Terrible héritage que nous portons : le “massacre des Banū Qurayẓa”, sauf à vouloir être de la même nature que ceux qui ont colporté ce récit. En nos temps que l’on pense évolués, les modernistes évacuent ce funeste “problème”, ils minimisent, relativisent, contextualisent. Néanmoins les faits restent : le prophète Muhammad aurait fait exécuter en place publique tous les mâles des Banū Qurayẓa, une tribu juive de Médine, soit entre 400 et 900 personnes selon les sources. Cependant, nul ne reprend le dossier à la base, personne n’ose penser que cet acte barbare n’a pas eu lieu et qu’il n’a aucune réalité historique ; quel fonds judéophobe hante encore nos consciences, quelle culpabilité nous laisse seuls au pied du mur de l’Histoire.
– Ceci étant, selon notre approche des problématiques de l’Islam il convient de revenir au Coran pour comparer son propos aux sources non-coraniques, ici la Sîra et le Hadîth, est de les mettre à l’épreuve du texte coranique. En effet, bien que le Coran ne soit pas un livre d’Histoire et encore moins une biographie du Prophète, il ne peut pas avoir omis ce sanglant épisode puisqu’il consacre 25 versets de la Sourate 33 à la Bataille dite du Fossé/al–khandaq. Or, les sources quant au “massacre des Banū Qurayẓa” précisent que c’est dans la foulée de sa victoire lors cette bataille que Muhammad se retourna contre les Banū Qurayẓa qu’il accusa de haute trahison. Par conséquent, et de manière logique et cohérente, dans le cas où le “massacre des Banū Qurayẓa” ne serait pas une fiction, le Coran doit nécessairement y faire référence.
– L’enjeu n’est pas uniquement exégétique, car ce supposé “massacre des Banū Qurayẓa” a servi d’antécédent prophétique pour justifier de nombreuses exactions à l’encontre des populations conquises par les puissances califales. Actuellement, il sert plutôt d’argument pour diaboliser l’Islam et, par voie de conséquence, les musulmans.
– Concrètement, c’est alors le v26 de la Sourate 33 qui selon nos exégètes génocidaires est censé être la preuve coranique attestant du “massacre des Banū Qurayẓa”, mortel prétexte. Nous allons donc présenter notre analyse littérale de ce verset-clef et, disons-le d’emblée, cette étude met en évidence l’inexistence du “massacre des Banū Qurayẓa”, nous allons en faire la démonstration.
– Ce faisant, l’on mesurera jusqu’où ont pu aller l’Exégèse et la Tradition islamique en matière de surinterprétations et de malversations pour parvenir à imposer au Coran ledit “massacre des Banū Qurayẓa” et, par voie de conséquence, à la conscience collective des musulmans. Concernant la présente approche, nous nous appuierons sur notre Exégèse Littérale du Coran et notre Traduction Littérale du Coran.
Voici le verset-clef :
- «Quant à ceux des Gens du “Livre” qui les avaient appuyés, Il les fit descendre de leurs éperons rocheux et déposa l’effroi en leurs cœurs. Certains vous les avez tués et d’autres vous les avez faits prisonniers. », S33.V26
وَأَنْزَلَ الَّذِينَ ظَاهَرُوهُمْ مِنْ أَهْلِ الْكِتَابِ مِنْ صَيَاصِيهِمْ وَقَذَفَ فِي قُلُوبِهِمُ الرُّعْبَ فَرِيقًا تَقْتُلُونَ وَتَأْسِرُونَ فَرِيقًا (26)
Ce verset, et à sa suite le v27, sont dans le Coran les deux seuls éléments que l’Exégèse et la Tradition sont parvenues à relier à ce qu’il convient de nommer “l’affaire des Banū Qurayẓa”. Nos spécialistes ont profité de la densité du texte coranique pour se créer des espaces. Ce n’est pas là un paradoxe, mais de manière cohérente plus un texte est dense et plus il est possible d’ouvrir des espaces interprétatifs tout autour afin que par ces lumières artificielles l’on parvienne à obscurcir son sens premier.
