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Le couple et le mariage selon le Coran et en Islam

Le couple, en tant qu’unissant un homme et une femme, est une unité représentant à l’échelle individuelle le rapport des uns et des autres au sein des sociétés humaines. Aussi, est-ce avec raison que le Coran aborde le sujet à de multiples reprises et, sans doute, est-ce le fait sociétal auquel il a apporté le plus d’attention. Non pas, contrairement à ce que nous pensons habituellement, pour légiférer ad vitam aeternam le mariage en tant qu’institution, mais pour réformer et amender les mœurs des Arabes, c’est-à-dire en ce contexte socio-historique particulier pour protéger les femmes du pouvoir contraignant que majoritairement les hommes exercent sur elles, situation d’oppression quasi générale. Cette approche permet de saisir la lecture universelle et intemporelle des interventions coraniques à partir de la critique des réalités du VIIe siècle en Arabie. En cette perspective, le Coran n’a donc pas bédouinisé l’éternité ni universalisé la bédouinité, mais il a indiqué la nature profonde des liens qui unissent hommes et femmes. Aussi, ne faut-il pas s’attendre à ce que le Coran ait proposé un modèle légal définitif en matière de mariage, mais, comme nous le constaterons, à ce qu’il ait défini les grandes lignes directrices de l’idéal type du couple, c’est-à-dire des relations privées et privilégiées entre les hommes et les femmes.

 

• Que dit l’Islam

Pour l’Islam, qui sur ce point est fidèle au judaïsme et au christianisme, le mariage est l’unique institution légale rendant les rapports sexuels licites. Par ailleurs, les juristes ont conféré au mariage trois autres fonctions : la procréation, l’obligation pour l’homme d’entretenir la famille, la sauvegarde de la moralité et de l’honneur. Ils ont aussi fixé des droits conjugaux qui, de fait, se substituent aux devoirs conjugaux. Ces droits sont asymétriques puisque par exemple la femme doit obéissance à son mari et que de principe lui incombe les charges domestiques.

Ces définitions sont somme toute logiques, car la prise en charge du mariage par les religions n’est rien d’autre que la normalisation des traditions d’une société à un moment donné. En l’occurrence, l’Islam a construit sa vision du mariage et du couple au sein de sociétés patriarcales et misogynes. Il ne s’agit pas nécessairement de la culture bédouine, mais bien plus celle des territoires sociaux et religieux du “Moyen-Orient” en lesquels l’Islam se développa. Principalement, les cultures juives, chrétiennes et zoroastriennes. Le mariage selon l’Islam est donc plus l’héritier de ces mœurs et coutumes antiques que le fruit du Coran. Or, lorsqu’une religion cesse d’évoluer, elle fixe dans le temps des modes de relations hommes femmes dont l’archaïsme est donc prévisible. Ce qui par contre s’origine bien dans le Coran sont deux différences majeures d’avec le judaïsme et le christianisme, à savoir : l’autonomie financière des femmes mariées et le droit au divorce tant pour les femmes que pour les hommes. Néanmoins, les avancées coraniques n’ont pas résisté à la résilience des traditions et l’Islam a réussi à marginaliser le droit au divorce des femmes au profit de la répudiation, pratique tout au service de la gent masculine ! Enfin, parce qu’il n’est jamais de notre recherche d’examiner l’ensemble des caractéristiques juridiques propres à l’Islam, les ouvrages spécialisés ou grand public sont faits pour cela, nous signalerons pour conclure un point important : la nature du contrat de mariage. Si pour les religions-sœurs, le mariage est un sacrement, une union sacrée, pour le Coran le mariage est avant tout un contrat moral et civil.

 

• Que dit le Coran

– À la différence de l’Islam, le Coran distingue entre la notion de couple et celle de mariage. Nous avons indirectement abordé ce sujet lors de notre analyse de l’Adultère et la fornication. En cet article, nous avons constaté que le Coran condamnait moralement l’adultère, c’est-à-dire des rapports sexuels où l’un des deux partenaires au moins est marié, du fait de l’injustice que cela représente pour le(s) conjoint(s) ainsi trahi(s). Rappelons que le Coran n’édicte pas à cette occasion une sanction physique ou peine légale/ḥadd pour les cas d’adultère. Cependant, aussi étonnant que cela puisse paraître, cette réprobation coranique ne s’appliquait pas à la fornication, car le terme zinâ ne qualifie réellement que l’adultère. Par fornication, qui en arabe se dit sifâ, l’on entend des rapports entre deux personnes consentantes et non mariées. C’est ainsi avec cohérence que le Coran établit une différence entre adultère et fornication et désigne conséquemment les fornicateurs par l’emploi de terme musâfiḥîn, voir en S4.V24-25, et non par celui de zâniyûn/adultères.

