errer dans leur ivrognerie, leur interdisant seulement la mosquée, mais leur autorisant la taverne ! Au final, le Sens littéral de ce verset met en évidence une double condamnation morale: avoir transgressé l’interdit frappant le khamr édicté en S2.V219 et, de plus, oser prier alors que l’on ne sait  pas même ce que l’on dit ou fait, d’où pour l’explicite de cette deuxième transgression: « n’approchez pas de la prière ».

– Avant que d’envisager le troisième et dernier verset concerné, nous pouvons à présent nous interroger sur les raisons qui ont amené les premiers exégètes à imaginer le concept d’interdiction progressive. D’une part, l’idée même d’une progression pédagogique de l’interdiction semble faire écho à une situation réelle : la non-éradication de l’alcool dans les sociétés musulmanes des IIe et IIIe siècles de l’Hégire. Il fallait donc pragmatiquement partir de ce constat en ayant comme objectif de parvenir progressivement à une prohibition réelle en justifiant au nom du Coran cet atermoiement réaliste. D’autre part, quand on sait le mythe d’infaillibilité qui entoure les Compagnons du Prophète, l’écran de fumée exégétique ainsi créé a permis plus ou moins inconsciemment de ne pas envisager que certains d’entre eux aient pu transgresser l’interdit coranique au point de venir prier ivres morts. Cependant, du point de vue rationnel, il n’y a rien d’étonnant à admettre que les habitudes culturelles liées à l’alcool ne puissent avoir été effacées d’un simple coup de baguette, fût-elle coranique. Par ailleurs, limite du système, les versets impliqués dans l’interdiction dite progressive du khamr étant toujours consignés dans le Coran, nous avons souligné que cette conception a toujours permis à certains de jouer avec les intervalles interprétatifs ainsi générés et d’affirmer que le Coran n’avait interdit que l’ivresse, en référence alors avec S4.V43. En raison de cette problématique apparemment aussi précoce que récurrente, il fut donc imaginé par d’autres une cascade abrogative selon laquelle S2.V219 est abrogé par S4.V43 à son tour abrogé par S5.V90 ! Cet arbitraire sciemment défendu est même donné fréquemment comme un parfait modèle d’abrogation coranique et de son utilité, c’est passer aux aveux sans même en avoir conscience ! [7]

3– Nous allons à présent étudier le troisième et dernier verset qui selon l’Exégèse aurait finalement édicté l’interdiction du khamr, prohibition qui aurait donc été mise en application immédiate par les Compagnons du Prophète ; en voici la traduction littérale : « Ô croyants ! En vérité, le vin/al–khamr, la divination/al–maysir, les bétyles et les flèches sacrées ne sont qu’une infamie/rijs, œuvre du Shaytân, alors évitez-le/ijtanibû-hu ! Puissiez-vous ainsi connaître la réussite ! »[8]

Puisque nous avons montré que l’interdiction avait été prononcée dès S2.V219, ce verset en est donc un rappel faisant alors logiquement suite à la transgression constatée et critiquée par S4.V43. Du reste, de nombreux versets de la sourate 5 sont consacrés à des rappels concernant les tabous et les interdits moraux coraniques tout en précisant certains de leurs aspects, tel est bien le cas de celui-ci. Par ailleurs, il convient de noter qu’en la locution « évitez-le/ijtanibû-hu » le pronom « hu », masculin singulier, se reporte obligatoirement au « Shaytân » et non à l’un ou l’autre des éléments cités. Ce n’est donc pas du khamr qu’il est demandé de s’éloigner, mais des tentations du  « Shaytân ». Ainsi, ceux qui prétendent que la locution « évitez-le/ijtanibû-hu  » signifie « évitez de boire le khamr » et qui ajoute que l’on ne peut pas dire que « le vin est haram » puisque le verbe ḥarrama/interdire n’est pas employé en cette locution et ne voient donc là qu’une simple recommandation, ceux-ci n’ont pas d’autre argument que l’envie de céder à leurs passions, c’est-à-dire fréquenter l’« œuvre du Shaytân ». Ce rappel est donc adressé aux « croyants » dont le Coran ne conçoit pas qu’ils puissent se laisser aller à suivre leur versant négatif. Il en résulte que l’interdiction vise, plus encore que le khamr, toute démarche altérant la purification nécessaire à la foi, d’où le fait que toute transgression de l’interdit frappant le khamr en S2.V219 revient à se rapprocher ici de ce qui est rijs, ce terme signifiant « infamie » ou souillure. D’autre part, nous avons largement démontré que dans le Coran une partie de ce que l’Islam classe dans la catégorie générale du “haram” correspond en réalité à une série de sept interdits moraux/taḥrîmât dont le khamr.[9] Or, s’agissant de ces interdits, le Coran  emploie parfois les formulations ijtanibû/évitez de et lâ taqrabû/ne vous approchez pas en tant que synonyme du verbe ḥarrama lequel renvoie directement à la catégorie des interdits moraux.[10] Ainsi, selon la catégorisation mise en évidence par notre analyse littérale, le khamr est un strict interdit moral ou, exprimé selon la terminologie de l’Islam : le khamr est haram.