– Selon nos doctes ès manipulation, il s’agit donc quasiment d’un génocide, la tribu juive médinoise des Banū Qurayẓa de Médine accusée de haute trahison lors de la “Bataille du fossé” aurait été exterminée, bien que les sources divergent sur son rôle exact au service des coalisés, passif ou actif. Selon la Sîra, lorsque les coalisés vaincus se furent retirés, le Prophète assiégea les Banū Qurayẓa qui s’étaient réfugiés en leurs fortins médinois et après vingt-cinq jours de siège ils se rendirent. Leur sort fut soumis à l’arbitrage d’un dénommé Sa‘d ibn Mu‘ādh et tous les mâles de cette tribu furent alors décapités sur la place du marché, comme on le fait des bestiaux… c’est, rapporte-t-on, ‘Alī ibn abī Ṭālib et Zubayr ibn al–‘Awwām qui furent chargés de cette ignoble boucherie. En fonction des variantes l’on parle en moyenne de 700 hommes exécutés. Femmes et enfants furent quant à eux réduits en esclavage et les biens et les terres des Banū Qurayẓa partagées entre les musulmans. Comme nous allons pouvoir le constater à partir du témoignage coranique, cette version des faits n’a pas de réalité et, par conséquent, ne peut être rattachée qu’à l’écriture de l’Histoire par l’Islam triomphant et triomphaliste des IIe et IIIe siècles de l’Hégire, période durant laquelle ont été colligées les premières biographies du Prophète Muhammad. Par la suite, l’Exégèse en sa judéophobie assumée s’est parfaitement accommodée de ce récit sanglant. De même, ce massacre de masse s’apparentant à de la purification ethnique est globalement accepté par l’islamologie qui en sa coranophobie assumée oublie ici son esprit critique au fond des sombres oubliettes de l’Histoire. Au demeurant, de nombreux fronts ont tout intérêt à garder pieusement cette histoire dressant le portrait d’un Muhammad antisémite violent, le guerrier sanguinaire et expéditif qui après avoir expulsé les deux autres tribus juives médinoises, les Banū Qaynuqā‘ et les Banū Naḍīr, paracheva ainsi son œuvre et expurgea Médine puis l’Arabie de tous les juifs.
– Avant d’analyser le propos coranique incriminé, quelques faits méritent d’être soulignés :
– Premièrement, la source de cet évènement est quasiment unique : la Sîra dite de Ibn Isḥāq rédigée plus d’un siècle après ces supposés évènements. Or, il est parfaitement établi que cet auteur n’est guère fiable et que de plus ce récit est dépourvu de chaîne de transmission considérée comme authentique.
– Deuxièmement, aucune source juive ou chrétienne ne fait mention de ce massacre, ce qui est étonnant étant donné l’écho qu’un tel massacre aurait dû avoir.
– Troisièmement, pourquoi décider à l’issue de la défaite des coalisés de s’acharner immédiatement sur les Banū Qurayẓa alors que s’il y avait dû avoir vengeance et poursuites, cela aurait dû être à l’encontre des troupes les plus attardées de Quraysh et des Qaṭafân en pleine déroute selon les sources elles-mêmes.
– Quatrièmement, les Arabes en “l’économie” bédouine n’avaient nullement comme habitude de guerre d’exterminer l’ennemi vaincu, le pillage et le butin ainsi qu’un impôt de capitulation étaient la règle. L’exécution de tous les hommes des Banū Qurayẓa aurait donc été une innovation sans antécédents tout comme il est à noter que jamais une telle chose ne se reproduisit.
– Cinquièmement, cette décision contredit l’esprit du Coran qui ne prône que la guerre défensive, cf. notre analyse de la Sourate dite 9.
– Sixièmement, de tels agissements sont de même contraires à la mentalité du Prophète telle qu’elle transparaît dans le Coran.
