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S4.V15-16 : « Quant à celles qui viennent malhonnêtement parmi vos femmes, faites alors témoigner contre elles quatre d’entre vous. S’ils témoignent, maintenez-les malgré tout sous les tentes jusqu’à ce que la mort les rappelle ou que Dieu leur fournisse une issue. [15] Quant à deux des vôtres qui viendraient de même, malmenez-les. S’ils se repentent et s’amendent, alors éloignez-vous d’eux ; Dieu accueille la repentance, Tout de miséricorde. [16] »

Notre traduction littérale ci-dessus ne suit pas la conformité exégétique des traductions en vigueur, mais, surtout, elle exprime une grande différence de signification que nous allons justifier. Voici à titre de comparaison la traduction standard : « Celles de vos femmes qui forniquent, faites témoigner à leur encontre quatre d’entre vous. S’ils témoignent, alors confinez ces femmes dans vos maisons jusqu’à ce que la mort les rappelle ou qu’Allah décrète un autre ordre à leur égard. [15] Les deux d’entre vous qui l’ont commis [la fornication], sévissez contre eux. S’ils se repentent ensuite et se réforment, alors laissez-les en paix. Allah demeure Accueillant au repentir et Miséricordieux. [16] »

Ce passage fait partie des nombreux versets de Sourate les Femmes qui ont été surinterprétés à outrance. Ainsi, alors que les vs15-16 sont en lien avec la question de l’héritage à quotes-parts/al–warth comme nous allons le démontrer, l’Exégèse a-t-elle voulu que le v15 soit une condamnation de l’adultère, ce qui explique qu’elle ait rendu ici le terme ḥisha par adultère ou fornication bien qu’explicitement en S24.V2, et selon l’Exégèse elle-même, la condamnation pour adultère soit la flagellation et non : « confinez ces femmes dans vos maisons jusqu’à ce que la mort les rappelle ». De plus, ce ne serait là que la sanction des femmes adultères sans que le cas de l’homme adultère ne soit envisagé alors que S24.V2 châtiait logiquement de la même manière les uns et les unes. Quoi qu’il en soit, nous rappelons que S24.V2 n’édicte en réalité aucune sanction générale concernant l’adultère.[1] Plus précisément encore, ce qui semble avoir fondé cette interprétation, et en assumer les contradictions qui en découlent, c’est qu’il était ainsi rendu possible de supposer au v16 que selon les termes de la traduction standard : « les deux d’entre vous qui l’ont commise [la fornication], sévissez contre eux »[2] seraient condamnées les unions homosexuelles.

– Plusieurs objections littérales et rationnelles doivent être soulevées :

1- Cette interprétation a priori a obligé nos exégètes à déclarer que ce v15 avait été abrogé par S4.V2, procédé que la raison ne peut admettre.[3] Pour autant, afin que leur logique soit sauve et que soient levées les contradictions que leurs interprétations avaient générées, ces exégètes ont été dans la quasi obligation d’user de cette ruse exégétique. Du reste, cette situation explique nombre des cas d’abrogations décrétées par l’Exégèse.

2- Littéralement il est dit « celles qui viennent/ya’tîna avec/bi une fâhisha », ce qui n’est pas synonyme de « celles qui commettent une fâhisha/fornication ou adultère » comme les traductions l’affirment, mais signifie venir avec, présenter, apporter. En ce cas, comment supposer qu’il serait ici question de femmes assez inconscientes pour se présenter, c’est-à-dire ouvertement, comme ayant commis l’adultère !

3- S’il en était malgré tout tel que l’Exégèse le soutient, alors l’exigence « faites alors témoigner contre elles quatre d’entre vous » n’aurait aucun sens puisqu’elles auraient par avance avoué leur forfait !

4- Comment comprendre qu’il serait dit des femmes adultères qu’il faille les maintenir « dans vos maisons jusqu’à ce que la mort les rappelle », c’est-à-dire au domicile du mari. L’on imagine sans peine que cette sanction a pour conséquence que le mari trompé et la femme infidèle devront à vie rester sous le même toit ! Qui serait ainsi le plus châtié, la femme ou son mari ? ! Par ailleurs, si ḥisha signifiait ici fornication, alors où laisser lesdites femmes puisque la fornication est un acte commis par une personne non mariée !

5- Pareillement, il serait alors proposé une alternative à cet enfermement conjugal : « ou que Dieu leur fournisse une issue », solution dont la nature n’est pas précisée, ce qui est incohérent.[4]

6- Si ces versets prévoyaient une peine pour les coupables de fornication ou d’adultère, quelle logique y aurait-il à instituer une sanction tout en postulant au v16 que « s’ils se repentent et s’amendent, alors éloignez-vous d’eux » ? L’on comprend aisément qu’en ces conditions tous ces pécheurs se repentiraient afin d’échapper au châtiment ! Il n’y aurait donc aucune cohérence à promulguer une loi tout en proposant une échappatoire la rendant de facto caduque ! Notons que pour contourner l’incohérence que l’Exégèse a ainsi produite, la traduction standard ajoute au texte coranique un « ensuite » censé faire comprendre que le repentir ne vaudrait qu’après l’exécution de la peine : « s’ils se repentent ensuite et se réforment, alors laissez-les en paix ».

