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Nous l’avons maintes fois souligné, le rôle de l’analyse contextuelle est central, quels que soient les versets dont nous proposons la détermination du Sens littéral.  Précisément, il s’agit là de la troisième étape de l’Analyse littérale du Coran qui en comporte cinq, à savoir : 1 – Analyse lexicale ; 2 – Analyse sémantique ; 3 – Analyse contextuelle ; 4 – Analyse de la convergence coranique ; 5 – Résolution du sens littéral.

De principe, notre Méthodologie d’Analyse Littérale du Coran est essentiellement intratextuelle, cf. Sens littéral et Intratextualité. Ceci implique que par contexte nous entendions précisément  le contexte d’énonciation du verset au sein du Coran en tant que corpus clos. Cette approche strictement intratextuelle a aussi comme conséquence directe de faire la différence entre le contexte textuel tel que nous venons de le définir et la contextualisation des versets telle qu’elle est pratiquée en exégèse et en islamologie. Nous préciserons donc dans un premier temps ce qui est compris par contextualisation.

• La contextualisation

Contrairement à notre approche intratextuelle intra-coranique, les différents procédés de contextualisation ont pour point commun d’être intertextuels et extra-coraniques. Il en est ainsi de :

1– La contextualisation circonstancielle

Nous entendons par là les circonstances de révélation ou asbâb an–nuzûl. Il s’agit d’un très ancien procédé intertextuel de l’exégèse musulmane, mais curieusement réactivé par l’islamologie contemporaine qui ne regarde pas en l’occurrence la pureté de la source où elle puise. Il consiste à imaginer un contexte en lequel un verset aurait été révélé, mais que le Coran n’aurait pas explicitement indiqué. Or, ce type de récit est parfaitement spéculatif et, de fait, l’on trouve généralement plusieurs « asbâb » indiquant des circonstances différentes qui, parfois, sont attribuées à un même rapporteur.  Ceci prouve directement que ce procédé  dépend de l’imagination et des opinions propres aux divers auteurs de ces “circonstances”. Lesdites circonstances de révélation s’avèrent en réalité n’être que des récits de circonstance.[1]

2 – La contextualisation historique

L’objectif de la contextualisation historique, c’est-à-dire l’historicisation, est de chercher à comprendre les versets du Coran en fonction du contexte historique de réception. Cela suppose que nous connaissions parfaitement, la culture, les traditions religieuses et les évènements au cours de la période coranique. Cependant, le milieu de réception du Coran est très mal connu et il en était de même dès les premiers temps de l’Exégèse comme l’atteste la nature de la Sîra mise seulement par écrit vers le milieu du IIe siècle de l’Hégire. Concrètement, la Sîra est une compilation de récits d’origine incertaine destinés à fournir les détails d’évènements auxquels le Coran ne fait qu’allusion. Mais, il s’agit surtout d’une interprétation desdits évènements en fonction de la construction du mythe prophétique et de l’Islam. La Sîra est donc la forme la plus ancienne d’historicisation et d’exégèse qui nous soit parvenue. Pour une critique détaillée de la Sîra en tant que source extratextuelle, cf. Intertextualité, critique des sources exégétiques. Vouloir faire recours à la Sîra à l’heure actuelle pour historiciser la compréhension du Coran revient donc à confondre l’Histoire et une interprétation historique fournie par les premiers exégètes historiens. C’est comprendre le Coran par ce qui en est déjà une interprétation, cercle herméneutique ne pouvant que générer de l’interprétation. S’ajoute à cela que toute lecture de type historique est par principe très exposée à l’activité interprétative ; interprétations sur interprétations donc ! Bien évidemment, il existe d’autres sources historiques, mais concernant la période coranique elles sont extrêmement rares, ceci qu’elles soient le fait d’historiens musulmans ou non. À Ce sujet cf. Méthodologie d’Analyse Littérale du Coran ; 3. b. 2 – Les sources historiques. Au vu de la faiblesse des matériaux historiques, de leur caractère interprété et du potentiel interprétatif de ce type de démarche, l’historicisation du Coran, plus qu’un vaste champ de recherche, s’avère être un vaste champ spéculatif. Le meilleur témoin de son histoire reste donc le Coran  lui-même, ce qui nous renvoie à l’approche intratextuelle propre à lAnalyse Littérale du Coran.

3 – La contextualisation anthropologique

Cette catégorie regroupe diverses approches sociologiques et ethnographiques. Comme précédemment, les matériaux directs sont rarissimes en dehors de ceux fournis par l’Islam, lesquels sont nettement biaisés par la réécriture  mythologisante des auteurs musulmans. Il en est ainsi du tableau de haute jâhiliya des Arabes avant l’Islam, le temps dit de l’ignorance. Tel que décrit par la littérature classique, cela ne correspond pas à une réalité historique, mais à la volonté de mieux mettre en avant la valeur civilisationnelle de l’Islam. Il s’agit donc d’une interprétation de l’environnement anthropologique du Coran qui ne pourra que donner lieu à une réinterprétation, qui plus est influencée par les paradigmes propres aux chercheurs occidentaux contemporains. Là encore, le Coran, lorsqu’on scrute son propos, est sans doute le document le plus fiable. En effet, l’on y décèle de très nombreuses interactions critiques avec le milieu ambiant, la culture, les croyances, la sociologie et les mœurs des premiers réceptionnaires. Pour autant, du point de vue de l’Analyse Littérale du Coran, ces éléments seront principalement utilisés en tant que guide de déconstruction de la vision du monde coranique construit par les interprétations de l’Exégèse et, à présent, de l’islamologie.

