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Le “voile” de la “femme ménopausée” selon le Coran et en Islam

S24.V60

 

Bien que le sujet ne soit pas fréquemment abordé, l’on prétend à partir de S24.V60 que le Coran autoriserait les femmes ménopausées à plus ou moins se “dévoiler”. Tel qu’il est compris par l’Exégèse, ce verset est profondément sexiste. Il réduirait la féminité au seul fait d’être désirable par les hommes et poserait que le désir masculin ne vaudrait que pour les femmes jeunes, ou du moins encore en âge de reproduire.. Par ailleurs, ce verset a été relié à un groupe complémentaire de versets qui ont été travaillés exégétiquement afin de démontrer indirectement que le Coran prescrirait le port du ḥijâb ou voile de tête.[1]

 

• Que dit l’Islam

Le verset S24.V60 est employé par les exégètes comme preuve à contrario de la prescription coranique du “voile”. En voici la traduction standard, laquelle rend parfaitement compte de cette lecture particulière : « Et quant aux femmes atteintes par la ménopause qui n’espèrent plus le mariage, nul reproche à elles d’enlever leurs vêtements [de sortie], sans cependant exhiber leurs atours et si elles cherchent la chasteté c’est mieux pour elles. Allah est Audient et Omniscient.», S24.V60.

Pour ce faire, les exégètes lui confèrent le sens suivant : si Dieu permet à la femme ménopausée d’alléger sa tenue vestimentaire sans préciser qu’elle peut retirer son voile, c’est donc que le voile lui est toujours prescrit. Ce raisonnement est spécieux et, en soi, ne possède aucune base littérale. En effet, puisque ce verset ne parle pas du voile, élément pourtant supposé très important en matière de pudeur et de tenue vestimentaire, l’on aurait pu tout aussi bien en conclure que cette absence provient du fait que le Coran n’a jamais prescrit le voile.

Cependant, en fonction de cet avis exégétique dominant, se pose les questions suivantes : En quoi une femme qui ne souhaite pas se marier pourrait déroger aux règles de pudeur vestimentaire que le Coran lui a par ailleurs recommandées en S24.V31 et S33.V59 ? Est-ce dire que si une femme ne souhaite pas se marier, aucun homme ne pourrait la désirer ou souhaiter l’épouser ? En quoi une femme devrait-elle garder son voile, mais pourrait s’habiller plus légèrement ?  Cacher ses cheveux serait-il plus important que montrer son corps ? Si l’on affirme que S24.V31 prescrit le port du voile, l’on doit admettre qu’il  ne conditionne pas cette pratique à la notion de mariage, alors comment notre verset pourrait-il lier la tenue vestimentaire au fait de ne pas souhaiter se marier ? Comment comprendre que la pudeur vestimentaire serait liée à la présence de règles ou à son absence ? La pudeur en l’absence de règles serait-elle diminuée ? La pudeur serait-elle à géométrie variable en fonction de l’état physiologique ou sexuel, du taux d’hormones ? Une femme ménopausée serait-elle par nature moins impudique ? Les règles féminines auraient-elles un pouvoir d’attraction sexuel imposant à la femme de se couvrir davantage ?  En quoi les femmes ménopausées seraient-elles moins désirables que les autres ? Hommes et femmes se marient par définition sans savoir s’ils sont stériles ou non, quel rapport logique ce verset pourrait alors établir entre la ménopause et le non désir de mariage ? Le mariage ne serait-il lié qu’à la pulsion sexuelle ou à l’instinct de reproduction, ou le Coran plaiderait-il pour le jeunisme ! Ce verset ne concernerait que les ménopausées ne désirant pas se marier, une femme seule ne devrait-elle pas au contraire mieux surveiller sa tenue vestimentaire ? Pourquoi ce verset autoriserait de retirer ou d’alléger « certains vêtements » sans préciser du ou desquels il est question, en quoi une telle imprécision est-elle digne de la Parole de Dieu ? Enfin, comment le Coran pourrait-il affirmer que l’on peut alléger sa tenue tout en disant que c’est mieux de ne pas le faire ? Difficile en ces conditions de valider le sens que l’Exégèse et l’Islam ont conféré et confèrent encore à ce verset.