– Le Coran prônerait-il donc l’union libre non contrôlée ! Nullement, car si effectivement il envisage très réalistement qu’hommes et femmes sont libres de vivre leur sexualité et ne condamne point cela, il ne s’exprime pas pour autant directement sur le sujet des rapports hors mariage, pas même en S4.V24-25. De règle, toute absence d’interdiction scripturaire coranique équivaut à une permission, mais cela ne sous-entend pas que l’ensemble des possibles soit bon, car bien des actes mauvais ne sont pas mentionnés dans le Coran et sont tout de même réprouvés au nom de la condamnation morale et générale du mal opérée par le Coran. Le Coran, parce qu’il serait totalement absurde de penser qu’il ait pu tout mentionner, procède donc par ajustements moraux et éthiques que chacun doit alors appliquer à ses propres comportements. Ainsi, le régulateur coranique quant à la question des rapports hors mariage est-il le verset-clef suivant, verset déterminant les fondements nécessaires à la formation de tout couple homme femme : « Parmi Ses signes, qu’Il ait créé pour vous et de vous-mêmes des complémentaires/azwâj afin que vous preniez appui l’un à l’autre/ilay-hâ et qu’Il ait mis entre vous doux amour et bienveillance. Vraiment, il y a en cela des signes pour ceux qui réfléchissent. », S30.V21.[1]

– Dans un premier temps, l’analyse lexicale contribuera de manière essentielle à la compréhension du sens littéral de ce verset. Le segment « qu’Il ait créé pour vous et de vous-mêmes » rappelle l’égalité ontologique entre les hommes et les femmes, tous deux créés à partir de la même âme : « Ô Hommes ! Craignez pieusement votre Seigneur, Lui qui vous a créés d’une âme/nafs[2] unique dont Il créa sa moitié/zawja-hâ et qui de ces deux suscita grand nombre d’hommes et de femmes…»[3] Il n’est guère possible de comprendre ici le pluriel azwâj comme valant pour « épouses » bien que la traduction standard et les autres le transcrivent ainsi : « Il a créé pour vous des épouses ».  En effet, croire cela reviendrait à admettre que la femme ait été créée pour l’homme et n’aurait d’autre raison d’être qu’un statut d’épouse. Ce point de vue anthropologique masculin est effectivement retranscrit dans la Bible,[4] mais logiquement absent du Coran qui, lui, soutient l’Égalité homme femme. Le terme azwâj est le pluriel de zawj, mot mixte qui bien avant que de signifier époux ou épouses connote la notion de choses équivalentes formant une paire, deux éléments complémentaires, voire des équivalents et, seulement par extension, des conjoints, un couple, lequel est contextuellement formé par un homme et une femme. S’agissant de création par Dieu : « qu’Il ait créé », l’on ne peut retenir présentement le sens de conjoint(e)s et encore moins celui d’époux épouses, car cette situation ne découle pas de l’acte créateur lui-même. Par contre, azwâj doit être compris comme exprimant ce qui résulte de la complémentarité créationnelle voulue par Dieu quant aux hommes et aux femmes, d’où notre : « complémentaires/azwâj ». Lorsqu’un couple se forme, sans donc que présentement la notion légale de couple marié intervienne, cette complémentarité intrinsèque a pour conséquence une symétrie dans les liens mutuels de confiance, d’où notre littéral : « afin que vous preniez appui l’un à l’autre ».

