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Loi implicite, lois explicites, Loi de Dieu, lois des Hommes

 

Une loi est par définition un texte explicite.

Ce bref texte est destiné à sensibiliser sur un point capital dont l’évidence même nous échappe. Tout notre système de compréhension de l’Islam et tout le système de compréhension de l’Islam sont basés sur une idée simple, mais en réalité très curieuse : Dieu aurait révélé le Coran, mais n’aurait pas été systématiquement explicite/mubīn, notamment quant aux commandements. La Loi de Dieu nécessiterait des hommes de loi pour s’exprimer, pour être comprise. La Loi de Dieu dépendrait de son interprétation…

– Si l’on veut bien y réfléchir, cette démarche divine serait en soi assez étrange. Si Dieu est le Créateur, si Dieu fait révélation aux Hommes, si Dieu est le Législateur que nous supposons, alors pourquoi procéderait-Il de manière allusive, implicite ? Pourquoi cela et comment acceptons-nous cet état de fait impliquant que les Hommes aient à poursuivre l’œuvre de Dieu. Ainsi, le Prophète serait le premier interprète de Dieu, le premier interprète du Coran, les Compagnons après lui et les ulémas après eux. Selon cette croyance, le Coran aurait donc besoin d’être interprété ! Dieu aurait fait une dernière révélation mais aurait livré un texte obscur, mal précisé et où l’implicite l’emporte sur l’explicite. Le Coran serait ainsi un texte qui, s’il n’était pas interprété par les Hommes, n’aurait guère de signification, pas plus précis qu’utile. L’ultime révélation aurait donc besoin de notre petitesse pour faire sens ! Situation étonnante, convenons-en.

– Ne serait-ce pas là notre mystère de la conception, notre trinité : Dieu, le Coran et le Saint-Esprit de l’interprétation. Rassurons-nous, ce n’est pas là que se tient notre source d’inspiration, mais dans le judaïsme. En effet, notre dogme islamique du rapport à la révélation, au Coran, ne nous est pas spécifique, mais nos prédécesseurs l’ont emprunté au rabbinisme et au talmudisme. Le judaïsme distingue la Thora écrite révélée à Moïse et la Thora orale qui en est la somme des interprétations que les rabbins ont produites. De leur point de vue cela est logique puisque le peuple juif a pour mission divine de parachever l’œuvre de Dieu. Il nous faudrait donc admettre que Dieu en révélant le Coran n’aurait pas délivré un document achevé, mais un texte implicite. En quelque sorte, un brouillon qui attendrait le génie de nos savants pour faire définitivement sens. C’est cette imperfection divine que nous acceptons sans y prendre garde en croyant que le Coran serait implicite et nécessiterait que nous l’interprétions. En réalité, pas tout un chacun, bien évidemment nous dit-on, mais une élite autoproclamée et autoreproduite ; sur ce point cf. Les Oulémas sont les héritiers des prophètes.

– Or, cette problématique est facile à résoudre : nous croyons au nom de notre foi en Dieu et en la Révélation que le Coran est parfaitement achevé, explicite. Cette réflexion fait tout son sens en regard de la question de la Loi. Si le Coran contient des Lois, si c’est l’œuvre du Législateur divin, alors aucun verset supposé législatif ne devrait être implicite/mubīn, car il est dit entre autres : « quoi qu’il en soit, Nous t’avons révélé des versets explicites », S2.V99.  Autrement dit, aucun de ces versets n’aurait besoin d’être interprété puisque de plus le Coran l’indique explicitement : « c’est ainsi que Dieu vous explicite Ses versets ; puissiez-vous raisonner ! », S2.V242. à l’instar de la Révélation la saine raison veut que Dieu dans le cas où Il aurait révélé des lois l’aurait fait de manière explicite. Si Loi de Dieu existe, alors elle est explicite et quand Dieu prescrit c’est sans ambiguïté, jamais implicite ; un exemple concernant le jeûne du mois de Ramadan : « ce sont là les limites établies par Dieu, ne vous en approchez pas ; c’est ainsi que Dieu explicite Ses versets aux gens », S2.V187. Toutefois, si l’on examine l’œuvre législatrice interprétative de nos prédécesseurs il semble bien que la situation soit inverse et il semble bien que nous l’ayons acceptée, ingérée, sans même y avoir réfléchi.