• Que dit le Coran

À titre comparatif, voici la traduction littérale de ce verset-clef dont nous justifierons par l’analyse littérale les nettes différences d’avec l’interprétation soutenue par l’Islam :  « De même, les femmes d’âge avancé/al–qawâ‘idu qui n’éprouvent plus de désir charnel/lâ yarjûna nikâḥan, nul grief s’il advient qu’elles délaissent de leurs tenues/an yaḍa‘na thiyâba-hunna sans vouloir se mettre en valeur/ghayra mutabarrijât bi-zîna et sans impudeur/wa an yasta‘fifna, cela est mieux pour elles ; Dieu entend et sait parfaitement.»[2]

– Dans un premier temps, l’Analyse contextuelle nous est ici précieuse. Globalement, le contexte général renvoie à la quasi-totalité de la thématique de S24. Le premier verset de cette sourate indique que ladite sourate « La Lumière » envisagera de nombreuses prescriptions : « Sourate que Nous avons révélée et en laquelle nous avons établi des règles de conduite/faraḍnâ-hâ[3] et Nous y avons révélé des versets explicites ; puissiez-vous vous en rappeler. » Ces règles et recommandations sont toutes en rapport avec la moralité sociale :  respect de la fidélité mutuelle du couple et de la vertu des femmes, vs2-26 ; respect du domicile d’autrui, vs27-29 ; conduite chaste et pudeur vestimentaire, vs30-31 ; incitation au mariage, vs32-33 ; respect de l’intimité vs58-60 ; respect dans les relations familiales, vs61-62. Le contexte d’insertion est signalé par l’interjection vocative yâ’ayyuhâ/Ô vous ! du v58 qui introduit un propos relatif à la pudeur dans l’espace privé alors que le verset prétendument relatif au voile, S24.V31, traite de la pudeur dans l’espace public. Ainsi, le v58 préconise-t-il que soit demandée l’autorisation de pénétrer dans l’espace intime lors des occasions de nudité que sont la sieste et le temps de sommeil nocturne afin de protéger cette intimité. Le v59 quant à lui précise que cette règle s’applique de même aux jeunes enfants pubères. L’autorisation d’entrer relève présentement du respect de l’intimité privée, l’intimité des corps,  à la différence des vs27-29 pour lesquels cette demande d’autorisation concernait seulement le respect du domicile privé. Notre v60 s’inscrit donc sans conteste dans le cadre de la pudeur privée. La cohérence contextuelle de ce paragraphe de trois versets permet donc d’écarter un présumé aparté sur le statut marital des femmes ménopausées dont nous avons par ailleurs interrogé l’incohérence interne et l’incompatibilité d’avec l’esprit coranique général.

– Le cadre général de compréhension étant précisé, comme l’indiquent les nombreuses transcriptions que nous avons figurées en notre traduction littérale, l’Analyse lexicale et l’Analyse sémantique sont deux étapes essentielles quant à la détermination du Sens littéral de ce verset.

– « les femmes d’âge avancé/al–qawâ‘id ». Le pluriel al–qawâ‘id  apparaît à trois reprises dans le Coran.[4] Il désigne les fondations, les bases, les assises, ce conformément au sens de la racine qa‘ada : s’asseoir, être stable, être ferme, demeurer. De même, qâ‘ida signifie base, règle générale, loi, principe. Or, en S24.V60, aucune de ces significations ne peut logiquement être retenue. Cependant, parmi les significations données au pluriel qawâ‘id  nous retrouvons dans le lexique arabe ne plus pouvoir avoir d’enfants, ne pas avoir ses règles, avoir un mari, femmes d’âge avancé, cette extension de sens ayant sans doute trait au fait de se retrouver en un état stable, un état de base en quelque sorte. Les remarques que nous avons établies quant aux problèmes posés par le choix classique de la signification « femmes ménopausées », nous amènent à priori à retenir pour al–qawâ‘id  le sens restant :  « femmes d’âge avancé ».

– « qui n’éprouvent plus de désir charnel/lâ yarjûna nikâḥan ». La locution lâ yarjûna nikâḥan  peut signifier ne pas espérer mariage ou l’inverse, mais aussi littéralement : ne plus éprouver de désir sexuel, charnel, le terme nikâḥ qualifiant à l’origine le coït et ne désignant le mariage que selon une synecdoque euphémistique propre aux Arabes. L’hypothèse de sens retenue par l’Exégèse : « qui n’espèrent plus le mariage » est parfaitement phallocrate : une vieille femme n’aurait pas de valeur aux yeux des hommes et le mariage ne serait lié qu’à l’attrait sexuel. Ce sexisme ne peut être attribué au Coran qui, nous l’avons dit, est respectueux des femmes et en fait les égales ontologiques des hommes, y compris en matière de sexualité.[5] Plus grave encore, si l’on considère que le Coran est la parole révélée de Dieu, alors selon cette compréhension il nous faudrait admettre que Dieu soit de genre mâle, phallocrate et aux mœurs patriarcales ! Nous verrons que la cohérence de ce verset confirmera que la locution lâ yarjûna nikâḥan  doit être comprise selon sa deuxième signification : « qui n’éprouvent plus de désir charnel ».