7- Sans doute est-ce là du point de vue de l’analyse lexicale la question la plus importante : comment justifier que le chapitre consacré à l’héritage à quotes-parts/al–warth débutant au v11 et se terminant visiblement au v19 puisse y être prétendument insérés des versets relatifs au traitement de la fornication, vs15-16 ? Nous l’avons maintes fois signalé,[5] cet aspect décousu, ou effet catalogue que l’on prête au Coran n’est que le résultat d’interprétations totalement décontextualisantes produites par l’Exégèse classique. Le cas de ces versets illustre parfaitement la nature réelle de ce phénomène.

– L’ensemble de cette problématique, à vrai dire irrésoluble, amène donc à comprendre différemment nos deux versets. Premier constat, ces versets s’inscrivent au sein d’un paragraphe relatif à l’héritage à quote-parts/al–warth et leur signification dépend donc de ce contexte. Deuxième point, ils font immédiatement suite aux vs13-14 qui mettent en garde contre les malversations en matière d’héritage à quote-parts/al–warth : « Tels sont les objectifs de Dieu, et qui obéit à Dieu et à Son messager, Il l’introduira en des jardins au pied desquels coulent ruisseaux ; ils y demeureront, voilà la réussite suprême. [13] Mais, qui désobéit à Dieu et à Son Messager et passe outre Ses objectifs, Il l’introduira en un feu où il demeurera, il subira un tourment infamant. »[6]  Troisième point, en cette perspective contextuelle, le terme ḥisha ne peut pas signifier fornication ou adultère, mais doit s’entendre selon son sens général d’immoralité, malveillance et, présentement, en son sens atténué de malhonnêteté, d’où pour bi-fâḥishatin notre « malhonnêtement ». Aussi, lisons-nous : « quant à celles qui viennent malhonnêtement parmi vos femmes, faites alors témoigner contre elles quatre d’entre vous ». Contextuellement, la malhonnête en question est donc en rapport avec celui ou celle « qui désobéit à Dieu et à Son Messager et passe outre Ses objectifs », c’est-à-dire en prétendant indûment à des parts d’héritage à quotes-parts/al–warth. Ceci confirme la signification du segment al–lâtî ya’tîna : « celles qui viennent », c’est-à-dire « malhonnêtement/bi-fâḥishatin » avec un faux témoignage afin de réclamer à titre de parenté des parts d’héritage auxquelles elles n’auraient pas droit. Il s’agit plus précisément du cas où leurs prétentions seraient contestées et il est alors demandé pour lever le doute de faire « témoigner contre elles quatre d’entre vous »,[7] c’est-à-dire quatre personnes appartenant nécessairement à la famille ou au clan et à même de témoigner de ce que ces femmes n’ont pas le rang de parenté qu’elles réclament.[8] Si tel est le cas : « s’ils témoignent », il est alors indiqué « maintenez-les malgré tout sous les tentes jusqu’à ce que la mort les rappelle ou que Dieu leur fournisse une issue ».

– En fonction de ce qui précède, le segment litigieux que nous traduisons par « maintenez-les malgré tout sous les tentes jusqu’à ce que la mort les rappelle » ne peut avoir la signification qui lui est classiquement et juridiquement attribuée : « confinez ces femmes dans vos maisons jusqu’à ce que la mort les rappelle », affirmation aussi curieuse qu’irrecevable, nous l’avons souligné. Par contre, dans le contexte signifiant que nous avons mis à jour, ceci se comprend aisément non plus comme une mesure de rétorsion, mais comme une mesure de protection. En effet, l’on observe qu’il n’est pas dit maintenez-les dans leur maisons/fî buyûti-hinna et encore moins fî buyûti-kum/dans vos maisons contrairement à ce qu’écrit la traduction standard, mais il est exactement dit fî–l–buyûti, mot à mot dans les maisons, ce qui sans anachronisme, et comme nous allons l’expliciter, signifie au plus près : sous les tentes. Sachant qu’il s’agit de femmes ayant faussement prétendu appartenir aux proches d’un défunt, il est demandé de ne pas les exclure « malgré tout »[9] du clan ou de la tribu et ainsi de les maintenir « sous les tentes », locution désignant en arabe une famille élargie ou un clan. Cela revient à ne pas bannir du campement clanique ces femmes ayant produit un faux témoignage, bannissement qui à l’époque menaçait la vie même de ces exclus tribaux et bien plus encore lorsqu’il s’agissait de femmes. Ainsi, par « maintenez-les malgré tout sous les tentes » il s’agit en réalité de protéger ces femmes « jusqu’à ce que la mort les rappelle », c’est-à-dire pour le restant de leur vie. Du reste, cette attitude est conforme à l’esprit de toutes les mesures que le Coran prend en cette sourate, comme en d’autres, afin de protéger les femmes des exactions résultant du sexisme et de la misogynie des Arabes d’alors et des hommes de manière générale. Enfin, la proposition « ou que Dieu leur fournisse une issue » se comprend donc comme indiquant la possibilité pour ces femmes d’assurer leur protection sans pour autant rester « sous les tentes » du clan, par exemple, selon les règles tribales en vigueur en ces temps-là, en cas de mariage.

