Épisode 17 : Épilogue ; vs99-108
L’épisode précédent nous a permis de parvenir au terme de parcours de Moïse/Dhū–Qarnayn. Par la même, il s’agissait manifestement du dernier récit proposé par la Sourate 18, Sourate La Caverne/al–kahf. Il apparaît ainsi manifestement que les derniers versets de la sourate s’inscrivent du point de vue de sa composition en une logique différente. Présentement, les vs 99-108 réalisent un épilogue tandis que les vs101-110 forment la conclusion.
Voici donc un extrait de notre Exégèse Littérale du Coran[1] quant à ce Chapitre II. Le texte de ce passage en est donné selon notre Traduction Littérale du Coran[2] parue en 2024 :
Épilogue
- Nous laisserons ce Jour-là les uns s’entremêler aux autres comme les flots… Puis l’on sonnera du Cor et Nous les rassemblerons, totalement.
- Nous présenterons ce Jour-là la Géhenne aux dénégateurs, amplement,
- eux dont les personnes étaient dans la dissimulation quant à Mon rappel et ne voulaient pas être entendants.
- Les dénégateurs escomptaient-ils prendre en dehors de Moi Mes adorateurs comme maîtres ! En vérité, pour les dénégateurs Nous avons préparé la Géhenne en guise d’hébergement.
- Dis : Vous aviserions-nous de ceux qui en fait d’œuvres sont les plus grands perdants ?
- Ce sont ceux dont l’effort s’est égaré en la vie d’ici-bas alors qu’ils pensaient agir excellemment !
- Ceux-là sont ceux qui déniaient les Signes de leur Seigneur ainsi que Sa Rencontre, leurs œuvres auront donc été vaines et, au Jour de la Comparution, Nous ne leur accorderons aucun poids, nullement.
- Il en est ainsi, leur salaire sera la Géhenne parce qu’ils dénièrent et qu’ils prirent Mes versets et Mes Messagers moqueusement.
- En vérité, ceux qui auront cru et œuvré en bien, les jardins de l’Immensité paradisiaque seront leur hébergement.
- Ils y demeureront intemporellement et n’en désireront aucun changement.
وَتَرَكْنَا بَعْضَهُمْ يَوْمَئِذٍ يَمُوجُ فِي بَعْضٍ وَنُفِخَ فِي الصُّورِ فَجَمَعْنَاهُمْ جَمْعًا (99) وَعَرَضْنَا جَهَنَّمَ يَوْمَئِذٍ لِلْكَافِرِينَ عَرْضًا (100) الَّذِينَ كَانَتْ أَعْيُنُهُمْ فِي غِطَاءٍ عَنْ ذِكْرِي وَكَانُوا لَا يَسْتَطِيعُونَ سَمْعًا (101) أَفَحَسِبَ الَّذِينَ كَفَرُوا أَنْ يَتَّخِذُوا عِبَادِي مِنْ دُونِي أَوْلِيَاءَ إِنَّا أَعْتَدْنَا جَهَنَّمَ لِلْكَافِرِينَ نُزُلًا (102) قُلْ هَلْ نُنَبِّئُكُمْ بِالْأَخْسَرِينَ أَعْمَالًا (103) الَّذِينَ ضَلَّ سَعْيُهُمْ فِي الْحَيَاةِ الدُّنْيَا وَهُمْ يَحْسَبُونَ أَنَّهُمْ يُحْسِنُونَ صُنْعًا (104) أُولَئِكَ الَّذِينَ كَفَرُوا بِآَيَاتِ رَبِّهِمْ وَلِقَائِهِ فَحَبِطَتْ أَعْمَالُهُمْ فَلَا نُقِيمُ لَهُمْ يَوْمَ الْقِيَامَةِ وَزْنًا (105) ذَلِكَ جَزَاؤُهُمْ جَهَنَّمُ بِمَا كَفَرُوا وَاتَّخَذُوا آَيَاتِي وَرُسُلِي هُزُوًا (106) إِنَّ الَّذِينَ آَمَنُوا وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ كَانَتْ لَهُمْ جَنَّاتُ الْفِرْدَوْسِ نُزُلًا (107) خَالِدِينَ فِيهَا لَا يَبْغُونَ عَنْهَا حِوَلًا (108)
Pour rappel, voici le v98 : « Il dit : Ceci est une miséricorde de mon Seigneur, mais lorsqu’adviendra la promesse de mon Seigneur, Il le pulvérisera ; la promesse de mon Seigneur sera, véritablement. » Nous l’avions souligné lors de l’épisode précédent, ce verset donnait la conclusion du troisième cheminement de Moïse/Dhūl–l–Qarnayn. L’on constatera à présent qu’il ne pouvait être relié par le sens et la fonction au v99 qui de fait est le premier verset de cet épilogue ; nous revenons sur ce point plus avant.