– « s’il advient qu’elles délaissent de leurs tenues/an yaḍa‘na thiyâba-hunna ». En la locution yaḍa‘na thiyâba-hunna, la forme yaḍa‘na est le féminin pluriel du verbe waḍa‘a dont le large champ lexical est bâti autour de deux lignes de sens : placer et déposer. Le mot thiyâb est un pluriel : vêtements, habits, tenues. Littéralement, l’expression yaḍa‘na thiyâbahunna pourrait donc signifier qu’elles enlèvent leurs vêtements, autrement dit : se dénuder. Ceci explique que l’Exégèse se soit crue dans l’obligation d’ajouter une précision entre crochets absente du texte coranique : « à elles d’enlever leurs vêtements [de sortie] », et bien des traductions utilisent ce procédé sans la mise entre crochets. Cette interprétation non textuelle a permis aux exégètes d’affirmer qu’il s’agissait là de la possibilité de retirer tel ou tel accessoire de la garde-robe d’extérieur de la musulmane, du moins telle qu’ils la concevaient. Selon les auteurs, il s’agirait alors du khimâr, du djelbâb  ou du riḍâ. Selon leur logique autonome, les exégètes ont alors déduit de leurs propres affirmations que le voile/ḥijâb n’étant pas ici à retirer devait donc à contrario être conservé pour la sortie ![6] Cependant, force est de constater que le Coran n’est pas aussi textuellement déterminé que nos ulémas. Quoi qu’il en soit de ces spéculations non gratuites, et comme il n’est guère possible de comprendre la locution an yaḍa‘na thiyâba-hunna directement par « si elles enlèvent leurs vêtements », il nous faut noter qu’elle est informée par ce qui y fait suite : « sans vouloir se mettre en valeur et sans impudeur ». Il ne s’agit donc pas d’un retrait de vêtements intentionnel et intentionné, ce qui explique que nous ayons rendu la particule « an » par un « si » exprimant l’hypothétique, d’où pour rendre l’ensemble de ces nuances coraniques notre : « s’il advient qu’elles délaissent de leurs tenues ».

– « sans vouloir se mettre en valeur/ghayra mutabarrijât bi-zîna ». Le terme mutabarrijât est le participe passé de la forme verbale de type V : tabarraja employée dans le Coran à deux autres reprises en S33.V33, verset impliqué dans le discours de pudeur coranique. Cette forme verbale évoque l’idée d’une tour/burj qui apparaît  de loin aux regards. Si l’usage exégétique a conféré au terme tabarruj le sens d’exhibition et, à l’époque moderne, d’exhibitionnisme, il évoque à l’origine le balancement d’une démarche séduisante dite tabakhtur qui dans l’idée correspond au français se montrer, s’afficher. En notre verset, il est associé au complément bi-zîna et, sachant que le terme zîna possède deux lignes de sens : beauté personnelle, parures, l’expression  ghayra mutabarrijât bi-zîna se comprend nécessairement comme signifiant « sans vouloir se mettre en valeur » ou autres équivalents littéraires. Du reste, cette signification est conforme à ce que le Coran recommande en matière de comportement.[7]

– « et sans impudeur/wa an yasta‘fifna ». La forme yasta‘fifna est le féminin pluriel de la forme X ista‘affa dérivée du verbe ‘affa, signifiant alors être chaste, prude, sans indécence, sans impudeur.  Signalons que cette forme verbale est souvent confondue à tort par les traducteurs avec la forme X  ista‘fâ, dérivée du verbe ‘afâ, et prise alors pour s’abstenir, renoncer à, passer outre. En cela, ils suivent les commentateurs classiques qui ont opéré ce glissement lexical afin de pouvoir incidemment affirmer, à contresens assumé, que cette abstention présumée concernait le maintien du voile de tête malgré l’allégement de la tenue vestimentaire préconisée par ce verset, d’où les choix traductionnels type : « mais il est tout de même préférable pour elle de s’en abstenir ». De même, lorsque la traduction standard écrit : « et si elles cherchent la chasteté c’est mieux pour elles », sens littéralement possible, elle poursuit en réalité son objectif : déclasser les « femmes atteintes par la ménopause » en supposant qu’elles « n’espèrent plus le mariage » et en affirmant que « si elles cherchent la chasteté c’est mieux pour elles », négation de la sexualité de la femme dès lors que les hommes ne la désirent plus ! Bien évidemment, en dehors du rejet éthique de telles conceptions, puisque nous avons vu que ce verset envisage le cas des « femmes d’âge avancé qui n’éprouvent plus de désir charnel », le seul sens à retenir pour an yasta‘fifna est : «  sans impudeur ».

Au final, notre verset se lit bien comme suit : « De même, les femmes d’âge avancé/al–qawâ‘idu qui n’éprouvent plus de désir charnel/lâ yarjûna nikâḥan, nul grief s’il advient qu’elles délaissent de leurs tenues/an yaḍa‘na thiyâba-hunna sans vouloir se mettre en valeur/ghayra mutabarrijât bi-zîna et sans impudeur/wa an yasta‘fifna, cela est mieux pour elles ; Dieu entend et sait parfaitement.», S24.V60.