– Concernant ce segment : « afin que vous preniez appui/taskunû/sakana l’un à l’autre/ilay-hâ », l’analyse sémantique note que la traduction classique du verbe sakana par demeurer en paix, vivre en tranquillité, se reposer, c’est-à-dire auprès d’elles/ilay-hâ ne tient pas compte de l’emploi en cet énoncé en ilay-hâ de la préposition « ilâ ». Ainsi, le sens donné par les traductions type : « Dieu a créé de vous et pour vous des épouses afin que vous vous reposiez auprès d’elles » ne représente que le parti pris traditionnel patriarcal exprimé selon la logique juridique de l’Islam : la femme n’a été créée que pour être maritalement au service de l’homme et veiller à ce que son mari puisse au foyer conjugal bénéficier des conditions assurant le repos et la tranquillité de l’homme, le tout sans réciprocité. Selon cette conception, les locutions « maître de maison » et « femme au foyer » prennent tout leur sens. Or, lorsque le verbe sakana est employé avec la préposition « ilâ/ilay-hâ » il signifie uniquement se reposer sur quelqu’un, placer sa confiance en, prendre appui sur, d’où pour li-taskunû notre « afin que vous preniez appui ». En cette formulation et sachant que le pronom «  » en ilay-hâ représente, non pas le féminin de azwâj pris pour épouses, mais le pluriel neutre de azwâj au sens de complémentaires. Ainsi, la réciprocité exprimée par le verbe sakana et le complexe prépositionnel ilay-hâ amène-t-elle la signification suivante : « afin que vous preniez appui l’un à l’autre ». Le sens littéral pour la première proposition de ce verset est donc bien que Dieu a « créé pour vous [hommes et femmes] et de vous-mêmes [à partir d’une âme unique] des complémentaires/azwâj [l’homme pour la femme et la femme pour l’homme] afin que vous preniez appui l’un à l’autre/ilay-hâ [c.-à-d. que vous vous épauliez mutuellement]».

– Selon cette définition coranique, le couple repose sur l’idée d’égalité homme et femme et de leur nécessaire complémentarité.  Rien n’indique donc là que la femme soit le repos de l’homme, mais, au contraire, que l’un et l’autre doivent s’assister mutuellement. Cette réciprocité suppose donc, non plus de simples liens de service, mais comme le précise par suite le Coran à ce qu’il y ait entre les deux « doux amour/mawadda et bienveillance/raḥma ». Le terme mawadda/amour dérive de la racine wadda et a pour sens amour, amitié, affection, désir, notions toutes indissociables d’où le fait que nous le rendions par « doux amour ». Notons qu’il n’est pas employé le terme ḥubb, terme que le Coran utilise préférentiellement pour désigner de manière critique l’amour matériel des biens de ce monde, dont celui porté aux femmes par les Arabes.[5] De même, il n’est pas utilisé les termes shahwa ou ahwâ qui concernent plus le désir charnel. Ce choix lexical est donc tout à fait remarquable, car il est de manière explicite en correspondance avec un nom-attribut de Dieu : al–wadûd que l’on peut traduire par le Tout d’Amour.[6] Enfin, pour qualifier plus encore la nature des rapports au sein d’un couple, ce segment ajoute « et bienveillance » qui est ici la traduction la plus appropriée du qualificatif raḥma : bienveillance, clémence, compassion, miséricorde. L’on constate donc que ce terme est lui aussi directement en rapport avec un autre nom-attribut de Dieu : ar–raḥîm : le Tout Miséricorde. Ainsi, par l’expression « doux amour et bienveillance » est établi le parallèle entre la relation présidant au couple selon le Coran et celle de Dieu envers sa créature, voir : l’Amour de Dieu selon le Coran et en Islam. Nous signalerons que la traduction standard a traduit ce segment par « affection/mawwada et bonté/raḥma » réduisant de la sorte la nature élevée de ces sentiments afin de les rapprocher de ceux qui selon l’Islam doivent au mieux, mais pas de manière indispensable, présider au sein du mariage. Or, pour le Coran « doux amour et bienveillance » sont les deux conditions sine qua non justifiant la formation d’un couple. Cet impératif, en quelque sorte, est explicitement justifié par le fait que c’est de la volonté de Dieu qu’émane ces sentiments entre l’homme et la femme, car c’est Dieu qui les a « mis/ja‘ala entre vous ». D’une part, ceci indique que ce lien particulier est spécifique à l’espèce humaine[7] et, d’autre part, « doux amour » est un sentiment alors que « bienveillance » est un comportement. Ainsi, un « doux amour » réel doit-il nécessairement se traduire par de la « bienveillance » et celle-ci doit-elle nourrir concrètement le « doux amour » initial, « doux amour/mawadda et bienveillance/raḥma » sont donc indissociables. Par ailleurs, le fait qu’il ait été précisé qu’ils devaient opérer « entre vous » montre que « doux amour et bienveillance » sont et doivent être mutuels et réciproques. Là encore, le Coran est cohérent quant à sa conception holistique de l’égalité des hommes et des femmes.