– Septièmement, et ceci confirme ce que nous venons de dire, pour justifier d’une telle sentence il a été manifestement introduit dans les récits l’arbitrage du dénommé Sa‘d ibn Mu‘ādh. En effet, le jugement rendu par Sa‘d ibn Mu‘ādh n’est en rien conforme à celui que ce chef arabe anciennement idolâtre aurait dû rendre puisque son propos n’est rien d’autre que la reproduction de versets de la Thora. Comment un ancien polythéiste aurait-il été capable de connaître ces versets de la Thora ? En voici le contenu : « Et une fois que l’Eternel, ton Dieu, l’aura livrée entre tes mains, tu feras passer tous ses hommes au fil de l’épée. En revanche, tu prendras pour toi les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui sera dans la ville, tout son butin, et tu mangeras le butin de tes ennemis que l’Éternel, ton Dieu, t’aura livrés. », Deutéronome, XX, 13-14. On le constate, le sort réservé aux ennemis d’Israël est identique à celui que le Prophète réserva prétendument à la tribu juive des Banū Qurayẓa. La Sîra a donc ainsi résolu astucieusement le problème de la tradition arabe en matière de guerre sans rapport nous l’avons dit avec un comportement qui n’avait aucun antécédent et qui ne fut jamais mis en œuvre par la suite. Qui plus est, elle fait de la sorte porter la responsabilité de cette impitoyable sentence aux juifs eux-mêmes et à leur propre loi en la matière.
– Cependant, cette citation biblique est tronquée puisqu’il nous faut lire les versets la précédant : « Quand tu t’approcheras d’une ville pour l’attaquer, tu lui offriras la paix. Si elle accepte la paix et t’ouvre ses portes, tu imposeras corvées et esclavage à tout le peuple qui s’y trouvera. Si elle n’accepte pas de faire la paix avec toi et qu’elle veuille te faire la guerre, alors tu l’assiégeras. », 10-12. On le voit, il s’agit tout d’abord d’un passage relatif à une ville ennemie et il est expressément précisé qu’il faut d’abord avoir demandé à ladite ville de se rendre : « tu lui offriras la paix » et si et seulement si « elle n’accepte pas de faire la paix avec toi et qu’elle veuille te faire la guerre, alors tu l’assiégeras ». D’une part, les Banū Qurayẓa appartenaient à part entière à la population médinoise et ne constituaient pas une ville étrangère et, d’autre part, aucune version de la Sîra n’indique que dans un premier temps il fut proposé la paix aux Banū Qurayẓa afin d’obtenir leur reddition sans combattre. Au contraire, dès que les coalisés prirent la fuite le Prophète selon les sources se précipita à l’assaut des bastions des Banū Qurayẓa. Même si l’on admettait que Sa‘d ibn Mu‘ādh aurait si curieusement retourné la Thora contre ces Juifs, comment donc les rabbins de ces derniers n’auraient pas opposé comme argument qu’aucune des conditions préalables n’ayant été respectées, ce jugement était nul et non avenu. Si donc Sa‘d ibn Mu‘ādh et le Prophète avaient eu tant de bonne volonté à appliquer le jugement dicté par ce passage de la Thora, ils n’auraient pu qu’admettre leur erreur et annuler ce jugement, rien de tel en l’occurrence. Rien de logique donc dans la version officielle, ce récit ne sert manifestement que de prétexte à l’Exégèse dogmatique pour justifier assez grossièrement ce que nos commentateurs voulurent imposer à l’Histoire : le massacre des Banū Qurayẓa comme preuve de la fermeté du Prophète et par conséquent de l’Islam envers l’ennemi juif. Un détail en passant, l’auteur de cette inaudible malversation a eu la bonne idée de faire mourir ledit Sa‘d ibn Mu‘ādh à la fin de ce récit, élimination du témoin principal sur la scène de crime… Puisque ce crime odieux perpétré uniquement par les auteurs de Sîra et l’Islam à sa suite ne repose que sur un tissu de fantasmes et de mensonges, il est à présent possible d’examiner le propos exact des deux versets censés témoigner de la réalité des faits dans cette sombre affaire exégétique.
