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Les Trésors de Sourate al–kahf : La Caverne (épisode 16)

Épisode 16 : Le troisième cheminement de Moïse/Dhū–Qarnayn ; vs92-98

 

Après avoir vu à l’épisode 15 les deux premiers cheminements de Moïse/Dhū–Qarnayn, la narration coranique se continue par le récit de son troisième cheminement. Nous allons ainsi analyser le dernier des cheminements de Moïse/Dhū–l–Qarnayn où il apparaît parfaitement maître de sa puissance et de sa clairvoyance quant aux significations premières/ta’wīl.

Voici donc un extrait de notre Exégèse Littérale du Coran[1] quant à ce Chapitre II. Le texte de ce passage en est donné selon notre Traduction Littérale du Coran[2] parue en 2024 :

  1. Il suivit donc un cheminement
  2. jusqu’au moment où parvenu entre les deux barres montagneuses il trouva au-delà un peuple qui était loin d’établir un avis, sensément.
  3. Ils dirent : Ô, toi, l’homme aux “Deux Cornes” ! Vraiment, Gog et Magog sèment la désolation dans le pays. Pouvons-nous, à condition que tu établisses entre nous et eux un barrage, mettre en place pour toi un prélèvement ?
  4. Il répondit : La maîtrise que mon Seigneur m’a donnée quant à cela est bonne. Je vais élever entre vous et eux un remblai, aidez-moi puissamment.
  5. Apportez-moi des roches ferreuses, suffisamment pour combler l’espace entre les deux escarpements. Il dit : Soufflez ! Ceci jusqu’à ce qu’il fût en fusion. Il dit : Apportez-le-moi, que je déverse par-dessus ce bronze fondant.
  6. Ils ne purent donc en triompher, ils ne purent y faire un ébrèchement.
  7. – Il dit : Ceci est une miséricorde de mon Seigneur, mais lorsqu’adviendra la promesse de mon Seigneur, Il le pulvérisera ; la promesse de mon Seigneur sera, véritablement.

ثُمَّ أَتْبَعَ سَبَبًا (92) حَتَّى إِذَا بَلَغَ بَيْنَ السَّدَّيْنِ وَجَدَ مِنْ دُونِهِمَا قَوْمًا لَا يَكَادُونَ يَفْقَهُونَ قَوْلًا (93) قَالُوا يَا ذَا الْقَرْنَيْنِ إِنَّ يَأْجُوجَ وَمَأْجُوجَ مُفْسِدُونَ فِي الْأَرْضِ فَهَلْ نَجْعَلُ لَكَ خَرْجًا عَلَى أَنْ تَجْعَلَ بَيْنَنَا وَبَيْنَهُمْ سَدًّا (94) قَالَ مَا مَكَّنِّي فِيهِ رَبِّي خَيْرٌ فَأَعِينُونِي بِقُوَّةٍ أَجْعَلْ بَيْنَكُمْ وَبَيْنَهُمْ رَدْمًا (95) آَتُونِي زُبَرَ الْحَدِيدِ حَتَّى إِذَا سَاوَى بَيْنَ الصَّدَفَيْنِ قَالَ انْفُخُوا حَتَّى إِذَا جَعَلَهُ نَارًا قَالَ آَتُونِي أُفْرِغْ عَلَيْهِ قِطْرًا (96) فَمَا اسْطَاعُوا أَنْ يَظْهَرُوهُ وَمَا اسْتَطَاعُوا لَهُ نَقْبًا (97) قَالَ هَذَا رَحْمَةٌ مِنْ رَبِّي فَإِذَا جَاءَ وَعْدُ رَبِّي جَعَلَهُ دَكَّاءَ وَكَانَ وَعْدُ رَبِّي حَقًّا (98)

– « Il suivit donc un cheminement jusqu’au moment où parvenu entre les deux barres montagneuses il trouva au-delà un peuple qui était loin d’établir un avis, sensément. Ils dirent : Ô, toi, l’homme aux “Deux Cornes” ! Vraiment, Gog et Magog sèment la désolation dans le pays. Pouvons-nous, à condition que tu établisses entre nous et eux un barrage, mettre en place pour toi un prélèvement ? », vs92-94.