 

• Le contexte d’énonciation

À l’opposé de la contextualisation dont nous avons vu la nature extratextuelle extra-coranique et la forte propension à l’interprétation, notre démarche intratextuelle inter-coranique confère une place centrale à l’étude du contexte d’énonciation. Autrement qualifié, il s’agit du contexte textuel, c’est-à-dire l’environnement textuel en lequel un ou des versets donnés s’inscrivent. Par conséquent, par contextualité nous entendrons uniquement cette mise en situation textuelle.

Cette approche méthodologique à deux objectifs : lutter contre l’atomisation habituelle des versets et déterminer contextuellement le sens par les informations que le Coran délivre lui-même. En effet, tant l’Exégèse classique qu’islamologique ont tendance à considérer  les versets, voire des segments de versets, comme étant une unité de sens indépendante de son environnement textuel. En ces conditions, la contextualisation intertextuelle ne peut que produire des interprétations très éloignées de la signification d’un verset pris dans son contexte textuel. De fait, la notion de contexte d’énonciation s’inscrit en une démarche inverse : un verset, un segment ou un terme coranique ne fait sens qu’en fonction du réseau contextuel en lequel il s’insère. Trois niveaux fonctionnels peuvent être distingués : le contexte général, le contexte proche, le contexte d’insertion. L’ensemble constitue le maillage signifiant permettant de déterminer le contexte d’énonciation en lequel la polysémie potentielle de tout énoncé se réduit. Chacun de ces trois niveaux doit être systématiquement recherché et étudié, ce dans l’ordre présenté ci-dessous.

1 – Le contexte général

Bien qu’ayant fait l’objet d’une prise de conscience précoce, l’aspect compositionnel particulier du Coran semble avoir favorisé pour partie l’éclatement textuel exégétique auquel il est constamment exposé.[2] Concrètement, la division en sourates est indéniable, et si les sourates dites courtes sont directement exploitables du point de vue contextuel, les plus longues unités ont été aisément considérées comme affectées d’un “effet catalogue”. Même s’il est parfois nécessaire d’envisager la structure d’une longue sourate, il nous suffira le plus souvent de déterminer et examiner des rangs structurels commodément objectivables, à savoir dans l’ordre décroissant : partie, chapitre, sous-chapitre, paragraphe, alinéa. Ainsi, même lorsqu’il est visiblement en position axiale, un verset ne sera jamais considéré comme une unité textuelle indépendante. Par ailleurs, l’intérêt de cette division du texte réside dans le fait qu’elle peut être établie à partir de marqueurs sémantiques objectivement repérables tels que certains syntagmes, termes-clefs, répétition cyclique, phrase type. Exemples : yâ’ayyuhâ/Ô vous !, qul/dis ; wa idh/et quand ; yas’alûna-ka/ils t’interrogent. yâ’ayyuhâ al–ladhîna âmanû/Ô croyants !, ces marqueurs balisent la composition des sourates. À contrario, l’absence de ces marqueurs là où on les aurait attendus sera tout aussi signifiante. S’ajoute à cela le changement de rythme, de rime, de style, de récit, de thème, de ton, de locuteur, d’allocutaire. Du point de vue hiérarchique, le contexte général sera donc uniquement déterminé à partir de l’examen de deux macrostructures : partie et chapitre.

2 – Le contexte proche

Il est représenté par la subdivision textuelle correspondant généralement au paragraphe. Concernant le Coran, il est assez aisé de distinguer à partir des marqueurs précédemment cités de nombreux paragraphes, et ceci, faut-il le rappeler, alors même que le texte arabe de référence présente chaque sourate comme un seul bloc de texte sans aucun interligne séparatif.[3] C’est que cette apparente absence de structuration littéraire est composée par l’oralité du texte, sa forme d’origine donc, qui privilégie par conséquent les multiples changements de micro-thématiques au fil du discours coranique. Ces repères rendent les opérations de repérage commodément tangibles, observations que généralement l’étude des marqueurs sémantiques d’alternance confirme.

3 – Le contexte d’insertion

Il s’agit du dernier palier contextuel, il permet une résolution encore plus fine des solutions de sens avancées. Si la notion de contexte d’insertion peut correspondre à un alinéa, ce peut être aussi un verset ou un petit nombre de versets appartenant à cet alinéa ou en tenant lieu. Le verset ne sera donc pas systématiquement la plus petite unité textuelle envisagée. Il n’y a pas non plus à confondre ce dernier niveau textuel avec celui retenu par l’exégèse atomisante, péricope par péricope, puisqu’à ce stade de l’analyse littérale le ou les versets ne peuvent être compris qu’en fonction des différentes indications et restrictions de sens préalablement opérées lors des trois autres paliers contextuels.