4– Définition du khamr et champ d’application

Du point de vue terminologique, une fois admis par la grande majorité que le Coran interdisait totalement le khamr, il s’est depuis toujours trouvé une minorité de juristes pour affirmer que littéralement le Coran n’interdisait que le khamr lui-même, non pas la substance enivrante qu’il contient, mais ce que ce nom représentait : le vin et uniquement le vin. Du point de vue étymologique, le mot khamr, probablement d’origine araméenne et arabisé dès avant la révélation,  désigne effectivement le vin,[11]  c’est-à-dire le produit obtenu par fermentation du raisin. Néanmoins, les mêmes juristes ont défini le khamr comme étant du vin obtenu à partir des raisins, mais aussi des dattes. Cette position provient probablement du verset suivant : « Des fruits des palmiers et des vignes vous tirez une boisson enivrante et excellent aliment… », S16.V67, mais le terme khamr n’est pas cité en ce verset et, à vrai dire, il ne s’agit là que d’une surinterprétation, fût-elle consensuelle. De fait, selon l’usage linguistique des Arabes à l’époque de la Révélation, le terme khamr qualifie stricto sensu le vin.

Cependant, l’analyse littérale permet de dépasser l’approche terminologique et de comprendre ce que le Coran a réellement interdit sous le qualificatif khamr.  En effet, comme il est de règle pour tous les interdits moraux coraniques, le Coran fournit systématiquement des arguments les justifiant, ceci à la différence des tabous qui de principe ne sont jamais justifiés.[12] Ainsi, est-ce bien le v91 qui va nous informer sur les raisons de l’interdit moral frappant le khamr, ce qui conséquemment nous permettra de préciser ce que par khamr il faut entendre : « Le Shaytân ne désire que susciter entre vous l’inimitié et la haine de par le khamr et la divination. Et il désire vous détourner du rappel de Dieu et de la prière ; Allez-vous donc cesser ? ! »[13] Sémantiquement, la locution « allez-vous donc cesser » n’est pas en soi l’édiction d’un interdit, mais bien le rappel de ce qui a déjà été interdit et dont il est demandé à nouveau de ne plus le transgresser. Ceci confirme, comme nous l’avons montré, que l’interdit du khamr a été énoncé dès S2.V219 et qu’en S4.V43 c’est la transgression de cet interdit qui avait été dénoncée. Nous rappelons qu’en S4.V43 avait été condamné le fait que des musulmans aient bu et de plus avaient prié ivres, ce à quoi fait allusion ici le segment « il désire vous détourner du rappel de Dieu et de la prière ». Il est donc demandé une dernière fois de renoncer au khamr sans condition, et ce verset précise à cette ultime occasion qu’elle est la raison de cet interdit moral. En effet, le segment « Shaytân ne désire que susciter entre vous l’inimité et la haine de par le khamr » est explicite : la consommation de khamr dans une société est génératrice de violences, domestiques ou publiques, de comportements à risque et de nombreux désordres liés à la désinhibition provoquée par la consommation d’alcool. La prohibition du khamr est donc bien pour le Coran d’ordre moral et l’on doit noter que l’argumentaire mis en jeu est strictement sociétal.[14] C’est le collectif qui est concerné, non l’individu, ce qui a pour conséquence logique que par khamr n’est pas désigné un produit particulier comme le vin, mais la substance potentiellement responsable des effets dénoncés et rejetés par le Coran, donc : l’alcool. Il est ainsi parfaitement légitime de définir l’emploi coranique du terme khamr comme désignant toute boisson alcoolisée,[15] d’où à présent la traduction littérale : « Shaytân ne désire que susciter entre vous l’inimitié et la haine par la boisson alcoolisée/al–khamr », S5.V91.