La troisième et dernière reprise du segment « « il suivit donc un cheminement », v92, est le parallèle de « ils allèrent donc leur chemin », v77, introduisant le récit relatif à la reconstruction d’un mur par l’Ange qui de toute évidence trouve ici son image en le « remblai/radm », v95, ou le « barrage/sadd », v94, que Moïse/Dhūl–l–Qarnayn va construire. De même, il n’y a aucune difficulté à faire le parallèle inversé entre les « deux jeunes garçons orphelins » de famille vertueuse, v82, et les deux peuples corrupteurs « Gog et Magog », v94. Étant entendu que l’Exégèse a puisé son interprétation de ce passage dans les récits développés dans la Neṣḥânâ au sujet des aventures mythologiques d’Alexandre le Grand, elle a donc compris le segment « un peuple qui était loin d’établir un avis, sensément », v93, comme signifiant : « une peuplade qui ne comprenait presque aucun langage », traduction standard. Ainsi, une fois de plus, Alexandre chantre de la civilisation rencontre une peuplade si primitive qu’elle ne possède que des rudiments de langage. Ceci est conforme à la vision classique du barbare et ce à quoi fait référence Neṣḥânâ par la mention de Gog et Magog n’est rien d’autre que le souvenir mythifié des hordes septentrionales des Huns. Or, d’une part, nous montrons au v86 que la Neṣḥânâ, une version syriaque de la Légende d’Alexandre, est en réalité postérieure à l’établissement du texte coranique et, d’autre part, le v94 montre clairement que ces gens savaient parfaitement parler, y compris une langue que Moïse/Dhū–l–Qarnayn pouvait comprendre. Ceci implique que la locution lā yakādūna yafqahūna qawlan ait une autre signification et, textuellement, elle se décompose ainsi : lā/négation, yakādūna, verbe kāda : être près de faire quelque chose, yafqahūna, verbe faqaha : comprendre intelligemment, qawl : parole, mais aussi émettre une opinion, un avis, d’où notre traduction : « qui était loin d’établir un avis, sensément ».

– Cela signifie que face à la situation qu’ils vivent : « Gog et Magog sèment la désolation dans le pays », ils ne savent pas réellement quelle stratégie de défense adopter et ils profitent de la présence de Moïse/Dhū–l–Qarnayn et sa troupe pour lui demander conseil et aide. La situation décrite est parfaitement réaliste puisqu’ils proposent à Moïse/Dhū–l–Qarnayn en échange de sa participation efficace de lui faire allégeance en lui payant un tribut : «  Pouvons-nous, à condition que tu établisses entre nous et eux un barrage, mettre en place pour toi un prélèvement ? », v94. Comme à l’accoutumée, et nous l’avons tout particulièrement constaté pour le récit des « Compagnons de la caverne », vs10-21, en reprenant le thème de Gog/ya’jūj et Magog/ma’jūj le Coran entend fournir un contre-récit présentant la réalité simple des faits qu’il oppose à l’imaginaire légendaire qui a fini par déformer complètement l’information initiale. Ainsi, pour le Coran, Gog et Magog ne sont donc rien d’autre que deux tribus probablement alliées qui menaçaient par leurs invasions permanentes la survie d’une troisième. Ceci justifie qu’il faille ici comprendre le mot arḍ par « pays », v94, celui de ce peuple, et non pas par terre selon la vision traditionnelle des Gog et Magog menaçant la Terre entière.  De même, le Coran rappelle que l’origine de ce récit n’est pas à mettre sur le compte d’Alexandre le Grand, mais qu’il s’agit d’un épisode de la vie de Moïse/Dhū–l–Qarnayn lors de cette dernière période de son existence. Par leur précision technique inhabituelle dans le Coran, particularité que nous avons signalée et analysée pour les vs17-18, les vs95-96 renforcent le réalisme des faits face à la fantasmagorie créée autour du mythe eschatologique, voir plus avant pour ces versets.