Explicitement donc, les vs99-108 forment un épilogue, construction que nous rencontrons par exemple en la Sourate 12 Joseph elle aussi une sourate construite sur le récit et qui, de manière remarquable, concerne aussi les qurayshites et leur attitude vis-à-vis du Prophète. Or, l’on doit garder à l’esprit que la présente sourate est elle aussi adressée aux idolâtres mecquois, vs4-8, en tant que message mettant en évidence les rapports entre les apparences illusoires et la réalité avérée, ici accentués par la Réalité de l’Enfer thème déjà traité aux vs45-53. Ces qurayshites colportaient auprès du Prophète des récits relatifs notamment aux « Compagnons de la Caverne » et à « Dhū–l–Qarnayn » avec une intention aux accents menaçants, voir au v28. Le Coran, après avoir en ses contre-récits évoqué la simple réalité historique de ces faits légendaires, rappelle à présent ce que sera la réalité de leur devenir. Les épilogues coraniques présentent donc en synthèse la philosophie générale du thème traité en leurs sourates.
– Ainsi, on peut constater en cet épilogue que l’ensemble de ce propos concerne le sort des « dénégateurs/al–kāfirīn », vs100 et 102, ceux « qui déniaient les Signes de leur Seigneur », vs105 et 106, et qui en somme « étaient dans la dissimulation », v101. Ils vivent dans l’illusion « en la vie d’ici-bas alors qu’ils pensaient agir excellement », v104, en prenant « en dehors de » Dieu des « adorateurs » de Dieu « comme maîtres », v102. Leur interprétation volontaire des « Signes », v105, des « versets » et des « Messagers », v106, correspond à leur déni des réalités et de leur « signification première/ta’wīl », v78, qu’ils renvoient au seul domaine des apparences interprétatives par jeu et ignorance volontaire. Ils les considèrent « moqueusement », v106, au point que leur propre vie ne sera qu’apparences et illusions et qu’il est dit d’eux : « vous aviserions-nous de ceux qui en fait d’œuvres sont les plus grands perdants », v103.
– C’est donc dans la perspective de la Réalité finale que le v99 se comprend : « Nous laisserons ce Jour-là les uns s’entremêler aux autres comme les flots… Puis l’on sonnera du Cor et Nous les rassemblerons, totalement. » Toutefois, nous l’avons détaillé, l’Exégèse a volontairement assimilé les projections fantasmatiques du retour destructeur des Gog et Magog à la Fin des temps tel qu’imaginé par le Judaïsme et le Christianisme, et nous avons vu au v92 les intentions théologiques qui y présidaient. De ce fait, nos commentateurs ont relié le v98 au v99 et suivants. Ce v99 a donc été interprété comme suit : « Nous [Dieu] les laisserons [c.-à-d. Gog et Magog], ce jour-là, déferler [sur la Terre pour y anéantir les Nations] comme les flots les uns sur les autres, et on soufflera dans la Trompe [ce sera le début de la Fin des temps après un règne de paix sous la domination de l’Islam guidé par Jésus] et Nous les rassemblerons tous [au Jour du Jugement] », traduction standard, le commentaire inclus est de nous.