– Or, cette problématique repose sur une réalité que nos juristes refusent au Coran bien que nous venons de le voir le Coran s’en réclame : aucun texte prescriptif ne procède de manière implicite, son énoncé se doit d’être impérativement explicite ; nos juristes le savent bien eux qui pratiquent ainsi. Pourquoi donc le Coran que l’on suppose légiférer et venant du Législateur suprême ne serait-il pas en mesure d’énoncer clairement et explicitement une loi ! Cette logique théologique est importante, car elle peut s’appliquer à de nombreux points canoniques de l’Islam que l’on s’efforce de faire dire au Coran sous prétexte qu’il ne le ferait que de manière implicite. Dieu serait-Il trop timide ou embarrassé en expression pour ne pas oser ou parvenir à dire les choses sans ambiguïté ? ! Que Dieu nous pardonne l’insolence de la question, mais nous pensons que le blasphème est justement de supposer que l’ambiguïté serait de mise s’agissant des prescriptions divines dans le Coran.

– Prenons par exemple le cas de la prescription obligatoire des cinq prières ! En quoi, le Coran ne l’aurait-il pas énoncée explicitement alors que l’Islam le fait ? Nous connaissons tous cette phrase : Dieu a prescrit cinq prières obligatoires : faraa–llāhu khamsa alāwat. Dieu ne serait-Il pas capable de révéler cette phrase explicite, quatre mots en arabe ! Dieu a révélé dans le Coran deux bonnes douzaines de versets sur le sujet de la prière, mais aucun ne mentionne explicitement qu’il y aurait cinq prières et qu’elles seraient obligatoires. Doit-on en conclure un défaut d’énonciation divin ou bien que de manière explicite il n’y a pas de caractère obligatoire de la prière et que le Coran n’en mentionne pas cinq…

– Revenons à titre d’exemple sur le cas de la prière. Un verset parmi d’autres en mentionnerait explicitement trois, mais son interprétation parvient en lui faire avouer cinq : « Accomplis la dévotion/aṣ–ṣalāt avant le coucher du soleil et jusqu’à l’entrée de la nuit ainsi que la récitation à l’aube ; certes, la récitation à l’aube a des témoins. », S17.V78. Comme de manière explicite il ne serait fait là mention que de trois temps de prière, nos exégètes parviennent à y déceler des espaces implicites pour faire surgir la mention de cinq prières, ce malgré l’évidence du texte.  Nous devrions croire que Dieu joue aux devinettes et légifère de manière implicite en laissant le loisir à nos interprètes de faire apparaître en ce verset cinq prières puis de produire une loi explicite comme celle citée ci-dessus : Dieu a prescrit cinq prières obligatoires. En notre Exégèse Littérale du Coran nous analysons en détail le processus de surinterprétation mis en œuvre par nos exégètes pour parvenir à faire avouer ce verset par la torture exégétique. En toute rigueur, l’on ne peut concevoir qu’une législation, qui plus est divine, soit basée sur des textes qui seraient obscurs au point de nécessiter des interprétations complexes et bien mal assurées ; c’est pourtant ce que nos doctes prétendent.

L’on ne peut donc admettre que le Coran présenterait des lois de manière implicite, et comme notre foi est de croire que la révélation est parfaite et parachevée, alors tout texte coranique qui n’est pas explicitement prescriptif ne peut être considéré comme un texte législatif implicitement. Pourtant, en pratique, le corpus prescriptif de l’Islam ne repose que sur un processus d’interprétation permettant de transformer des textes coraniques explicitement non prescriptifs non légiférant en textes implicitement prescriptifs.

Dr al Ajamî

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