– Néanmoins, ce n’est pas au texte coranique que l’Exégèse s’est référé, mais à ce fonds légendaire du Moyen-Orient, et en cette démarche d’appropriation elle a généré de très nombreux hadîths tous plus ou moins fantastiques. Ainsi, et en résumé, Gog et Magog seraient des créatures innombrables, mi-homme mi-animal, aux traits turcoïdes ou à tête de chiens, certains nains, d’autres géants, cannibales, etc., êtres malfaisants qu’Alexandre aurait endigués pour les empêcher de déferler sauvagement sur le Monde. Il nous faut rappeler que pour les Empires de l’Antiquité Gog et Magog ont toujours été dans la mémoire historique identifiés aux peuples barbares du Nord et à leurs incursions ravageuses. Ce furent donc tour à tour les Scythes, les Huns, les Tatars, voire les Goths et plus tard les Mongols. De plus, nos exégètes sont entrés en compétition avec les conceptions eschatologiques des juifs et des chrétiens quant à Gog et Magog. Les premiers, se basant principalement sur Ezéchiel XXXVIII et XXXIX, virent en Gog un prince du pays nommé Magog et en sa coalition les barbares qui à la Fin des temps extermineraient tous les peuples impies, c.-à-d. non-juifs, puis voudraient s’en prendre à Israël où le peuple juif serait revenu sous la houlette du véritable messie juif, le mashia’h. Cependant, Dieu les sauvera et le règne du Monde leur reviendra. Pour les chrétiens qui détournèrent à leur profit ces spéculations talmudiques en se basant notamment sur l’Apocalypse de Jean, XX, 7 sqq., Gog et Magog viendront aussi aux temps eschatologiques pour détruire les nations païennes, c.-à-d. non-chrétiennes, et échoueront dans leur volonté de tuer le véritable Messie, le Christ de la Parousie, lors de la bataille d’Armageddon où ils seront massacrés jusqu’au dernier. Ce sera alors le règne du Christ. C’est donc en leur temps que nos interprètes ont retourné ces matériaux eschatologiques en faveur de l’Islam et des musulmans. Selon eux et leurs hadîths, Gog et Magog finiront par percer la muraille élevée par Dhū–l–Qarnayn/Alexandre le Grand et déferleront pour anéantir l’Humanité. Jésus redescendu sur terre tuera l’Antéchrist, c.-à-d. le faux messie des autres, mais sera menacé par les hordes de Gog et Magog. Alors Dieu les détruira à l’aide de vers qui les dévoreront de l’intérieur et seul l’Islam avec Jésus comme Imam régnera sur le Monde. Au cours de ces trois campagnes de recyclage et de réappropriation, le nombre de spéculations et détails fantaisistes ne fit donc que croître alors que les intentions théologiques et dogmatiques sont restées stables…

– Nous l’avons dit, rien de coranique en tout cela, le Coran se donne seulement ici à lire comme le rappel d’un fait concret et limité, la rencontre de Moïse/Dhū–l–Qarnayn avec un peuple qu’il aide à construire un rempart barrant la passe montagneuse qu’ils n’arrivaient pas à défendre contre les raids de deux peuples alliés : Gog et Magog. La mémoire des peuples fera entrer cette entreprise humaine dans le légendaire et le mythologique et, bien avant d’être mentionnés dans la Thora, Gog et Magog représentaient l’archétype des peuples barbares du Nord qui menaçaient le Moyen-Orient. En reprenant ces deux termes eux-mêmes arabisés en ya’jūj pour l’hébreu gowg et ma’jūj pour mawgog et dont l’étymologie incertaine renvoie à la notion de montagne, le Coran entend donc simplement rappeler la réalité des faits initiaux. Ainsi, est-ce l’Exégèse qui réinstalla dans la mythologie cette entreprise de rationalisation coranique alors même que d’un point de vue thématique le Coran appelle à distinguer entre les apparences et la réalité, c.-à-d. à refuser la dérive interprétative. Ici les apparences fournies par la légende et la réalité historique.