On l’aura compris, jamais le poids de la boucle herméneutique islamo-islamologique n’aura produit autant d’interprétations que selon les systèmes de contextualisation. Ceci à d’autant plus d’importance que les « nouvelles approches du Coran » islamologiques font grand frais de cette contextualisation intertextuelle et extra-coranique. Selon cette voie, les démarches proposées ne peuvent donc qu’ouvrir à un large horizon d’interprétations.

Conclusion

Un verset du Coran n’est pas une unité isolée, il ne fait sens que contextuellement. Cependant, cette évidence est classiquement traduite, non pas par l’étude du contexte textuel coranique, mais par une mise en contexte de nature extra-coranique : la contextualisation.

Comme nous l’avons exposé, il est donc important de clairement distinguer entre cette contextualisation, démarche intertextuelle extra-coranique, et la contextualité approche intratextuelle et intra-coranique. De la sorte, l’Analyse littérale du Coran s’oppose au découpage du texte coranique tout autant qu’aux contextualisations, qu’il s’agisse des circonstances de révélation ou d’autres indications pseudo-historiques ou sociologiques.

Ceci étant rappelé, la contextualité consiste à prendre constamment en compte le contexte d’énonciation du ou des versets étudiés lors de la détermination du Sens littéral.  Cette étude est l’étape 3 de l’algorithme de notre Analyse littérale du Coran, car elle fait logiquement suite à l’Analyse lexicale et à l’Analyse sémantique. En effet, les données lexicales et sémantiques ne permettent pas nécessairement par elles-mêmes de réduire suffisamment la polysémie des termes et phrases constitutifs des versets étudiés. C’est donc l’analyse contextuelle systématique et hiérarchisée des trois niveaux contextuels que nous avons mentionnés [contexte général, contexte proche ; contexte d’insertion] qui, en fonction des données contextuelles obtenues, réduira la polysémie potentielle et participera de manière essentielle à la résolution du sens littéral.

Si donc l’analyse contextuelle est d’un point de vue méthodologique fondamentale quant à la détermination du Sens littéral, c’est qu’elle permet de (re)construire pour tel ou tel verset le maillage d’informations fourni par le Coran. Autrement dit, elle relie le sens littéral à l’explication du Coran par lui-même/tafsîr al –qur’ân bi-l–qur’an. Pour ce faire, l’analyse contextuelle procède de manière concentrique du contexte le plus large au plus resserré afin de démêler en toute rigueur le fil de sens du ou des versets ainsi étudiés. La contextualité telle que nous venons de la définir justifie pleinement que la seule notion de contexte que l’on doive prendre en compte soit le contexte coranique lui-même, démarche pleinement intratextuelle intra-coranique.

Dr al Ajamî

[1] Pour notre étude critique des « asbâb », voir : Circonstances de révélation ou révélations de circonstance ?

[2] Il existe effectivement une très ancienne tradition d’études coraniques traitant de l’organisation compositionnelle du Coran ou naẓm al–qur’ân. Le plus vieil ouvrage complet qui nous soit actuellement parvenu sur le sujet est l’œuvre de Muḥammad al–Khaṭṭâbî, fin IVe siècle de l’Hégire. Sa traductrice, C.-F. Audebert, situe vers le milieu du IIIe siècle les premiers écrits abordant la question de la forme du discours coranique. Il semble que la composition du Coran ait été à cette époque l’objet d’avis critiques puisque al–Khaṭṭâbî répond point par point à ces allégations : défaut d’agencement, répétitions, ellipses mal référencées, dispersion du propos, interpolations, in Claude-France Audebert, Al–Khaṭṭâbî et l’inimitabilité du Coran. Traduction et introduction au Bayân i‘jâz al–qur’ân, Publications de l’Institut français de Damas, Damas, 1982, p. 130-142. Par suite, l’orthodoxie mettra fin au débat en canonisant la forme textuelle coranique par le biais du concept apologétique d’inimitabilité du Coran ou i‘jâz al–qur’ân.

[3] Cette présentation ne relève pas d’une quelconque volonté littéraire ou éditoriale, mais de l’histoire de la mise par écrit d’un « texte récité ». Il apparaît que la séparation rimique des versets, pour aussi variable qu’elle soit, est ancienne puisque les plus vieux manuscrits connus en font état dès le troisième quart du 7e siècle, idem pour la démarcation des sourates entre elles par la basmala plus ou moins individualisée.  La canonisation précoce du texte coranique a donc empêché une présentation plus structurée du Coran qui, de ce fait, conserve graphiquement trace de son oralité première. De même, mais pour des raisons différentes, la Thora massorétique garde une présentation de type oral. Pour mémoire, ce n’est que vers le XIIIe siècle, suite à Étienne Langton, qu’en Occident le découpage de la Bible en chapitres se généralisa.