– Cependant, en dehors du fait que le propos coranique à l’opposé de ces hallucinations eschatologiques inscrit ce récit dans une courte période historique depuis lors révolue et disparue, nous avons clairement démontré que le v98 en tant que conclusion des récits de Moïse/Dhūl–l–Qarnayn est nécessairement indépendant de ce qui fait suite. Pour parvenir à ses fins, l’Exégèse a donc mésinterprété le v99 qu’elle a de plus relié à S21.V96 tout autant mésinterprété comme nous le justifions ad loc. Présentement, nous indiquerons seulement que le verbe « déferler » n’est pas mentionné dans ce v99, il est ajouté par la traduction standard pour créer l’illusion du déferlement de Gog et Magog imaginé par l’Exégèse tout particulièrement en S21.V96. Littéralement, le verbe employé est mājā qui signifie s’agiter comme des vagues, mais comme il est donné en complément ba‘ḍa-hum fī ba‘ḍ au sens de : les uns dans les autres, le sens voulu en est bien « les uns s’entremêler aux autres comme les flots ». Par conséquemment, ceci n’évoque rien d’autre que l’image de la sortie en masse de tous les morts de la terre surgissant en vagues successives et pêle-mêle avant que la dernière sonnerie de Cor ne retentisse et qu’ils soient tous réunis pour « la Comparution/al–qiyāma », v105, pour le Jugement dernier : « puis l’on sonnera du Cor et Nous les rassemblerons, totalement ».
– Enfin, les faits évoqués en cet épilogue sont tous formulés au mode verbal du passé, l’accompli, alors que l’on aurait pu s’attendre à ce qu’ils le soient au futur. Cependant, ce procédé est fréquent lorsque sont évoquées des scènes se déroulant après la destruction de la Terre et des Cieux en une autre réalité ontologique en laquelle la présence de Dieu et des Anges indique qu’il n’y a ni espace ni temps. Ceci confirme à nouveau qu’il ne s’agit pas en ce verset d’évoquer le surgissement de Gog et Magog avant la Fin des temps, car ladite Fin des temps est un instant eschatologique se situant encore dans notre espace-temps.
– « En vérité, ceux qui auront cru et œuvré en bien, les jardins de l’Immensité paradisiaque seront leur hébergement », v107.
Nous avons restitué le terme firdaws par « l’Immensité paradisiaque ». Or, il a été supposé que le mot firdaws proviendrait de l’ancien perse pairidæza signifiant enclos, parc, puis qu’il aurait été arabisé sous la forme farādis qui rappelant un pluriel arabe aurait alors servi à la formation du singulier firdaws. D’autres en font un emprunt à l’hébreu pardes ou à l’araméen fardes signifiant jardin. D’aucuns, hellénisants, considèrent qu’il s’agit d’un emprunt au grec paradèisos bien que ce terme soit très vraisemblablement lui-même un emprunt à l’une de ces langues sémitiques. Cependant, d’une part, il y aurait ici un doublon de sens entre « les jardins/jannāt » et le mot firdaws si celui-ci dépendait d’une de ces étymologies le rattachant toutes à l’idée de jardin. D’autre part, ce lien étymologique supposerait que « les jardins » du Paradis sont clos et en conséquence limités, ce qui ne peut être le cas. L’on note alors qu’en ce verset comme en sa seconde occurrence coranique en S23.V11, firdaws est décliné grammaticalement comme un mot arabe et qu’il serait donc moins spéculatif de supposer que ce terme dérive de la racine verbale quadrilatère f.r.d.s au sens de remplir entièrement. De là dérive le substantif fardasa : ampleur, largeur, et firdaws selon un schème régulier indiquerait « l’Immensité paradisiaque » desdits « jardins ». Ceci caractérise parfaitement le Paradis, illimité, incommensurable, infini, tel que décrit allégoriquement dans le Coran. Enfin, il est régulièrement affirmé que le firdaws serait le plus haut degré du Paradis, mais l’on peut constater en ce v107 qu’il s’agit de la récompense de « ceux qui auront cru et agi en bien », ce qui correspond seulement à l’attribution générale. De plus, il ne saurait y avoir de hiérarchie au Paradis puisque celui-ci n’est que l’allégorie de la félicité des âmes élues en Dieu sur ce dernier point, cf. notre étude : Le Paradis selon le Coran et en Islam. En tout état de cause, telle est donc la finalité à rechercher au-delà des apparences de la réalité.
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Dr al Ajamî
[1] Pour notre Exégèse Littérale du Coran, cf. https://www.alajami.fr/ouvrages/
[2] Pour notre Traduction littérale du Coran, cf. https://www.alajami.fr/produit/le-coran-le-message-a-lorigine/