– « Il répondit [Moïse/Dhū–l–Qarnayn] : La maîtrise que mon Seigneur m’a donnée quant à cela est bonne. Je vais élever entre vous et eux un remblai, aidez-moi puissamment. Apportez-moi des roches ferreuses, suffisamment pour combler l’espace entre les deux escarpements. Il dit : Soufflez ! Ceci jusqu’à ce qu’il fût en fusion. Il dit : Apportez-le-moi, que je déverse par-dessus ce bronze fondant. Ils ne purent donc en triompher, ils ne purent y faire un ébrèchement. », vs95-97.

Nous l’avons déjà signalé à plusieurs reprises et en particulier pour les vs18-19, ce v96 apporte de manière anormale dans l’économie narrative du Coran des détails, ici d’ordre technologique, ceci est donc manifestement destiné à déconstruire les mythes et les croyances que le temps et l’imaginaire des Hommes ont sédimentés sur les faits réels. Ainsi, en premier lieu, Moïse/Dhūl–l–Qarnayn précise-t-il qu’il est techniquement en mesure de réaliser une construction défensive adéquate : « la maîtrise que mon Seigneur m’a donnée quant à cela est bonne », v95. Cette réponse de Moïse/Dhū–l–Qarnayn est le plus souvent comprise comme suit : « ce que mon Seigneur m’a conféré vaut mieux (que vos dons) », traduction standard, l’ajout entre parenthèses est la trace d’une exégèse interprétative qui à la différence de notre traduction littérale n’a pas su relier ce propos au contexte. Moïse/Dhū–l–Qarnayn a donc comme projet d’édifier un « remblai/radm », c.-à-d. un rempart barrant l’entrée du défilé rocheux en question : « l’espace entre les deux escarpements ». L’on note l’emploi de trois termes de champ lexical proche, mais qui ne sont pas synonymes et dont la complémentarité permet de déterminer le sens exact : sadd, v93 et v94, radm, v95 et ṣadaf, v96. Le terme sadd dérive de la racine sadda et évoque tout ce qui ferme, bouche, obstrue un chemin, un comblement, sens que nous avons conservé au v94 « un barrage ». C’est par extension que sadd désigne aussi une montagne, plus exactement une chaîne montagneuse. Or, au v93 l’on voit Moïse/Dhū–l–Qarnayn parvenir entre les saddayn, cas duel, c.-à-d. entre deux obstacles naturels, ce qui décrit sans difficulté une passe, un défilé « au-delà » duquel « il trouva » un « peuple », c.-à-d. après avoir franchi ledit défilé rocheux passant entre ces deux chaînes montagneuses : « entre les deux barres montagneuses/saddayn ». Cette notion de couloir stratégique est renforcée par l’emploi du duel ṣaddafayn/deux escarpements au v96, c.-à-d. les deux parois rocheuses constitutives de cette gorge ou canyon. Il est donc logique de traduire le terme radm dérivant de la racine radama évoquant un comblement artificiel par « remblai », v95, c.-à-d. un système de défense qui permettra de contrôler l’entrée de ce défilé rocheux et ainsi d’empêcher les peuplades Gog et Magog d’envahir le territoire du peuple qui vit « au-delà, v93.