Le Coran interdit donc les boissons alcoolisées du fait même qu’elles contiennent de l’alcool, ce qui interdit par conséquent toute consommation même celle dite « modérée ». Cette position est en parfaite adéquation avec le fait que le khamr est selon la catégorisation coranique un interdit moral, nous l’avons montré, et que selon le Coran ces sept interdits moraux[16] ne connaissent aucune possibilité d’aménagement ou de transgression temporaire, ce à la différence des tabous coraniques.[17]  D’une part, il n’y a donc aucun bien-fondé à l’autorisation classique permettant d’absorber une boisson alcoolisée pour celui dont la vie serait menacée du fait du manque d’eau.[18] D’autre part, il est tout aussi illégitime d’avoir imaginé, comme le fit le Droit islamique, des peines légales/ḥudûd pour ceux qui transgressent l’interdit du khamr. La condamnation de ceux qui transgressent les interdits moraux coraniques est selon le Coran la sentence suivante : « …Dieu n’aime pas les transgresseurs/al–mu‘tadîn ».[19]

 

Conclusion

L’Analyse littérale des versets-clefs ; S2.V219, S4.V43 et S5.V90-91, relatifs à la question de l’interdit du khamr selon le Coran aura permis de lever plusieurs ambiguïtés résultant de l’Exégèse classique elle-même.

1– Contrairement à ce que l’Exégèse soutient, l’interdiction du khamr n’a pas été progressive, mais édictée d’emblée par S2.V219.

2– De ce fait, S4.V43 ne se limite pas à seulement interdire la prière en état d’ivresse, mais condamne aussi la transgression de cette première interdiction par certains musulmans à Médine.

3–Aussi, S5.V90 est-il l’ultime rappel de l’interdiction du khamr tout comme il permet d’établir que le khamr entre dans la catégorie coranique des interdits moraux correspondant à l’emploi direct ou indirect du verbe ḥarrama.

4–Les raisons de cette prohibition sont fournies en S5.V91, lesquelles indiquent que ce n’est pas le khamr en tant que produit qui est visé, mais les effets néfastes de l’alcool sur la société.  Lorsque dans ce cadre le Coran emploie le terme khamr, il désigne de fait toutes boissons alcoolisées.

5– L’interdiction des boissons alcoolisées selon le Coran est totale, principielle et non-quantitative, elle frappe tout autant la consommation supposée modérée que celle reconnue comme immodérée.

6– Conséquemment, il n’existe aucun argument littéral coranique en faveur des thèses voulant restreindre l’interdiction du khamr au seul vin ou au seul état d’ivresse.

7– Toute consommation de boisson alcoolisée est une transgression d’un des sept interdits moraux[20] édictés par le Coran. Elle ne fait pas encourir de peines légales telles que le Droit musulman les conçoit, mais  expose à la perte de l’Amour divin, car «…Dieu n’aime pas les transgresseurs ».[21]

Dr al Ajamî

 

[1] L’ordre suivant : S2.V219 ; S4.V43 ; S5.V90-91 est un positionnement calquant l’ordre chronologique généralement admis de ces trois sourates, à savoir : S2–87ème ; S4–92ème et S5–112ème. La méthodologie d’analyse littérale reste prudente vis-à-vis de la chronologie et lui préfère la logique d’enchaînement des propos. Du point de vue technique, les classifications chronologiques supposent que les sourates soient des unités synchroniquement cohérentes. Autrement dit, durant la révélation d’une longue sourate il n’y aurait eu aucun autre passage coranique révélé, ce qui n’est guère concevable lorsqu’on examine les nombreuses périodes que couvre ce type sourate. Il est bien plus simple et logique d’admettre que nombre de versets aient été révélés indépendamment en tant qu’unité de sens et que leurs emplacements respectifs dans les sourates aient été indiqués par la suite, ce qui a pour conséquence que l’ordre de révélation chronologique de certains versets ne correspond pas à l’ordre chronologique de la sourate en laquelle ils sont inclus.

[2] S2.V219 : «…يَسْأَلُونَكَ عَنِ الْخَمْرِ وَالْمَيْسِرِ قُلْ فِيهِمَا إِثْمٌ كَبِيرٌ وَمَنَافِعُ لِلنَّاسِ وَإِثْمُهُمَا أَكْبَرُ مِنْ نَفْعِهِمَا »

 [3] Sur la non acceptation desdites circonstances par l’Analyse littérale du Coran, voir : Circonstances de révélation ou révélations de circonstance ? ; asbâb an–nuzûl.

[4] Sur ce dernier point, cf. par exemple : Deutéronome, Chap. XVIII, 9-14.