– De ces mots : « quant à ceux des Gens du “Livre” qui les avaient appuyés », v26.
Rien ne permet ici d’affirmer qu’il s’agit des Banū Qurayẓa, dans le Coran la mention « Gens du “Livre” » est de portée générale et ne leur est pas synonyme. Ce n’est là qu’une affirmation de la Sîra et de l’Exégèse et nous verrons au cours de notre analyse littérale qu’en réalité il s’agit selon le Coran des Juifs de Khaybar.
– Ce qui est textuellement certain est l’assertion suivante : ces Gens du “Livre” « les avaient appuyés/ẓāhara » ceux que contextuellement l’on reconnaît comme étant les coalisés/al–aḥzāb. Nous avons précédemment mentionné dans la description générale des acteurs en présence lors de la bataille de Médine, voir v9, que ces coalisés étaient composés de l’armée qurayshite ayant formé une coalition avec la nombreuse confédération des tribus Ghaṭafân. Toutefois, Quraysh et Ghaṭafân n’étaient pas naturellement alliés, plus de 700 kilomètres les séparaient et les intérêts d’une tribu essentiellement sédentaire et marchande et ceux de tribus essentiellement nomades et pillardes ne convergeaient pas naturellement. Ces conditions historiques supposent donc la présence d’un troisième acteur ayant joué le rôle de fédérateur entre ces deux factions que tout opposait hormis le fait que l’influence grandissante de Muhammad à Médine leur posait problème. À cela s’ajoute l’emploi de la forme III ẓāhara évoquant seulement la notion de soutien, d’appui, collusion, entente secrète, d’où notre : « qui les avaient appuyés ». La précision coranique étant ce qu’elle est, l’on en déduit que lesdits « Gens du “Livre” » ne combattirent pas aux côtés des coalisés pas plus qu’ils ne trahirent lors de la bataille de Médine contrairement à ce qu’affirment les Sîra, le Coran en ces cas employant d’autres verbes. Logiquement, leur participation fut donc seulement de favoriser l’alliance entre Quraysh et les Ghaṭafân. Or, les Juifs de Khaybar étaient en mesure de favoriser une pareille alliance, les Ghaṭafân étaient leurs alliés tout autant qu’eux-mêmes étaient leurs “protégés” et les Ghaṭafân spéculant sur l’affaiblissement du Prophète qu’ils supposaient suite à la défaite de Uḥud pouvaient envisager de se débarrasser une fois pour toutes de cet homme qui avait de leur point de vue l’intention de remettre en cause l’ordre ancien. Situation qu’ils craignaient et ne pouvaient admettre, sûrement moins d’un point de vue religieux que du point de vue de la rupture des équilibres traditionnels qui dans la grande zone nord de Médine était à leur avantage. Pour leur part, nous l’avons aussi déjà signalé, à partir d’informations plus ou moins exagérées données par les juifs de Khaybar ou les Ghaṭafân, les qurayshites pouvaient être vivement inquiets quant à la sécurisation de leurs voies commerciales vers la Syrie-Palestine. Les « Gens du “Livre” » représentent donc ici la faction des juifs de Khaybar qui furent les catalyseurs de cette coalition dont l’objectif commun était d’éliminer Muhammad, d’éradiquer sa communauté et d’éteindre définitivement son ascendant sur une zone aussi sensible pour les uns que pour les autres. Nous ajouterons que l’oasis de Khaybar bénéficiait aussi de sa situation sur les pistes caravanières qurayshites et qu’à ce titre elle craignait la possible prise de contrôle par Muhammad de ces voies vitales.