– Afin d’insister sur la matérialité des faits, il est ensuite décrit avec suffisamment de précision trois étapes de construction de ce « remblai/radm ». Première étape, l’espace entre les deux « escarpements », l’entrée du défilé rocheux, a été comblé par « des roches ferreuses » et non pas par des blocs de fer comme on peut le lire. En effet, le pluriel zubar dérive de la racine zabara liée à l’empilement de pierres et si la muraille avait été construite en blocs de fer il n’y aurait eu aucun intérêt à les porter ensuite à « fusion/nār » sinon à la déstructurer et la fragiliser. Par zubara al–ḥadīd il faut donc comprendre des blocs de pierre contenant du fer : « des roches ferreuses », ce qui indique aussi que la chaîne montagneuse en question possédait des mines de fer. Deuxième étape, Moïse/Dhū–l–Qarnayn fait allumer un feu nécessairement autour de cet empilement de blocs de minerai ferreux jusqu’à obtenir une température suffisante pour que le minerai de fer atteigne un point de fusion : « Soufflez ! Ceci jusqu’à ce qu’il fût en fusion », v96. Nous avons mis ici le terme technique « fusion » pour le mot nār/feu dans l’expression « jusqu’à ce qu’il le rendît feu », car l’image est évidente si l’on prête attention au pronom masculin hu/lui/le en ja‘ala-hu/il le rendit qui en genre et en nombre ne peut se rapporter qu’au mot fer/ḥadīd. D’autre part, l’on retrouve un emploi équivalent du simple mot feu/nār pour désigner explicitement l’action de porter à fusion en S13.V17. Ce procédé de fonte partielle des blocs de minerai de fer permet donc de les souder entre eux et de réaliser une fois refroidis une sorte de magma rocheux ferrique compact et d’une très grande solidité. Cette méthode n’est pas sans rappeler celle employée en Europe à partir du VIIe siècle selon laquelle on soumettait certains remparts de granit à de très hautes températures jusqu’à les vitrifier. Pour ce faire, l’on bâtissait de part et d’autre un remblai de terre où l’on faisait brûler au fur et à mesure de grandes quantités de bois. Troisième étape, parce qu’un tel empilement de roches de fer partiellement fondues et au profil irrégulier offre obligatoirement de nombreuses prises permettant de l’escalader, Moïse/Dhū–l–Qarnayn ordonne : « apportez-le-moi, que je déverse par-dessus ce bronze fondant. », v96. Le terme qiṭr désigne couramment le cuivre, mais dans le Coran le terme employé pour cela est nuḥās, S55.V35 et, de plus, le cuivre est un métal ductile et peu résistant aux chocs, ce qui ne présenterait aucun intérêt pour renforcer la présente muraille. Cependant, de manière plus générique, le terme qiṭr vaut pour tout alliage obtenu par fusion tel que notamment le « bronze », alliage de cuivre et d’étain, dur et très résistant à l’usure et au choc. Par ailleurs, les Égyptiens sont connus pour avoir maîtrisé à un haut degré technologique le bronze qu’ils continuèrent à utiliser pour leurs armements bien après les débuts de l’âge de fer. Ceci nous rappelle aussi que Moïse/Dhūl–l–Qarnayn de culture égyptienne ait pu dire « la maîtrise que mon Seigneur m’a donnée quant à cela est bonne », v95. C’est ainsi qu’il put réaliser un « barrage » de blocs ferreux fondus doublée de bronze et dont la solidité fut telle qu’il est alors dit : « Ils [les peuplades dites Gog et Magog] ne purent donc en triompher, ils ne purent y faire un ébrèchement. », v97. Puisque le Coran décrit avec autant de précision et de réalisme la topographie des lieux et la technique de construction de cette muraille, l’on pourrait être tenté de la localiser. Cette même démarche a été suivie par ceux qui imaginaient un ouvrage bâti par Alexandre le Grand, mais en vain malgré de trop nombreuses hypothèses plus ou moins archéologiques et plus ou moins fantaisistes. Toutefois, c’est là peine perdue, car un tel édifice une fois passé le temps historique de ces invasions ne peut qu’avoir été pillé pour récupérer le fer et le bronze et les réutiliser à d’autres emplois comme cela a toujours été le cas avant que n’existe la conservation des monuments historiques…

– « Il dit : Ceci est une miséricorde de mon Seigneur, mais lorsqu’adviendra la promesse de mon Seigneur, Il le pulvérisera ; la promesse de mon Seigneur sera, véritablement. », v98.