Cette définition des relations de couple donnée par le Coran comme ontologique aux hommes et aux femmes était à vrai dire révolutionnaire, révélationnaire, car elle fait de l’amour la raison d’être de l’être et du couple, et ce, bien au-dessus de l’approche juridique strictement fonctionnelle et sociétale du mariage tel que les trois grandes religions monothéistes l’ont conçu. Sans doute est-ce cette différence entre la conception coranique et les conceptions juridico- religieuses et traditionnelles qui explique que notre verset se conclut par un appel à la réflexion : « vraiment, il y a en cela des signes pour ceux qui réfléchissent ». Hommes et femmes sont ainsi appelés à remettre en cause leurs certitudes et habitudes, les comportements et les stéréotypes mis en place par les sociétés et les religions, tout un programme ouvrant sur l’espoir d’une relation apaisée, équitable et équilibrée entre les hommes et les femmes, une harmonie faite de « doux amour et bienveillance ».

Quoi qu’il en soit, le fait qu’amour et bienveillance soient intrinsèquement liés précise le champ de cet amour, il ne s’agit pas d’amour purement passionnel ou charnel, mais, du fait de la « bienveillance » nécessaire, d’un « doux amour ». Non pas que les sentiments passionnels n’existent pas ou soient en eux-mêmes critiqués, mais parce que la « bienveillance » est souvent absente de ce type de relations entre un homme et une femme. Quant à la relation purement sexuelle comme justifiant la formation d’un couple, elle est aussi rejetée par notre verset puisque l’assouvissement des penchants sexuels ne peut raisonnablement pas correspondre au cadre coranique dit de « doux amour et bienveillance ». Notons que, étonnamment, mais logiquement, l’aspect sexuel du couple n’est donc pas ici évoqué tout comme, du reste, la notion de mariage. L’idéal du couple selon le Coran dessine donc une relation de couple apaisée et protégée résultant d’un « appui l’un à l’autre » et par laquelle tous deux s’aiment d’un « doux amour » et se dispensent l’un l’autre de la « bienveillance ».

 – Enfin, nous ne pouvons pas ignorer qu’à cet idéal coranique pourraient être opposés contradictoirement des éléments prônés par l’Islam. Cette situation n’est pas interne au Coran, mais provient des interprétations que l’Islam a imposées à certains versets conformément à sa conception patriarcale et misogyne du mariage, seul cadre de relation homme femme que l’Islam admet, rappelons-le. Il en est ainsi de la polygamie qui, à l’évidence, n’est guère compatible avec la vision du couple telle qu’elle est exposée en notre verset-clef. Sur ce point, nous avons démontré en la Polygamie selon le Coran et en Islam que le Coran ne la légitimait pas en prétendument la limitant à quatre épouses, mais qu’il notait seulement que tel était l’usage en vigueur. Sur le fond, il témoignera de sa cohérence tout en indiquant que cette situation socio-culturelle doit être dépassée pour tendre à la monogamie : « Dieu n’a point mis deux cœurs dans la poitrine d’un homme… »[8] et « Vous ne pourrez jamais être équitable envers vos épouses quant bien même le désireriez-vous… »[9] De fait, la cohérence coranique suppose donc que la monogamie soit la seule situation de couple compatible avec la portée de notre verset, c’est-à-dire à ce « que vous preniez appui l’un à l’autre et qu’Il ait mis entre vous doux amour et bienveillance ». De même, l’on pourrait alléguer que la limitation au profit des seuls hommes au mariage interreligieux romprait la réciprocité au sein du couple exigée par notre verset. Cependant, nous avons démontré en le Mariage interreligieux selon le Coran et en Islam que cette interprétation était celle de l’Islam alors que le Coran maintenait la réciprocité concernant ces unions. D’autres niveaux de dysmétrie traduisant le patriarcat et la misogynie de l’Islam au nom des sociétés traditionnelles et se soldant par des limitations et restrictions religieuses, mais aussi ontologiques, ont été imputés au Coran. Nous avons montré que ce n’était là que le fait de l’Islam et non du Coran, citons notre analyse littérale du Voile selon le Coran et en Islam et l’Impureté de la femme selon le Coran et en Islam. Dernier point qu’il nous faut souligner, comment le Coran en plaidant pour « doux amour et bienveillance » au cœur du couple aurait pu d’une manière ou d’une autre admettre qu’il était possible de battre sa compagne ![10]