Pour en saisir le Sens littéral, rappelons que l’analyse contextuelle a mis en évidence que notre verset s’inscrivait dans le cadre d’une définition minimale de la décence féminine. De manière générale, il a tout d’abord été demandé aux femmes de couvrir leur décolleté et de point trop paraître en beauté, S24.V31, mesures qui concernent la pudeur publique. Ensuite, ce verset appartient à un paragraphe de trois versets, vs58-60, en lequel il est précisé que la pudeur s’applique aussi dans l’intimité des maisons, la limite haute étant la nudité des adultes qui doit être tenue à l’abri des regards, vs58-59, ceci sachant qu’en S24.V31 il a aussi été demandé une certaine décence à l’intérieur même de l’intimité familiale. Ainsi, compte tenu de ces données contextuelles, notre v60 envisage-t-il le cas particulier de personnes âgées : « les femmes d’âge avancé », voire très âgées comme l’indique le segment  « qui n’éprouvent plus de désir charnel » et qui donc, parfois, peuvent avoir des difficultés physiques ou cognitives à veiller sur la correction de leur habillement. À ces femmes donc, il leur est excusé: « nul grief » ces éventuels écarts vestimentaires : « s’il advient qu’elles délaissent de leurs tenues », écarts qui sont donc non intentionnels comme l’indique le segment : « sans vouloir se mettre en valeur et sans impudeur ». Par ailleurs, le « nul grief » suppose directement qu’il soit en fait demandé à l’entourage d’être bienveillant à leur encontre de par la situation de ces personnes de grand âge. De manière générale, un tel verset rappelle aux femmes plus jeunes que le Coran ne plaide pas uniquement en faveur d’une pudeur publique, mais qu’il demande aussi à ce que l’on soit vigilant quant à la pudeur dans la sphère privée.

 

Conclusion

L’Analyse littérale de S24.V60 aura montré que son Sens littéral diffère nettement de l’interprétation soutenue par l’exégèse islamique. Celle-ci est motivée par un jeu d’intentions peu louables visant un statut sexuel des femmes ménopausées. Selon l’interprétation voulue par l’Islam, la sexualité féminine serait donc seulement conditionnée par leur fertilité et la ménopause les écarterait du désir et de la désirabilité. Seules les femmes jeunes et en âge de procréer seraient donc désirables aux yeux des hommes.

À l’opposé le Sens littéral de ce verset démontre que le Coran ne lie pas la sexualité des femmes à leur âge. Dans le cadre de la pudeur privée familiale, ce verset indique que la miséricorde divine prend en compte la situation de femmes très âgées qui, de ce fait, ne seraient pas à même de pouvoir être vigilantes quant à leurs tenues. Au-delà, il nous enseigne à respecter nos aînés et à abaisser sur eux « l’humble aile de la miséricorde ».[8]

Dr al Ajamî

 

[1] Voir : Le voile selon le Coran et en Islam et  aussi : Le voile comme signe distinctif de la musulmane.

[2] S24.V60 :

 « وَالْقَوَاعِدُ مِنَ النِّسَاءِ اللَّاتِي لَا يَرْجُونَ نِكَاحًا فَلَيْسَ عَلَيْهِنَّ جُنَاحٌ أَنْ يَضَعْنَ ثِيَابَهُنَّ غَيْرَ مُتَبَرِّجَاتٍ بِزِينَةٍ وَأَنْ يَسْتَعْفِفْنَ خَيْرٌ لَهُنَّ وَاللَّهُ سَمِيعٌ عَلِيمٌ» 

[3] Notre traduction « établir des règles de conduite » est littérale. La racine faraḍa signifie faire une encoche dans le bois, une marque. Par extension, elle vint à indiquer le fait d’insérer une règle dans la coutume, comme une marque repérable.

[4] Les deux autres occurrences sont S2.V127 et S16.V26.

[5] Cf. Le voile selon le Coran et en Islam  et aussi : Égalité homme femme selon le Coran et en Islam.

[6] Nous ne perdrons pas de vue bien sûr que la prescription du voile par le Coran n’est qu’une fiction exégétique, cf. Le voile selon le Coran et en Islam.

[7] Sur ce point relevant de la pudeur et de la décence, voir : Le voile selon le Coran et en Islam.

[8] Cf. S17.V24 : « وَاخْفِضْ لَهُمَا جَنَاحَ الذُّلِّ مِنَ الرَّحْمَةِ وَقُلْ رَبِّ ارْحَمْهُمَا كَمَا رَبَّيَانِي صَغِيرًا »