– Notre raisonnement et sa conclusion pourraient être qualifiés de purement spéculatifs, mais en réalité le Coran lui-même indique que les « Gens du “Livre” » visés par le v26 sont les habitants de Khaybar, oasis travaillée et occupée par des Juifs depuis une époque difficile à préciser. En effet, nous lisons « Il [Dieu] les fit descendre de leurs éperons/ṣayāṣī rocheux », ce que nous pouvons comparer à la traduction standard : « Il a fait descendre de leurs forteresses ceux des Gens du Livre… » L’ensemble des traductions fait corps, remplaçant à l’occasion le mot « forteresses/ṣayāṣī » par fortins, forts, fortifications et autres castels. Comme à leur habitude elles suivent en cela l’Exégèse et la Sîra qui toutes versions confondues rapportent que le Prophète assiégea les Banū Qurayẓa qui s’étaient réfugiés dans leurs fortins médinois pour échapper à sa vindicte. Ces mêmes sources indiquent que le siège dura plus ou moins 25 jours avant qu’ils ne se rendissent. Le v26 en faisant mention de ces « forteresses » et en précisant que Dieu les en fit descendre témoignerait donc bien de ce qui se produisit à l’encontre des Banū Qurayẓa et la scène apparaît alors sous nos yeux. Si nous pouvons admettre que le Coran ne mentionnerait pas Banū Qurayẓa par leur nom, règle constante dans le récit coranique, par contre l’on ne peut admettre que le mot-clef ṣayāṣī ait été volontairement détourné de son sens réel. De fait, le terme ṣayāṣī est le pluriel de ṣīṣa mot qui qualifie un morceau de bois pointu avec lequel on détache les dattes lorsqu’elles sont anormalement agglutinées, d’où la racine ṣāṣa signifiant produire des dattes de mauvaise qualité. Par extension le mot ṣīṣa désigne aussi l’éperon rétro-tarcique du coq ou une corne pointue et autres choses de forme analogue. Ceci explique que cet hapax coranique doive se comprendre au sens d’« éperons/ ṣayāṣī », en l’occurrence des « éperons rocheux » fortifiés. Notons donc que rien en ce champ lexical ne permet de donner au terme ṣīṣa et donc à son pluriel ṣayāṣī le sens de forteresses, fortins. Il ne s’agit manifestement que d’une réentrée lexicale due à la volonté exégétique d’imposer cette signification à ce terme afin de mettre en image les Juifs des Banū Qurayẓa réfugiés en leurs fortins médinois. Cependant, si l’on respecte la lettre coranique la mention d’« éperons/ ṣayāṣī » rocheux est incompatible avec celle de fortins des Banū Qurayẓa tous bâtis dans la partie plane de Médine selon les sources elles-mêmes. S’ajoute à cela que lorsque le Coran en S59.V2 fait référence aux fortins de Juifs Médinois il emploie avec précision tant lexicale que descriptive le pluriel ḥuṣūn, le singulier ḥiṣn désignant un lieu fortifié. Puisqu’il est erroné de penser que par ṣayāṣī le Coran désigne les fortins/ḥuṣūn des Banū Qurayẓa, il devient alors explicite que la rigueur lexicale du Coran permet de comprendre que ce v26 fait référence à l’oasis de Khaybar dont il est bien connu que le système défensif était constitué de plusieurs fortifications perchées sur des éperons/ṣayāṣī rocheux parsemés tout le long du chapelet d’oasis constituant son territoire, les vestiges actuels en témoignent encore.