 

Conclusion

L’analyse littérale de S30.V21 aura mis en avant la conception du couple selon le Coran : « doux amour et bienveillance ». La particularité de ce verset est de traiter du couple sans pour autant le concevoir dans le cadre du mariage. L’approche coranique est ici générale et vise seulement à définir la nature des relations qui justifient qu’un homme et une femme puissent vivre ensemble en harmonie, qu’ils soient unis par le mariage ou pas. Cela peut paraître choquant tant l’Islam n’a validé que l’union conjugale maritale et a condamné fermement toutes relations en dehors du mariage. Nous avons à ce sujet démontré que l’Islam avait indûment assimilé les termes adultère/zinâ et fornication/sifâḥ et que de plus il les conjoignait improprement sous les seules appellations de fâḥisha/turpitudes ou fasâd/débauche alors que le Coran ne condamne moralement que l’adultère/zinâ.[11] Rappelons-le, la condamnation coranique du seul adultère est restrictive, mais cohérente puisque ce n’est que dans le cas de l’adultère qu’il est toujours commis une grave injustice envers la personne ainsi trompée.

À cette occasion, nous avions donc souligné que le Coran excluait du champ de sa réprobation les relations entre un homme et une femme tous deux non mariés. Cela aurait pu être alors interprété comme un plébiscite pour l’assouvissement d’une sexualité débridée, situation que l’on ne pourrait à l’évidence imputer au Coran, mais à l interprétateur. Or, l’analyse de notre verset-clef, S30.V21, montre qu’il n’en est absolument pas ainsi et que le Coran établit de fait des limites aux relations entre hommes et femmes. Non pas des limites juridiques ou sociétales, mais relevant de l’ordre des sentiments éprouvés. Du point de vue fondamental, il est donc affirmé que parmi les « signes » de Dieu il est d’avoir créé les hommes et les femmes, les uns des autres, et en tant que « complémentaires/azwâj ». Cela s’entend au sens relationnel et non pas en vue de la reproduction, conjonction qui n’est donc que le propre du règne animal ou, par une navrante assimilation, de la conception légaliste du mariage par les religions. En cela, le Coran nous distingue donc et indique que la première conséquence de cette différence est qu’hommes et femmes ont été créés pour prendre « appui l’un à l’autre ». Ceci est confirmé par le fait qu’à bien lire et bien comprendre notre verset il n’aborde absolument pas l’idée de sexualité laquelle est en fait sublimée par la notion de « doux amour et bienveillance ». C’est donc au nom de ces deux admirables sentiments et comportements que le Coran fonde et légitime le couple. Ceci est d’autant plus remarquable que les trois composantes du couple selon le Coran : « doux amour et bienveillance », « complémentaires » et « appui l’un à l’autre » expriment clairement la réciprocité. Par le couple ainsi redéfini, l’ouverture et la réciprocité ainsi affirmées le Coran vise concrètement à la libération des femmes puisque ce sont elles qui sont de facto soumises à l’emprise de l’instinct de propriété et de domination des hommes. Bien évidemment, le Coran interpelle ainsi les hommes afin qu’ils se libèrent d’eux-mêmes, se réforment et puissent concevoir une autre relation et que de par « doux amour et bienveillance » les femmes deviennent enfin leurs moitiés, leurs « complémentaires ». À bien considérer, ce propos programmatique, expression de la tempérance coranique, est en parfaite adéquation avec l’Égalité des hommes et des femmes, égalité plénière que le Coran prône, mais pas nécessairement l’Islam et les musulmans à sa suite.