Comme nous l’avons signalé en commentaire du v83, chacun des récits ou des paraboles présentés en cette sourate se termine par une conclusion, un verset conclusif. Le v98 constitue de fait la conclusion de ce récit au sujet de Moïse/Dhūl–l–Qarnayn, mais aussi du récit précédent rapportant l’initiation de Moïse auprès de l’Ange, car nous l’avons signalé et souligné il en est précisément dépourvu. Ceci confirme du point de vue structurel et narratif que ces deux récits sont liés et que Moïse est bien Dhū–l–Qarnayn. Aussi, lorsque Moïse/Dhū–l–Qarnayn annonce que « la promesse » de son « Seigneur » est qu’Il « pulvérisera » la muraille qu’il vient d’édifier, ce propos ne concerne pas la Fin des temps, mais indique qu’ici-bas rien n’est durable et que ce qui en apparence paraît indestructible, en réalité disparaîtra obligatoirement. Aucune construction, aucune protection, aucun monument ne résiste à l’usure du temps. Aucun empire ne subsiste, les vainqueurs d’un jour seront toujours les perdants d’un autre. La roue tourne inéluctablement et, au-delà des apparences, la réalité est qu’à l’échelle du temps historique tout triomphe se termine par une défaite : « Combien de générations avant eux avons-Nous laissé périr ; en perçois-tu un seul être, en entends-tu le moindre murmure… », S19.V98.

– Telle est la conclusion de Moïse/Dhū–l–Qarnayn qui, nous le constatons, a parfaitement acquis l’enseignement de l’Ange quant à l’apparent et au réel, thématique de cette Partie III en conformité avec le thème de cette sourate. Nous rappellerons que c’est suite à sa réussite lors de son initiation par l’Ange que Moïse a gagné le titre de Dhū–l–Qarnayn : celui dont la puissance prophétique et spirituelle rayonne. Cependant, l’Exégèse ayant repris à son compte les lectures eschatologiques juives et chrétiennes a donc supposé qu’il était fait ici allusion à la Fin des temps, c.-à-d. quand selon ces prédécesseurs Dieu détruira la muraille mythique du non moins mythologique Alexandre le Grand et que les tout autant mythologiques Gog et Magog envahiront le monde pour y détruire toutes créatures humaines à l’exception des juifs selon le judaïsme ou des chrétiens selon le christianisme, ou par voie de conséquence des musulmans selon nos commentateurs de cette fin de partie. Sur ces interprétations et leur infondé total, voir ci-dessus aux vs92-94. Loin de toutes ces spéculations dont la motivation est donc théologique : l’exclusivisme du Salut clamé et réclamé par ces trois religions en particulier, la cohérence thématique de la Sourate 18 permet de les écarter sans l’ombre d’une hésitation, d’autant plus que le Coran rejette l’exclusivisme religieux. Sur ce point essentiel, voir entre autres S5.V48 et son développement en La Pluralité religieuse selon le Coran et en Islam ainsi que S4.V122-125 explicités en Le Salut universel selon le Coran et en Islam. De manière concrète, il est donc tout à fait erroné de croire que les peuplades de Gog et Magog, dont seul le nom est mythique, resurgiront aux temps eschatologiques. Ces peuples ont disparu depuis fort longtemps et c’est au fond aussi le message délivré par ce rappel strictement rationnel des faits proposé par ce contre-récit coranique qui n’inscrit cet évènement que dans un temps historique parfaitement révolu. Par ailleurs, le fait que ce verset soit incontestablement la conclusion de ce qui précède exclut qu’il puisse se lire en lien avec le v99 à suivre.

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Dr al Ajamî

[1] Pour notre Exégèse Littérale du Coran, cf. https://www.alajami.fr/ouvrages/

[2] Pour notre Traduction littérale du Coran, cf. https://www.alajami.fr/produit/le-coran-le-message-a-lorigine/

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