– Concernant le v16, logiquement inscrit dans le même fil de sens : une revendication malhonnête à des parts d’héritage/warth, il est dit : « quant à deux des vôtres qui viendraient de même, éprouvez-les ». Puisque le v15 traitait du cas des femmes, l’on en déduit qu’il s’agirait ici de deux hommes et, bien évidemment, il ne s’agit donc pas par « deux des vôtres » de désigner l’homosexualité masculine, voire pour certains l’homosexualité féminine. De fait, la situation évoquée en ce v16 est sous un aspect précis différente de la précédente, car chez les Arabes la filiation familiale et clanique était strictement agnatique, c’est-à-dire que les liens de parenté étaient établis uniquement par la lignée mâle, cette filiation était donc bien connue puisqu’essentielle à l’unité clanique. Ainsi, si malgré tout deux hommes s’étaient ligués (car la prétention mensongère de deux hommes était plus à même de faire douter la mémoire collective) pour prétendre indûment à un degré de parenté en matière d’héritage qu’ils n’avaient pas, alors : « malmenez-les », car cela devrait suffire à leur faire reconnaître la non véracité de leurs allégations puisque la filiation agnatique est de fait connue de tous. Ainsi, une fois démasqués, il est conseillé à ces deux hommes de se repentir : « s’ils se repentent et s’amendent, alors éloignez-vous d’eux », ce afin de maintenir malgré tout la cohésion familiale et clanique.

– Au final, l’analyse littérale des vs15-16 a mis en évidence deux faits importants :

– Ces versets sont sans aucun rapport avec des turpitudes sexuelles, qu’il s’agisse de fornication, d’adultère ou d’homosexualité.

– Malgré les apparences, lesquelles résultent d’une lecture superficielle orientée et erronée, l’on ne peut constater en ces versets de dissymétrie de traitement entre les femmes et les hommes. Au contraire, le Coran vise ici la protection des femmes contre certaines formes de violence résultant de la misogynie et du sexisme.

Dr al Ajamî

[1] Cf. : L’adultère et la fornication selon le Coran et en Islam.

[2] À partir du segment « sévissez contre eux » ainsi compris, mais en soi très imprécis, il a été imaginé diverses peines pour homosexualité allant jusqu’à la mise à mort par lapidation, châtiment emprunté au Talmud, alors que d’autres préconisent qu’ils soient jetés du haut d’une falaise.

[3] Sur ce point, voir notre critique en : l’Abrogation selon le Coran et l’Islam. De plus, faudrait-il que lesdits versets de S24 soient antérieurs à S4.V15-16, ce qui est loin d’être prouvé.

[4] Selon l’interprétation de ce verset mise en œuvre par l’Exégèse, cette contradiction avait sans doute été perçue puisqu’il fut proposé d’entendre là la venue d’« un autre ordre à leur égard », traduction standard, qui ne serait rien d’autre que S24.V2. Ainsi, il nous faudrait admettre que le Coran édicta une mesure tout en annonçant qu’il changerait d’avis par la suite ! Dieu peut faire ce qu’Il veut, certes, mais pas n’importe quoi !

[5] Voir : Analyse contextuelle.

[6] Pour l’analyse de ces versets, voir : l’Héritage des femmes selon le Coran et en Islam.

[7] Notons que le fait qu’il soit requis « quatre témoins », tout comme en S24.V13, a permis d’étayer l’hypothèse interprétative classique laissant ainsi à penser qu’il y avait effectivement un lien entre ces versets et S4 où est exigé le témoignage de quatre témoins en matière d’adultère, cf. Adultère et Fornication selon le Coran et en Islam. Nous rappellerons à ce sujet que l’idée même de trouver « quatre témoins » visuels d’un acte d’adultère est tout simplement irréaliste !

[8] Ceci se déduit du fait qu’en notre v15 il n’est pas dit de rechercher les témoins d’un acte, mais de faire « témoigner contre elles quatre d’entre vous », c’est-à-dire quatre personnes capables de témoigner de ce que ces femmes n’ont pas le lien de parenté avec le défunt auquel elles prétendent.

[9] Ce segment est nécessairement sous-entendu dans le texte.