Il ne s’agit donc pas pour le Coran d’une libération des mœurs, mais de l’amour. Il ne s’agit pas plus d’amour libre, au sens galvaudé de cette expression, mais de libre amour, car, paradoxe, les traditions et les religions ont emprisonné l’amour en la cage du mariage. Selon ce verset, l’amour est donc libre par essence puisque Dieu a créé les hommes et les femmes en tant que « complémentaires » qu’afin qu’ils puissent se connaître par un « doux amour » et ce noble sentiment ne fait sens que s’il est accompagné de « bienveillance ». Or, pas plus que les sentiments ne se commandent, ils ne peuvent être légalisés et, bien que de toute évidence l’approche ontologique du Coran en matière de relations hommes femmes ne s’oppose pas à la notion de mariage, cette institution mettrait ces deux vertus cardinales en arrière plan ou, à tout du moins, tendrait à les dévitaliser par la légalisation et la normalisation. Le Coran indique ainsi ce que devraient être l’esprit et la démarche présidant à l’union légale ou non de deux êtres : s’aimer d’un réciproque « doux amour » traduit par de la « bienveillance » et, dès lors, construire par « appui l’un à l’autre » un couple de « complémentaires ». Amour, protection, respect, égalité prouvent à nouveau que l’éthique coranique est plus exigeante que le juridisme de l’Islam.

Dr al Ajamî

 

[1] S30.V21 : « وَمِنْ آَيَاتِهِ أَنْ خَلَقَ لَكُمْ مِنْ أَنْفُسِكُمْ أَزْوَاجًا لِتَسْكُنُوا إِلَيْهَا وَجَعَلَ بَيْنَكُمْ مَوَدَّةً وَرَحْمَةً إِنَّ فِي ذَلِكَ لَآَيَاتٍ لِقَوْمٍ يَتَفَكَّرُونَ »

[2] « nafs/âme unique » ne peut ici représenter Adam, mais l’unité et l’équivalence de l’âme humaine, hommes et femmes. Autrement dit, les hommes et les femmes sont d’une seule et même âme, c’est-à-dire d’une nature ontologique identique.

[3] S4.V1 :

يَا أَيُّهَا النَّاسُ اتَّقُوا رَبَّكُمُ الَّذِي خَلَقَكُمْ مِنْ نَفْسٍ وَاحِدَةٍ وَخَلَقَ مِنْهَا زَوْجَهَا وَبَثَّ مِنْهُمَا رِجَالًا كَثِيرًا وَنِسَاءً وَاتَّقُوا اللَّهَ الَّذِي تَسَاءَلُونَ بِهِ وَالْأَرْحَامَ إِنَّ اللَّهَ كَانَ عَلَيْكُمْ رَقِيبًا

Voir le point 1 de l’article Égalité homme femme selon le Coran et en Islam.

[4] « En effet, l’homme n’a pas été tiré de la femme, mais la femme a été tirée de l’homme ; et l’homme n’a pas été créé à cause de la femme, mais la femme a été créée à cause de l’homme. C’est pourquoi la femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de l’autorité dont elle dépend… » Corinthiens I ; 11 : 8-11.

[5] Ex. : « Comme semble beau aux hommes l’amour/ḥubb ardent qu’ils portent aux femmes, aux fils, aux quintaux amoncelés d’or et d’argent, aux chevaux racés, aux bétails et aux cultures ; ce n’est là que jouissance éphémère de la vie d’ici-bas, alors qu’en Dieu est l’excellent retour ! », S3.V14.

[6] S85.V14 : « وَهُوَ الْغَفُورُ الْوَدُودُ »

[7] De fait, les animaux n’ont pas de relations basées sur conjointement la perception et la mise en œuvre d’un « doux amour et bienveillance ». De nombreux animaux vivent en couple et sont bienveillants l’un envers l’autre, mais leur relation est dirigée par l’instinct et non par un sentiment d’amour, si bien sûr l’on évite tout anthropomorphisme.

[8] S33.V4 : « … مَا جَعَلَ اللَّهُ لِرَجُلٍ مِنْ قَلْبَيْنِ فِي جَوْفِهِ»

[9] S4.V129 : « … وَلَنْ تَسْتَطِيعُوا أَنْ تَعْدِلُوا بَيْنَ النِّسَاءِ وَلَوْ حَرَصْتُمْ »

[10]  Voir : Frapper les femmes selon le Coran et en Islam.

[11] Voir : Adultère et fornication selon le Coran et en Islam.