 [5] Voir : 3– Le haram : les interdits moraux selon le Coran.

 [6] S4.V43 : «…يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آَمَنُوا لَا تَقْرَبُوا الصَّلَاةَ وَأَنْتُمْ سُكَارَى حَتَّى تَعْلَمُوا مَا تَقُولُونَ »

 [7] Sur la critique et le rejet du principe exégétique d’abrogation, voir : L’abrogation selon le Coran et en Islam.

 [8] S5.V90 : « يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آَمَنُوا إِنَّمَا الْخَمْرُ وَالْمَيْسِرُ وَالْأَنْصَابُ وَالْأَزْلَامُ رِجْسٌ مِنْ عَمَلِ الشَّيْطَانِ فَاجْتَنِبُوهُ لَعَلَّكُمْ تُفْلِحُونَ »

[9] Cf. 4 – Le “haram” selon le Coran : synthèse.

[10] Cf. 3– Le haram : les interdits moraux selon le Coran, chapitre 3 : Autres formulations de l’interdit moral : lâ taqrabû et ijtanibû.

[11] Étymologiquement, le terme araméen ou syriaque indique directement que le khamr/vin est une boisson obtenue par fermentation. Par suite, l’usage l’a artificieusement rattaché à la racine arabe khamara qui connote l’idée d’envelopper, cacher, recouvrir, d’où le khimâr. Il n’est donc pas légitime de retenir l’ensemble des propos et hadîths définissant le khamr comme étant tout ce qui obscurcit la raison à la manière d’un voile, il ne s’agit là que de jeux de mots bien intentionnés. C’est par le même phénomène d’assimilation linguistique que les sens de la racine araméenne ont été introduits de manière forcée en la racine khamara, laquelle prend alors le sens de faire lever la pâte, fermenter, les termes khumra et khamîr désignant par suite le levain et le ferment. Du point de vue méthodologique, ceci renvoie aux précautions nécessaires quant à l’emploi des lexiques de la langue arabe, voir : Analyse lexicale et Les réentrées lexicales.

 [12] Cf. 3– Le haram : les interdits moraux selon le Coran.

 [13] S5.V91 :

« إِنَّمَا يُرِيدُ الشَّيْطَانُ أَنْ يُوقِعَ بَيْنَكُمُ الْعَدَاوَةَ وَالْبَغْضَاءَ فِي الْخَمْرِ وَالْمَيْسِرِ وَيَصُدَّكُمْ عَنْ ذِكْرِ اللَّهِ وَعَنِ الصَّلَاةِ فَهَلْ أَنْتُمْ مُنْتَهُونَ  »

 [14] L’on déduira de ce constat sociétal que l’argument coranique n’est pas hygiéniste, c’est-à-dire visant les méfaits de l’alcool sur la santé, ce sur quoi d’ailleurs les anciens juristes s’accordaient. Conséquemment, tout raisonnement analogique visant à interdire telle ou tel produit au nom du fait qu’il est nuisible pour la santé n’est pas recevable, il ne s’agit donc là que d’une approche contemporaine influencée par les positions occidentales.

[15] Nous rappellerons que cette position est conforme à l’économie générale des propos coraniques, car si le mot khamr n’avait désigné que le vin de raisin que buvaient les Arabes, alors que l’objectif du Coran était de prévenir  l’alcoolisation de la société, il aurait fallu qu’il dressât la liste des innombrables boissons alcoolisées, passées et à venir.

[16] Cf. 3– Le haram : les interdits moraux selon le Coran.

[17] Cf. 2 – Le haram : les tabous selon le Coran et en Islam.

[18] Ceci contrairement à ce que soutient le Droit islamique qui a assimilé sans preuve coranique le vin aux autres interdits alimentaires : le porc, la bête morte, le sang, le sacrifice idolâtre. Il n’y a donc pas de « cas de nécessité/ḍarûra » prévu par le Coran concernant la consommation de vin ou autres boissons alcoolisées. Pour mémoire, et sans concordisme scientifique aucun, mais en référence aux exemples classiques de l’assoiffé égaré dans le désert, indiquons que l’alcool déshydrate puissamment et qu’en absorber en ces conditions mène droit à la mort !

[19] S2.V190 ; S5.V87 ; S7.V55. Sur ce point, voir : L’amour de Dieu selon le Coran et en Islam ; L’Amour universel.

[20] Cf. 3– Le haram : les interdits moraux selon le Coran.

[21] Voir : L’amour de Dieu selon le Coran et en Islam ; L’Amour universel.