– Au final, lorsqu’il est dit « Il [Dieu] les fit descendre de leurs éperons rocheux et déposa l’effroi en leurs cœurs » c’est à l’expédition du Prophète menée contre Khaybar qu’il est fait explicitement référence. Il semble assuré que cette expédition eut lieu en l’an 7 de l’Hégire, soit deux ans après la bataille de Médine ; cf. sur ce point S48.V15 sqq. Après un tel choc, il est cohérent que les forces du Prophète eurent besoin de ce délai avant d’être en capacité de se lancer contre Khaybar, tout comme il est irréaliste d’avoir supposé que le Prophète aurait assiégé les Banū Qurayẓa immédiatement après avoir survécu à la terrible bataille de Médine. L’on observe alors que le Coran évoque la prise de Khaybar en conclusion du chapitre entièrement consacré à la bataille de Médine, non pas que cette conquête lui fut immédiate, mais qu’au vu de son insertion dans le récit coranique elle en est une conséquence. Nous aurons ainsi vérifié la participation active des Juifs de Khaybar à la formation de la coalition qui se lança à l’assaut de Médine en l’an 5. Ceci explique que lorsque le Prophète fut en mesure de marcher sur Khaybar il n’hésita pas à le faire afin d’éviter que cette agitation politique menée par les Juifs de Khaybar ne puisse à nouveau engendrer une telle menace pour sa sécurité. Ceci bien entendu compte tenu du fait que le Prophète n’avait pas les moyens de batailler contre les Ghaṭafân ni même contre Quraysh avec qui de plus il avait signé à Ḥudaybiyya un traité de non-agression en l’an 6. Selon le Coran, l’expédition contre Khaybar avait donc une cause profondément politique et visait comme l’ensemble des décisions prophétiques à préserver la paix, thème que nous avons régulièrement souligné lors de l’analyse de la Sourate dite 9, voir notamment notre Introduction à la Sourate 9. Ne relèvent donc que d’un mauvais procès d’intention les affirmations et les insinuations pseudo-historiques selon lesquelles le Prophète n’aurait attaqué Khaybar que pour accroître son prestige et ses richesses dans l’unique but de poursuivre sa politique de conquête tous azimuts. Précisons que la Sourate 48 offre de nombreux éléments permettant de vérifier et confirmer que le sujet est présentement la prise de l’oasis de Khaybar et non pas le massacre des Banū Qurayẓa, cf. S48.V11 ; S48.V15-19 ; S48.V22 ; S48.V27.
– De ces mots : « certains vous avez tués et d’autres vous les avez faits prisonniers », v26.
Le segment « certains vous avez tués » est directement lié au fait qu’il y eut à Khaybar d’âpres combats et que la résistance des combattants obligea l’armée du Prophète à s’emparer des « éperons » fortifiés les uns après les autres.
– Le segment « et d’autres vous les avez faits prisonniers » indique explicitement qu’en dehors des juifs de Khaybar morts au combat d’autres furent faits prisonniers. Cette donnée coranique s’oppose donc aussi pleinement au récit de la Sîra repris par nos exégètes puisque selon eux ce fut tous les combattants juifs des Banū Qurayẓa qui furent exécutés. Le verbe asara ici employé est aussi un hapax coranique signifiant, car il désigne le fait de faire des prisonniers de guerre et les substantifs pluriels usārâ et asrā qui en dérivent sont uniquement mentionnés dans le Coran en ce sens-là : S2.V85 ; S8.V67 ; S8.V70. Il ne s’agit donc pas d’indiquer qu’ainsi le Prophète réduisit à la captivité femmes et enfants, les prisonniers en question étaient des hommes, des combattants. Or, en pleine contradiction d’avec le Coran, les sources relatant l’épisode fictif relatif au Banū Qurayẓa sont unanimes : femmes et enfants furent mis en captivité et les femmes furent vendues comme esclaves en échange de chevaux et d’armes comme le rapporte la Sîra. Par défaut de connivence, ces mêmes sources précisent que lors de la prise de Khaybar les paysans, les femmes et les enfants ne furent pas mis en captivité, ce qui est conforme au propos de notre v26. Par ailleurs, et confirmant ce que nous venons de dire, le sort des prisonniers de guerre selon le Coran n’est absolument pas d’être mis en esclavage, mais comme l’indique S47.V4 d’être libérés, soit gracieusement soit contre rançon. Ainsi, en conformité avec cet enseignement coranique, l’on peut valider les informations traditionnelles indiquant à ce sujet qu’en dehors des Juifs tués au combat et des combattants faits prisonniers la population de Khaybar fut respectée et laissée sur place.
– Par contre, ces données coraniques permettent d’invalider certains récits fournis par les Sîra et relayés par l’Exégèse comme s’étant déroulés lors de la prise de Khaybar. Il est ainsi affirmé que le Prophète épousa le soir même une dénommée Ṣafiyya bint Ḥuyayy femme de Kināna ibn ar–Rabī‘ que durant la journée le Prophète avait fait torturer pour lui faire avouer l’emplacement du trésor caché des Juifs de Khaybar, celui-ci n’avouant rien, il le fit exécuter. Ce récit est particulièrement affligeant inhumain et cruel, il est une offense majeure à la personnalité du Prophète, mais il ressemble fort à ce que califes, princes et autres généraux ont été capables de commettre, il leur a été ainsi offert une sunna prophétique en la matière. Tout d’abord, le Coran englobant la totalité de ce qui se passa à Khaybar dit : « certains vous avez tués et d’autres vous les avez faits prisonniers », ce qui indique qu’il n’y eut aucune exécution. Ensuite, le trésor des juifs est un pur fantasme très persistant dans la judéophobie classique, car dans l’économie essentiellement agraire de l’oasis de Khaybar il paraît peu vraisemblable qu’un trésor fût accumulé, même le commerce relevait plus de troc de marchandises nécessaires que d’obtention de liquidités. Ceci, a fortiori, sachant de plus que les nombreuses petites oasis constituant Khaybar étaient sous la domination d’autant de chefs de clan juifs lesquels cohabitaient sans dirigeant commun, sans roi et sans administration centrale, en ces conditions l’existence d’un trésor est un non-sens. Il a aussi été rapporté une histoire très connue selon laquelle le soir de la défaite une femme juive des Banū Naḍīr empoisonna de l’agneau cuisiné qu’elle servit au Prophète pour se venger de l’exécution de ses parents. Comme précédemment, nous rappelons que selon le Coran il n’y eut pas d’exécutions dans les suites de la prise de Khaybar. Il est dit de plus qu’elle servit précisément une épaule d’agneau parce qu’il s’agissait du morceau préféré de Muhammad, mais bien évidemment elle ne pouvait être au courant d’une information forgée par le Hadîth deux siècles plus tard. Le Prophète, nous dit-on, fut averti par Gabriel et recracha le premier morceau goûté, mais s’il n’en mourut pas sur l’instant il est répété à l’envi que des années plus tard lors de son décès Muhammad déclara que la cause en était ledit poison… Encore une fois, nous retrouvons un de ces fantasmes récurrents voyant dans le Juif l’éternel conspirateur, l’empoisonneur, l’usage du poison étant en outre pour les Arabes la manière la plus fourbe de donner la mort.
– Nous conclurons sur une note exégétique et rationnelle : bien que le texte coranique donne aisément tort à la version officielle, il n’a pas été modifié, son témoignage textuel a été conservé, seule sa signification a été profondément déviée par la surimpression des informations issues de la Sîra et de l’Exégèse imposant ainsi à tout lecteur du Coran l’illusion voulue. Autrement dit, malgré le poids de nos herméneutiques le texte du v26 subsiste et permet de comprendre que son propos n’est pas le massacre des Banū Qurayẓa en l’an 5 de l’Hégire à la fin de la bataille de Médine, mais la conquête de Khaybar par le Prophète en l’an 7. De même, les informations qu’il délivre avec parcimonie, mais avec grande rigueur, ont montré que ce bref texte invalide nombre de faits racontés par nos auteurs. Version officielle de l’Islam que la démarche historico-critique semble ignorer, et si les anciens et les modernes ont des raisons certes divergentes, elles aboutissent toutes au même but : donner une image de l’histoire et de la personnalité du Prophète taillée à la mesure des intentions de chacun. Sur la démonstration de la conservation du texte coranique que ce passage illustre parfaitement, voir au Vol. II : L’Interprétation et la préservation du Coran ainsi qu’au Vol. I : Authenticité du Coran, quelques éléments de réponse.
Dr al Ajamî

